A 33 ans, le rappeur a pourtant une longue carrière derrière lui. Les deux pieds dans le 18ième arrondissement, il a réussi a vivre de son amour pour les textes et la musique. Rencontre.

« Pour la discipline de l’impro faut être en équipe et improviser ensemble. Mais je dis aux petits jeunes profitez en parce que vous allez grandir, progresser et ça deviendra une compétition, ce sera à qui tiendra le plus longtemps et tout… L’impro ça se travaille ! ». Il y a les rappeurs de studio, qui écrivent tranquillement chez eux avant d’enregistrer et qui ne parle de rap qu’en ces occasions. Et il y a les rappeurs comme Nasme, qui transpirent le hip-hop en permanence, qui peuvent écrire un texte une heure avant d’enregistrer sur un bout de table et qui vivent pour leur art. C’est comme l’impro, ça se travaille.

Il a seulement 33 ans, et pourtant Nasme a déjà 18 ans de rap derrière lui. Enfant, à Noisy-le-Grand dans le 93, il écoute les sons que lui ramène son grand frère et s’amuse à jouer les rappeurs aux fêtes d’anniversaires. Mais à 15 ans, l’adolescent ne veut plus jouer. Il déménage dans le 18e à Paris, quartier emblématique du rap français (Scred Connexion, Flynt…) et décide d’arrêter les cours, pour faire du rap et pour gagner de l’argent avec des petits boulots.

« Dès que j’ai écrit mes propres textes à 15 ans, je me suis dit que c’était ma vie, mon ambition. Mais quand t’annonces à ta mère, si jeune, que tu veux être rappeur sans prouver que tu pourras vivre de ton art, c’est compliqué. Du coup j’ai arrêté l’école en 4e parce que ça ne rapportait pas d’argent. C’est dur de dire ça, surtout avec le discours que je tiens aujourd’hui dans mon rap, mais jeune j’étais fougueux, du coup j’ai charbonné comme tout le monde, livreur de pizza, intérim… Mais en fait, j’ai compris que j’aurais dû rester en cours pour avoir plus d’argent plus tard ! ».

Conscient qu’il sera difficile de vivre de sa passion, le jeune rappeur de l’époque ne manque pas d’ambition et fait ses armes sur des mix tapes dont l’emblématique cassette n°25 de DJ Poska en 1997. Ses premières apparitions sur CD se font sur des projets du label 45 Scientific. Et son featuring avec ALI (ex-membre du groupe Lunatic avec Booba) sur la chanson Le code de la rue de HIFI en 2003 marque définitivement son entrée dans le rap underground du début des années 2000.

Nasme continue ensuite les apparitions sur divers projets, et décide en 2010 de sortir une rétrospective des sons qu’il a posé à droite à gauche dans la compilation « En Special Guest vol 1 ». On y trouve le morceau Ma musique, constat d’un passionné de rap qui explique son attachement à ce mouvement, mais aussi les sacrifices qu’il a dû faire pour s’y impliquer sérieusement et sur le long terme.

Quand il parle de « Sa musique », Nasme ne parle pas du rap en général, il parle évidemment de « son rap », en tant qu’artiste singulier, mais aussi du rap « indé », c’est-à-dire indépendant, autoproduit et qui ne cherche pas à se formater pour plaire aux critères des instances légitimatrices. Mais aujourd’hui, rap « indé », c’est aussi devenu un label utilisé par les majors pour vendre une image de liberté et de sincérité qui n’est pas toujours au rendez-vous.

Du coup, pour les vrais « indé » comme Nasme, il faut relativiser la puissance d’évocation et les véritables possibilités qu’offre ce terme : « Si c’était une vraie liberté à 100% j’aurais déjà trois albums dans les bacs. Et le marché il est biaisé, on sait plus vraiment qui fait quoi, qui produit, c’est un jeu de l’image. Et quand t’es indépendant et que tu veux dépasser un certain stade, c’est que l’argent qui rentre en jeu et pas le talent. Pour un passage radio, il faut payer. Pareil pour la diffusion de clips ailleurs que sur You tube ou autres. Si tu ne payes pas tu passes pas même si t’es numéro 1 des ventes. »

En tant que pur indépendant, l’artiste a vite compris qu’il y’avait deux solutions : soit courber l’échine et faire des concessions, soit redoubler d’effort pour continuer son œuvre, en ne comptant que sur lui-même et sur les proches qui ont une vision similaire du mouvement hip-hop. Celui qu’on appelait « Menace » dans sa jeunesse (d’où le nom d’artiste Nasme, menace en verlan) a logiquement choisi la deuxième alternative. Et tant qu’à faire, pourquoi se contenter de sortir des albums. Depuis maintenant quatre ans, Nasme, avec quelques acolytes (Stélio, DJ Blaiz…), organise des concerts de rappeurs indépendants à la Miroiterie dans le 20e à Paris. Pour une entrée qui varie entre 5 et 10 euros, le public peut venir tous les mois écouter la crème du rap underground et participer à un open mic en fin de session (45 concerts déjà organisés à l’heure actuelle).

Et il y a un peu plus de deux ans, il a monté sa société Biff Maker Production. « J’avais réussi à vendre 5000 exemplaires de mon projet En Special Guest vol 1 et je voulais un lieu pour enregistrer et produire d’autres rappeurs. Du coup je me suis dit autant monter ma propre structure ». Et dans les affaires, les idées de Nasme fusent à la vitesse d’un 16 mesures posé sur une instru bien speed, et il décide finalement de centraliser ses activités dans un seul lieu, le Biffmaker shop. Ouverte le 10 novembre 2013, cette boutique lui permet de vendre des vêtements, des CD, de faire office de studio (avec un ingénieur son pour les enregistrements) et de lui servir de bureau pour ses activités de production, d’édition et de communication.

Mais quand on se lance dans ce type d’affaires, les bonnes idées ne suffisent pas. Il faut aussi s’adapter à toutes les exigences administratives nécessaires pour qu’un auto entrepreneur puisse exercer légalement ses activités. Enregistrement à la SACEM, la SCPP, la SNEP, gérer la comptabilité, tout un parcours semé d’embuches qui aurait pu en rebuter plus d’un. « Pour y arriver un moment tu mets toute ta vie de côté et tu ne penses qu’à monter ta boîte, sinon t’y arrives pas. Le Biffmaker c’est le débrouillard qui construit son oseille en se construisant lui-même. C’est le père de famille qui se lève tous les matins, pas le voleur ou le mendiant ».

Le rap « indé » qui s’assume, ça passe forcément par une bonne dose de débrouillardise. Et une certaine ouverture d’esprit : Nasme a côtoyé des artistes de l’ancienne génération, il les écoute toujours, mais n’est pas fermé à la nouvelle vague : « Il y a des artistes qui font du rap en affirmant ne plus en écouter, je trouve que c’est bizarre. Moi j’écoute toujours les anciens et chez les nouveaux, en cherchant bien il y a aussi de bonnes choses. Pourquoi continuer à rapper si toi-même tu dis que t’aimes plus le rap ? ».

Donc non, le rap ce n’était pas forcément mieux avant, et pour continuer de le faire vivre il faut se bouger et s’organiser. Mais quand on est à bout de souffle, on a envie de tout lâcher, non ? Nasme réfléchit à peine trois secondes avant de répondre : « J’ai jamais eu envie de lâcher le rap. Ça m’est arrivé de ne plus l’aimer quand j’étais jeune et que j’ai compris que l’image et l’argent primaient sur le talent. Mais là cet amour est revenu, en tout cas j’ai l’impression. »

Nathan Canu

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