« Ça a toujours été un rêve caché. », sourit Meryem Bahia, pour expliquer comment elle s’est lancée dans la réalisation. « J’ai toujours voulu faire du ciné, mais quand on est enfant de pauvre, de prolo, on rêve plutôt d’un métier stable, gagner de l’argent, rendre fiers les nôtres ». À 30 ans, la jeune femme s’autorise à réaliser un rêve, avec son court-métrage Les Crapules, et en profite au passage pour embarquer cinq autres jeunes issus des quartiers de la Reynerie, des Izards et de Bellefontaine.

À Toulouse, l’association Defi Production (D.E.F.I pour Dire Écrire Filmer Imaginer, NDLR) accompagne depuis 2019 les réalisateurs amateurs dans leurs premiers courts-métrages. Le dispositif L’avenir en court forme pendant huit mois, tout jeune de 18 à 35 ans, résident des quartiers prioritaires,  ou dans l’incapacité d’intégrer une école de cinéma.


La bande-annonce du court-métrage « Les crapules ». 

L’essentiel : avoir une idée de réalisation. Ça tombe bien, Meryem en avait déjà plein la tête. « C’est comme s’il y avait toute la frustration de ce que j’avais envie de dire, envie de faire… Tout ce que j’avais imaginé sans me l’avouer qui était en train d’exploser à ce moment-là ».

C’est sur les escaliers des grands ensembles du 9 Edgar Varèse, que Meryem rencontre ses acteurs de son film : Nadjib Helhal, Yanis Ayachi, Fatimé Tahir, Abdallah Chabane, Nadir Boukhili, et Maoulida Assani.

L’association Defi Productions permet à des jeunes autodidactes de s’essayer aux métiers du cinéma. 

Devant le local de l’association, sur les marches, ils se rencontrent, discutent. Leurs silhouettes se détachent de la symétrie des barres d’immeubles qui plantent le décor : les barres de la Reynerie, repeintes en blanc, dressées vers le ciel. Sous l’ombre des balcons, cinq adolescents. Face à eux, un sol de béton, des arbres qui se balancent au vent. « Les chibanis qui sont assis sur les bancs là-bas, je me demande souvent ce qu’ils se racontent », s’interroge Meryem, qui a grandi dans le quartier d’ Empalot de la ville rose.

Un petit taquet à Kassovitz aussi qui dit dans le making off de la Haine qu’il n’y a pas de filles au quartier…Ben si, on est là, et on fait des films.

L’ennui et l’attente permanente, comme transmis de génération en génération, lui ont inspiré la scène d’introduction de son film Les Crapules. Shems est seul sur l’escalier, en bas de son bloc. Il attend dans une sorte de léthargie, du haut d’une chaise qui pourrait être son trône : ni envie de jouer au foot, ni envie d’aller en cours. Assa, incarnée par Fatimé Tahir, arrive. Elle a trouvé un livre dans le métro : « C’est l’histoire d’un pilote qui tombe en panne dans le désert », résume l’adolescente devant l’œuvre du Petit Prince. 

La Toulousaine a longuement observé la Reynerie : « Mon premier film est parti de la rencontre avec eux, avec ici. Et de mon envie de mettre un petit taquet à Kassovitz aussi qui dit dans le making off de la Haine qu’il n’y a pas de filles au quartier…Ben si, on est là, et on fait des films. » Les Crapules, c’est une bande de cinq jeunes qui occupent tous le rôle principal, parce que chacun d’entre eux est construit sur un cliché, pour mieux le dépasser.

Les coulisses des tournages chez D.E.F.I. Productions. 

Celle qui a grandi à Empalot connaît ces préjugés : « c’est les mêmes que j’ai entendus de là où je viens, les mêmes que j’ai entendus aux Izards, d’où vient Nadir. C’est l’archétype des sauvageons de quartiers populaires ».

D’où peut-être le choix du titre, provocateur : Les Crapules. « Les gens connaissent le quartier comme une zone de trafic de drogue. Il n’y a pas que la drogue, pas que la violence, on est tous protecteurs entre nous. Tous les jours, des gens font des choses pour réussir dans leur vie. », témoigne la jeune Fatimé.

Il n’y a pas d’histoire qui s’écrit sans les meufs de cité.

La comédienne en herbe, sent qu’elle correspond à son rôle : une femme forte, protectrice, respectée. « Il n’y a pas d’histoire qui s’écrit sans les meufs de cité. Tu ne les vois pas mais elles sont là, elles sont partout », témoigne Meryem. Petite, sa mère lui racontait comment, tous les dimanches à Empalot, les femmes nettoyaient toute la barre d’immeuble ensemble, à coup de seaux d’eau. « Sans les meufs, il n’y a pas de cité, ça n’existe pas ».

De l’envie, de la solidarité, et du système D

Grande fan du cinéma palestinien, Meryem s’inspire de ces « gens qui font des films avec rien dans des contextes dégueulasses de guerre, de colonisation… ». Le système D de la Reynerie, c’est celui de l’association Defi Production, qui s’autorise à « poser un regard, poser une caméra », loin des codes l’apprentissage des écoles de cinéma. C’est aussi faire appel à des acteurs et actrices qui n’avaient jamais pris de cours de comédie auparavant et apprennent la répétition, la patience, tout en n’oubliant pas l’improvisation.

On a tous grandi à la survie, au système D, à mettre une fourchette dans la télé pour qu’elle capte.

« On a tous grandi à la survie, au système D, à mettre une fourchette dans la télé pour qu’elle capte, à faire plein de petites astuces comme ça », raconte la réalisatrice qui assume sa part de débrouillardise. Le film valorise ce savoir-faire populaire, fondateur d’une culture urbaine construite à partir de trois fois rien : « les rappeurs avant, ils faisaient quoi ? Ils mettaient leur poste, un beat, du texte. C’était magnifique. » Aux jeunes Toulousains, Meryem veut transmettre cette même conviction : ne rien attendre de personne, et faire avec ce qu’on a. «On crée nos occasions nous-mêmes ». Pas besoin de le répéter deux fois pour Yanis, déterminé: « On a la dalle de réussir ».

Oser se montrer, se raconter ensemble

Quand Nadjib, l’un des comédiens du film, voyait les gens passer à la télé, il se disait: « pourquoi pas moi ? ». Il a osé frapper à la porte de Defi Production. Pas évident pour lui et les autres, quand il faut affronter les regards extérieurs : « On est timides en fait », explique Fatimé. Les cinq ont grandi ensemble, en primaire, au collège, « on sort pas d’ici », résume-t-elle.

« On sait que nos collègues vont aimer. Mais quelqu’un en dehors de la cité va forcément dire, mais toi t’es nul, pourquoi tu fais acteur ? » confie Yanis qui rêve de percer pour « faire revivre le quartier » et entraîner « les petits » dans le même chemin, mais en plus facile, « comme à Paris ». « J’ai pas envie qu’ils galèrent comme nous. Si on réussit, j’irai les voir et je dirai, si je fais un film je te prends, il n’y a pas de stress ».

De son côté Meryem voit grand aussi. Après la diffusion de son film au festival en ligne Des courts en bas des Tours, elle ambitionne de « faire de la Reynerie la capitale du cinéma de quartier du Sud-Ouest ». 

Floriane Padoan

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