À quelques minutes de l’Opéra Garnier, dans le 2e arrondissement de Paris, dans l’exigu théâtre Dalayrac un tandem fait office d’hôte d’accueil avant qu’on lance les 3 coups. L’un est d’origine camerounaise avec une silhouette longiligne, une coupe iroquoise agrémentée de dreadlocks, l’autre est d’origine algéro-marocaine, plutôt trapu, accompagné de son béret vissé sur la tête. Ces Laurel et Hardy des temps modernes se nomment Raymond Dikoumé, 29 ans, Osman Elkharraz, 28 ans. Le nom de ce dernier retentit avec la 4e de couverture du livre : Confessions d’un acteur déchu – De L’Esquive à la rue.
« Le cinéma, c’est comme une drogue. Quand on tourne, ça fait du bien, ça met plein de couleurs dans la vie. Mais après, quand ça s’arrête, il y a la descente. Et ça peut faire mal, surtout quand on a quinze ans et plus de parents. Voilà, c’est l’histoire d’Osman. » Un passage qui laisse présager un destin semé d’embuche, raconté à travers 232 pages par le biais d’une amitié. Raymond soupire… « On se connaît depuis longtemps, je sais même plus quel âge on avait. Ça remonte à… ». Ce dernier lève les yeux, puis il cherche ses mots avant que le protagoniste de l’œuvre : Osman arrive à la rescousse et réplique avec nonchalance. « 14 ans… À la base on se connait parce qu’on était dans le collègue Henri Dunant ensemble à Colombes [92]… ». Les aléas de la vie, les retombées d’une gloire passée font qu’ils se perdent de vue malgré ce lien tissé depuis leurs périples dans la cour secondaire. Ça s’en va et ça revient comme un certain Cloclo ou comme le fruit du destin empruntant la mécanique d’un boomerang. Dans une ambiance bonne enfant ils miment leurs retrouvailles, devant le bar, sous l’œil perplexe de 3 cadavres, une Badoit, un Fanta, un Oasis dans cette pièce surplombée de rouge avant que l’acteur reprenne le flambeau de son intrigue.
« Je suis au feu rouge à Opéra devant le Gaumont, à l’époque je dormais encore dehors… Je m’arrête je vois Raymond il traverse avec sa petite sacoche… je lui dis : « Yo Raymond ! »». « Yo » répond son interlocuteur avec enthousiasme, suivi d’un tchek, d’une poignée de main secrète. « Il m’explique que c’est pas facile d’être intermittent, les cachets… Je lui ai dit : « écoute, t’as vu moi c’est pareil, je galère aussi… Écoute j’ai une histoire, viens on s’en fait un film ! » Il m’a regardé, je l’ai regardé, il s’est gratté la tête et il a dit : « Ouai, je suis chaud ! À partir de ce moment-là on a repris contact ». »
Entre ces deux artistes, l’un du 5e art, l’autre du 7e art, la mayonnaise prend tout de suite explique Raymond. « En fait moi je suis un mec qui aime les projets… ce qu’Osman m’a présenté ressemblait vachement à ce que j’aimais faire artistiquement. Je suis un mec de Colombes qui est dans le théâtre et la première pièce que j’avais écrite était une tragédie moderne… C’était écrit en alexandrin, dans un décor urbain. La tragédie c’est quelque chose que j’aime beaucoup et que j’ai découvert au théâtre, parce que la versification ça me plaît, la musique ça me plaît, le drame ça me plaît, le ghetto ça me plaît, donc j’ai fait un truc qui réunissait tout ça… ».
OSMAN 872Agacé, Osman interrompt la tirade de son ami en pleine déclaration sur un ton narquois. « Calme-toi, calme-toi quand même, sur une question : « ça-comme » tu ‘emportes ! ». Ce qui déclenche des rires dans cette pièce où l’absence d’hilarité n’est pas permise. Raymond remis sur les rails grâce à son souffleur repart de plus belle : « Attends, j’extrapole… Osman quand il est venu avec son histoire, ça rassemblait tout ce que j’aime ». Un contact renoué, un projet, une alchimie autour d’une œuvre qui devait à la base cinématographique, mais comme le raconte le livre c’est une course sans fin… Ce n’est pas peine perdue, mais avant de se projeter sur des images, il se concentrent sur cette riche histoire et ils tentent l’édition à défaut d’atteindre le grand écran. Lucide, amer, mais digne Osman donne son avis sur leur œuvre.
« Moi j’ai juste à dire, c’est une histoire réelle… j’en suis fier, c’est pas facile et ça ne l’a pas été et je pense que je suis le mieux placé pour le savoir… On n’a pas écrit ça dans des conditions rêvées. Je dénonce personne, je raconte ma vie, je suis pas là pour dire : « Ouais le monde du cinéma ceci, cela… » C’est juste des péripéties de ma vie que je partage aux lecteurs. »
Une tranche de vie se distingue dans ces 232 pages écrites à 4 mains, Raymond partage ce lien de parenté et se livre sur son rôle dans ce livre. « J’ai eu du mal à me définir surtout quand le bouquin est sorti. Je ne savais pas comment parler de moi… quand je parlais, je ne savais pas non plus à qu’elle personne m’exprimer, car j’avais comme une espèce de confusion… je ne sais pas si je devais je, tu ou il parce que dans le livre par exemple je dis : « je » et Osman quand il parle de moi, il dit : « tu », mais Raymond dans le livre c’est : « il », bref j’avais ce sentiment un peu confus. Je me dis que c’est mon livre, mais Osman aussi se dit la même chose et ce n’est pas incompatible… ». Pour qualifier Raymond, il y a ce terme anglo-saxon qui résonne : « ghostwritter ». À la simple évocation de ce mot qui semble péjoratif près des planches de ce théâtre, Osman rétorque pour défendre l’honneur de son coauteur, ami et compagnon de galère. « Mais t’es un fou ! ».
Avant que Raymond remonte sur scène : « On peut et on ne peut pas, car avec Osman c’est une vraie aventure ! ». Sa doublure : Osman revient au pas de charge. « On se ressemble peut-être pas, arrête-moi si je me trompe, mais on est connectée… On est est en wifi lui et moi. Je te cache pas que des fois quand j’étais en galère j’appelais Raymond même si je connaissais du monde… Quelle que soit l’heure ou la chose à faire, il a toujours assuré. » Le dramaturge semble tout de même vouloir clarifier au détriment de ce que pense Osman. « Ghostwritter je le ressens plus maintenant que livre est en rayon. Quand on écrivait le livre, c’était vraiment ensemble… Depuis que livre il est sorti moi je suis vachement dans l’ombre, je suis plutôt l’écrivain fantôme et je comprends mieux le terme. »
On laisse les plumes et l’ombre pour profiter de l’expérience de celui qui avance vers la lumière même s’il fut pendant de nombreuses années en marge de la société. « Je n’ai pas vraiment de message à faire passer, c’est aux lecteurs de prendre ce qu’ils pensent être bon… ».
Lansala Delcielo

1507-1

Confessions d’un acteur déchu, Stock, 2016

Articles liés