Difficile de se remémorer la dernière exposition olfactive en date. L’Institut du Monde Arabe se voit alors en parfaite position pour consacrer un événement aux parfums du monde arabe. Sur deux étages, l’exposition déploie toutes les prouesses techniques pensées par Magique, jeune studio de création de senteurs, et Christopher Sheldrake, un parfumeur britannique ayant (re)composé ces ambiances « orientales ».

Des végétaux aux animaux, en passant par les espaces embaumés publics et privés, l’exposition nous emporte des tanneries à la cuisine jusqu’aux hammams. Tout ce qui touche de près ou de loin à notre odorat se voit traduit en senteurs et en objets, du tapis à fleurs aux fleurs elles-mêmes. Flacons et ustensiles d’extraction des essences, photos des cueilleurs et cueilleuses, jusqu’aux peaux de moutons tannées et aux manuscrits, miniatures et peintures, le parcours se veut thématique et didactique.

Accueilli par un double écran géant où sont projetées des vidéos de montagnes nord-africaines ou de plaines moyennes-orientales, nous pénétrons une large salle sombre à la scénographie d’apothicaire. Elle nous présente les notes les plus identifiables de la parfumerie arabe : essences boisées et odeurs fleuries. Nom scientifique, origine, histoire, évolution à travers le temps et les régions, utilisation, les dispositifs ingénieux et esthétiques nous séduisent et nous accompagnent.

Émanation orientaliste

Tout est bien factuel et descriptif, illustré par du document ancien et de la production contemporaine de la région. Tout sent bon, même ce qui ne devrait pas. Les murs aux couleurs chaudes du deuxième étage nous font entrer dans la ville. Ces quartiers qui vont à l’encontre de la bonne odeur n’en ressortent pas si désagréables, comme si ce que l’odeur nous disait des pratiques culturelles et du rang social disparaissait avec la magie « orientale ».

Tout est lisse et charmant. On aurait même envie d’aller cueillir les boutons de rose dans le Haut-Atlas marocain, vendre les parfums des recettes familiales omanaises dans le souk des parfumeurs à Mascat ou se laver au savon d’Alep dans les hammams d’une Syrie en crise. Ces odeurs capiteuses, sur le rythme de Abdel Halim Hafez, nous enivrent.

Heureux.ses sommes-nous de pouvoir humer le cumin de nos cuisines et la menthe des salons de thé au milieu d’une institution culturelle parisienne. Une madeleine de Proust, un patrimoine délicatement représenté. Il faut reconnaître que toute l’expérience a été justement calculée, pas une note au-dessus de l’autre. La balance est justement dosée comme la narration.

Des parfums « orientaux » associés à une palette d’odeurs chaudes, ambrées et épicées. Une scénographie de bain aux voiles blancs transparents et à l’humidité des corps nus qui s’effleurent sur du zellige. Une salle des secrets d’alcôves où un filet de fumée parfumé s’échappe dans l’obscurité. Plus nous avançons, plus une sexualité arabe et aphrodisiaque, séductrice et sensuelle émerge.

On y discute philtre d’amour, volupté des rencontres, charge érotique des ambiances… Le champ lexical orientaliste dont parlait Edward Said dès 1978 est posé. Les peintres et écrivains du XVIIe siècle nous transportaient à la vue de leurs tableaux ou à la lecture de leurs romans. L’Institut du Monde Arabe nous porte par les odeurs des Parfums d’Orient.

Plaisir coupable

Alors Parfums d’Orient se visite presque comme un plaisir coupable. L’exposition est à mi-chemin entre le réconfort des odeurs familières à sa diaspora et le péché d’apprécier une curation peu intéressée des revendications sociales et écologiques. Elle affiche comme mécène principal Total, dont les activités d’extraction des ressources fossiles n’épargnent pas ces terres que nous visitons ici aveuglés d’un imaginaire romancé.

L’exposition-évènement Parfums d’Orient à l’Institut du Monde Arabe à cours jusqu’au 17 mars 2024, toutes les informations sur leur site internet.

 Zahra Allouche-Binet 

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