Français de souche n’est pas un documentaire sur le blog du même nom qui met régulièrement en ligne une revue de presse sur l’immigration ou le racisme anti-blanc. Non. Français de souche est un documentaire sur l’effort d’intégration que l’on demande à certains Français nés et  ayant grandi en France qui ont pour seule réponse « le fait qu’on ne deviendra jamais Français parce qu’on l’est et qu’on l’a toujours été ». Aïcha Bélaïdi, qui l’a présenté cette année aux Pépites du Cinéma, témoigne : « Français de souche a cette capacité à mettre des mots clairs et nets sur ce que nous, enfants d’immigrés, avons envie d’entendre ».

Nadir Ioulain porte un nom qui n’est pas le sien, mais celui des terres qui appartenaient à ses ancêtres paternels en Kabylie. Né à Versailles en 1981 d’un père karatéka et d’une mère assistante de vie pour enfants handicapés, Nadir grandit avec sa petite sœur à Élancourt puis Trappes et La Verrière (78), où il vit toujours. À l’époque, son père anime des ateliers auprès des jeunes des cités : « Il était dans toutes les grosses associations de l’époque : Sport association jeunes, Droit de Cité… C’était le début du Théâtre de l’Unité, du Théâtre d’Impro. J’ai grandi dans ce bastion-là ».

À l’école, Nadir est bon « dans les matières où je voulais travailler » mais se retrouve en BEP Ventes actions marchandes « où les gens roulaient du shit dans la classe ». Pas dans son élément, il se fait virer « par pure discrimination » plutôt que faute de volonté : « J’étais en alternance, je n’avais plus de patron et un matin on m’a dit ‘c’est fini’ alors que d’autres élèves avec problèmes disciplinaires n’étaient pas exclus ».

S’inspirant de Malcolm X, Nadir apprend le dictionnaire puis intègre La Sorbonne Nouvelle pour passer un bac littéraire qu’il obtient. Il poursuit ensuite des études de marketing puis d’Islamologie et Sciences Sociales à Paris.

Nourri par la culture américaine et le rap, il se paie des voyages aux États-Unis (« j’avais 17 ans la première fois ») puis remporte un Défi Jeunes qui lui permet de réaliser son premier court-métrage, La poésie de Souad en 2001. En parallèle, il travaille comme assistant d’éducation (« pour la fraîcheur de la jeunesse ») puis édite en ligne un roman, « Exils devient » (The Book Edition). En 2008, Nadir crée la société Biloba Ciném’Art du nom d’une plante vertueuse qui a résisté aux bombardements d’Hiroshima « pour montrer que dans le cinéma, on donne de belles pousses ». Entreprendre est dans sa nature, créer sans attendre les autres son credo (« je déteste quémander »). Avec plusieurs coauteurs et réalisateurs, il monte différents projets dont ITTATv.com, qui a produit une trentaine d’émission pas une trentaine de films depuis 2010.

Son amour du cinéma s’inscrit dans l’Art avec un grand A : « L’expression est une création qui, pour moi, doit être nécessairement artistique. C’est l’envie, le désir et la nécessité de s’exprimer et de créer du lien ». Ses références sont marquées par Spike Lee, Menace II Society, La couleur pourpre et « tout ce qui offre une densité entre le fond et la forme ».

Après son court-métrage, il réalise plusieurs clips « Sportformance » alliant sport et danse ainsi que quelques films institutionnels. Puis arrivent Français de souche et un documentaire sur l’influence en France de Mickaël Jackson, Génération Jackson. Durant la même période, il accompagne le trajet de plusieurs français de Paris à Bamako, Une saison parmi les arbres, mené par son ami Sadia Diawara.

Aimant le mélange des genres (motion design, animation, fiction, documentaire), Nadir développe pour 2014 une pièce de théâtre en français sur le rappeur américain Tupac Shakur. Un autre long-métrage de fiction Un dîner presque français est aussi en marche « mais ça il ne vaut mieux pas en parler ».

L’image véhiculée par la banlieue, Nadir la trouve « comme le désert. Il faut la creuser pour découvrir qu’il y a du pétrole ». Conscient qu’elle est pleine d’énergie mais qu’il y en a aussi ailleurs, il conseille aux jeunes cinéastes d’entreprendre « et de ne pas attendre des autres ».

Pour filmer la banlieue, Nadir préfère penser « que c’est un carcan » car il ne faut pas « la filmer différemment» : «Je ne peux pas avoir cette prétention ni cette réduction-là, alors je m’échappe entre les deux (et tu le mets dans ton article)», conclut-il en souriant.

Claire Diao

Pendant le festival Les Pépites du Cinéma qui a lieu du 12 au 21 octobre à Saint-Ouen et La Courneuve, Claire Diao vous propose les portraits de ceux qui filment la banlieue aujourd’hui et qui feront les réalisateurs de demain.

Lire le dossier :

Les Pépites du Cinéma

Akim Isker, cinéaste entre deux terres

Bonny Judicaël Annoman, cinéaste du dedans

Jérôme Maldhé, caméléon du ciné

Djinn Carrénard, artisan du septième art

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