« Nous sommes nos propres pères, si jeunes et pourtant si vieux, ça me fait penser, tu sais… » Pas le temps de bailler au Corneille, on passe du R&B introspectif au slam révolté avec ce titre : « Nous, si jeunes et pourtant déjà si vieux ». Cet oxymore qui surplombe ce recueil résume l’état d’esprit de ces jeunes adolescents se confrontant à des problématiques d’adultes. « C’est de l’écoute d’une histoire, je veux dire de bon nombre d’histoires, que m’est venue l’idée de ce livre », confie Franck Sénateur. À l’initiative de ce professeur de dispositif d’initiation aux métiers en alternance (Dima)… Un dispositif pour des jeunes rencontrant des difficultés d’adaptation, alternant activité professionnelle tout en suivant une formation à l’école.
Les élèves ont entre 15 à 22 ans mettent des mots là où leurs camarades se réfugient habituellement dans le silence. À l’âge où l’on flâne dans l’insouciance où l’on se dit demain c’est encore si loin, on découvre des jeunes déjà si grave. Il n’y a pas d’âge pour déprimer, mais à 15 ans qu’est-ce qui vous mine le moral ? Tout commence par la préface d’un emblématique « Red Devils » : « Quelle belle idée de faire écrire des jeunes sur leurs rapports à l’autorité ! De les amener à mettre des mots sur un épisode douloureux ou intime de leurs vies. De nous livrer cette parole sans fard ni fioritures » comme le livre si bien Éric Cantona, on va à la rencontre dans ce recueil : d’Ibrahim, Tony, Valentin, Moussa, Téo, Joao et bien d’autres qui nous plongent dans 87 pages de confidence.
« Quand il m’a reçu, le chef d’atelier n’a même pas regardé mon CV, il m’a juste dit qu’il ne cherchait pas d’apprenti. Je savais qu’il mentait et ça m’a rendu triste et en colère aussi, mais je n’ai rien dit » constate Aravintham. L’origine peut être handicap pour un stage. « Ma première arrestation était à mes 11 ans pour des faits que je n’avais pas commis » remarque Ibrahim.
« Quand j’arrivais chez moi, mes parents me dirent que là, je devais partir en France parce que si je restais en Guyane, je risquais d’aller en prison. Ils m’ont donc fait partir en métropole le 5 décembre 2013, au début, j’étais en colère contre ma mère, j’avais l’impression qu’elle me virait… » débite Luiggy. Délit de faciès, excès de zèle… Comment croire à la justice quand on est victime depuis son plus jeune âge d’injustice ? Le reste des nouvelles vont dans ce sens avec ces thématiques au centre de ces récits : la famille, l’école, la police, la justice. Les titres les résument : Qui croire dans la vie, la valeur n’attend pas, injustice, la vie est difficile, discrimination, problème avec la police… On se rend compte que ces adolescents n’ont pas loisir d’avoir les mêmes préoccupations des jeunes de leurs âges respectives.
Je ne suis pourtant pas si vieux, mais je me retrouve parfois dans ces frustrations juvéniles… D’un autre côté, j’ai de la peine pour ces jeunes, « ces petits frères qui ont déserté les terrains de jeux… » qui veulent grandir si vite, en broyant tôt leur adolescence pour marcher sur les traces de leurs parents. À ces témoignages, des noms masculins sont accolés et pour cause l’établissement qui les accueille est majoritairement fréquenté par les garçons. C’est un livre qui se lit aussi bien qu’il s’ouvre… Il se ferme et se rouvrira sur une prochaine version plus féminine.
Lansala Delcielo

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