Après 30 minutes d’hurlements, d’applaudissements, elle apparaît enfin. « Nicki » comme ils l’appellent, est voilée. D’un voile noir léger, en dentelle. Son mètre 55 porte la couleur des veuves et ses mains sont jointes. C’est l’heure de la prière. Mais quelle prière… Debout face à son public, Nicki nous présente son 85C. La foule crie « Nicki, Nicki, Nicki ! » Et elle n’a encore rien dit. Elle tient son micro dans des mains aux ongles qui n’en finissent plus d’être roses. Ce soir, Nicki Minaj, née Onika Tanya Maraj, semble avoir pleins de choses à nous dire.
Mais à qui parle Nicki Minaj? A qui parle son décolleté même plus colleté, ses yeux trop maquillés et ses mots osés ? Qui sont ces 6500 personnes qui ont payé entre 70 et 90€ pour remplir le Zénith ce soir ?
Nicki2Des femmes, des hommes. Des amies, mais aussi des pères de famille. Des jeunes femmes et aussi des jeunes filles. Ils ont entre 12 et 60 ans les gens qui crient « Nicki ». Il y a des jeunes couples, qui se tiennent par l’épaule, et des plus vieux, qui se tiennent par la main. Des collègues de travail, des infiltrés qui se cachent derrière leur cahier… Le public de Nicki Minaj est noir, est blanc, est arc en ciel ; il est tressé, crépu, lissé, rasé, en jogging, en basket, en robe, en bobo, en moins beau. Nicki Minaj fait l’unanimité. Elle réussi à faire ce à quoi beaucoup de politiques aspirent : ne faire d’un millier qu’un seul. Avant que le concert ne commence, des jeunes se retrouvent et se mettent à danser. Une fille montre à ses copines qui la filment ce qu’elle sait faire, en bougeant ses cheveux, ses hanches, tandis qu’un jeune homme inconnu sort de la foule pour aller la rejoindre et la faire valser. Les filles applaudissent.
Au fil du concert, Nicki est de plus en plus nue. Sans jamais l’être tout à fait. Après une chanson, la rappeuse sort de scène et revient plus en forme encore. Elle a troqué son voile pour un ensemble soutien-gorge / string à paillettes, cuissardes. Ses quatre danseuses l’accompagnent, toutes en transparence aussi, mais elles, n’ont pas eu droit au string. Elles se contenteront d’une culotte noire assez échancrée. On ne rigole pas avec ça, le boss ici, c’est Nicki. Et oui, sur scène, elle est au centre ; les danseuses et surtout… les danseurs, sur le côté, derrière elle. Elles sont cinq femmes contre deux hommes, et ce sont elles qui mènent la danse. Inversement des codes, Nicki achève à coup de botox l’époque où les hommes avaient le dernier mot. Aujourd’hui, c’est elle qui porte la culotte… Si culotte il doit y encore avoir.
Nicki écrase les hommes avec ses mots, avec ses pieds ; ils sont agenouillés, au sol, l’un devant elle, l’autre derrière. Et elle triomphe. Ce que l’on appelait vulgarité avant ce concert s’appellera désormais victoire. Alors qu’un des deux danseurs fait mine de la…elle sourit face au public et se marre dans son micro. Choqué ? Doit-on être choqué ? Doit-on être inquiet parce que cela plaît et affiche complet ?
En 2013, Nicki Minaj fut classée, par le New York Times, comme l’une des femmes noires les plus influentes, avec Michelle Obama. Oui, Michelle Obama ; la femme du premier président noir de l’histoire des Etats-Unis. En somme, Nicki, comme Michelle, repoussent les limites. C’est violent, c’est vrai. C’est choquant. Et quand on est un peu trop bien-pensant, on pourrait même se demander pourquoi le concert n’a pas été interdit aux moins de douze ans… Mais si Nicki Minaj est là ce soir, c’est parce qu’elle parle aux gens. Pas seulement parce qu’elle vend du spectaculaire. Mais parce que ses mots, son personnage parlent à notre société. Nicki Minaj plaît parce qu’elle inverse, bouleverse les codes et les valeurs. On ne sait plus ce qu’elle est, comment la définir. Est-elle vulgaire, coquette, féminine, virile ou tout à la fois ? Défend-elle la position d’une femme qui domine, qui se venge de toutes ces années à vivre dans l’ombre de l’homme, et qui se joue de notre fausse pudeur ? Dans la même veine, on pense aux Pussy Riot (traduction littérale, disons-le, « émeute de chattes ») qui pénétraient, le 21 Février 2012, dans la cathédrale du Christ-Saint-Sauveur à Moscou, cagoulées, pour certaines nues, elles aussi. Le parallèle est tentant vu l’entrée en scène de Nicki Minaj en pleine prière… Ce groupe punk-rock repousse les limites, aussi violemment, en défendant des valeurs ultra-féministes et en tenant tête à monsieur Vladimir Poutine ! Ce qui n’est pas donné à tout le monde…
Nicki3« Hey Paris, you could have been anywhere but you are here, I love you » (Hey Paris, vous auriez pu être n’importe où, mais vous êtes ici, je vous aime)  s’exclame Nicki Minaj. Place aux sentiments à présent. Car Nicki a un sacré penchant bipolaire. Entre la rappeuse qui crie, qui crache, qui fronce les sourcils en hurlant « I’m a bitch, I’m a monster », elle est aussi une chanteuse qui appelle à l’aide dans « Save me », qui remercie son public, qui invite une jeune femme sur la scène pour la prendre dans ses bras en enchaînant sur la chanson « I still love ». Nicki Minaj nous dit que c’est un honneur d’être ici avec nous. On ne sait pas trop quoi en penser… Quel drôle d’honneur… Car il est difficile d’oublier qu’elle est pratiquement nue ; difficile de ne pas voir dans sa chorégraphie des gestes triviaux, à la limite du porno. Difficile, enfin, de ne pas avouer qu’elle nous gène autant qu’elle nous fascine.
En rigolant avec un voisin, je me permets de dire que ce concert pourrait être l’exemple de cible parfaite pour le groupe Etat-Islamique (EI). Le jeune homme est outré, il s’arrête de danser, me regarde avec des yeux furieux et me répond que tant qu’il y aura des gens pour faire ça, les terroristes n’auront pas gagné. Soit…
Alors, que penser d’une pareille soirée ? De ces sensations qui nous disent tout et leur contraire ? Proposition : On respire un grand coup, on met nos bonnes pensées de côté, et on se demande si Nicki Minaj ne serait pas l’exemple du féminisme 2.0, un féminisme trash, qui va loin, qui se venge. Qui déclare la guerre.
Nicki Minaj prononce ses derniers mots de la soirée : « I would like you to know that anything you think, you can do. Everything is possible. » (Je voudrais que vous sachiez que tout ce que vous pensez, vous pouvez le faire. Tout est possible). Voilà, elle l’a dit. Comme un sous-titre pendant un film. Nicki Minaj est une femme, elle est noire, elle est jeune, elle est nue, et le Zénith est à ses pieds. Elle a gagné.
S’il y a un « phénomène Nicki Minaj », c’est peut-être ça : une époque où les normes sont brouillées, où l’hybridation règne en maître. Une époque, enfin, où tout devient possible.
Tout ? Même le pire. Allez donc voir son clip Anaconda…
 
Alice Babin
 

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