Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui même. On croit qu’on va faire un voyage mais bientôt c’est le voyage qui vous fait ou vous défait.
Nicolas Bouvier
Merci à Roger Ritter
Aujourd’hui, c’est pas une journée comme une autre.  Je vais faire ce que j’ai jamais osé faire de ma vie. Pas une seule fois, j’ai désobéi à mon père, avant ce jour. S’il me voit de là-haut, j’espère qu’il me pardonnera. Déjà 45 ans qu’il est mort.  Il nous manque. Faut pas que je pense à lui sinon je vais me mettre à regretter d’avoir accepté. En plus, j’ai réussi à convaincre ma sœur de venir avec moi. Notre premier voyage ensemble. On est excités comme deux gamines.
Plus de 150 ans à deux que nous vivons dans cette vallée.  Nous sommes nées dans la ferme. Elle en 1926 et moi deux ans après. Dans la même chambre au premier étage où resta Papa jusqu’à sa mort. On voulait qu’il dorme en bas à cause des marches mais il a jamais voulu. Je finirai là où elle a fini, grogna-t-il au toubib. Notre frère, plus âgé que nous de sept ans, s’est fâché avec les parents.  Je sais pas s’il est encore vivant ou mort. On l’a plus revu depuis qu’il est parti.
Papa voulait qu’il reprenne l’exploitation pour qu’elle reste dans la famille. Il n’y en avait que pour notre frère. Lui avait le droit d’aller à l’école. Papa disait qu’il fallait qu’il s’instruise un minimum pour se défendre face aux banquiers et aux autres qui  lorgnaient sur nos terres. Alors que ma sœur et moi donnions un coup de mains à Maman. Normal que Papa préfère notre frère. Sans lui, c’était la fin de notre nom.
Depuis tout petit, il détestait les travaux de la ferme. Pas du tout intéressé par devenir paysan. Quel métier voulait faire notre frère. Il ne savait. La seule chose dont il était sûr est de jamais être paysan. Même l’odeur de l’étable le dérangeait. Devançant le service militaire, il s’était engagé dans la marine. Un soir, j’avais entendu une grosse engueulade entre Papa et lui.  Le frère disait qu’il préférait être sur un bateau qu’au cul des vaches. Et Papa gueulait de plus en plus fort. Il donnait des coups de poing sur la table de la cuisine. J’ai même cru qu’ils allaient se battre. J’ai pleuré au fond de mon lit. Ils ont parlé jusqu’à très tard dans la nuit.  Le lendemain matin, Papa était déjà à la grange quand je me suis levée. Maman était debout, les mains croisées dans le dos. J’ai entendu le bruit de l’escalier. Mon frère a posé son sac sur le carrelage. Debout, il a avalé son café et est sorti sans un mot.  Ma mère lui a couru après. Je les ai vu par la fenêtre. Ils parlaient dans la cour. Puis ma mère est revenue. Il est passé devant la grange sans s’arrêter et a pris le chemin qui descend au village. Dernière fois que je voyais mon frère.
Après cette dispute, Papa, qui déjà parlait peu, a pas ouvert la bouche pendant des semaines. Ni à Maman, ni à nous deux. Sa bouche serrée, ses yeux toujours noirs de colère. De temps en temps, il partait dans la forêt avec son fusil et on entendait des coups de feu. J’avais peur pour Papa. Chez nous, les hommes tristes pleurent pas, ils se tuent.  Depuis le départ du frère, Papa était plus du tout le même. On aurait cru qu’il voyait plus personne. Quand je lui parlais, il ne répondait pas. Je savais pas quoi faire. Avec ma sœur, surtout elle plus douée que moi, on essayait de le faire rire. Même pas un sourire. Quand je l’ai dit à Maman, elle m’a expliqué qu’il finirait par se calmer. Elle pleurait tous les jours. Je crois qu’elle aussi avait peur. Chaque jour, on attendait le pire. Tendues du matin au soir.
Un jour, ma sœur et moi, pour aider Maman, nous retournions la terre. Papa, toujours occupé avec ses bêtes et son tracteur,  venait jamais dans le potager de Maman.  Il s’est approché de nous, presqu’en courant. Ses sourcils froncés. On a eu peut.  Il m’a pris la bêche de la main. Ma sœur s’est accrochée à mon bras.  De sa voix grognante, il nous a expliqué  le bon geste pour ne pas se fatiguer. Le lendemain, il nous expliqua autre chose. Tous les jours, on apprenait quelque chose de nouveau. Puis, un jour, il nous a appris à conduire le tracteur. Mon rêve : monter avec lui pendant qu’il labourait. Que j’étais heureuse. Papa nous aimait aussi ma sœur et moi.
Maman avait raison : sa colère était passée. Tout ce que son fils voulait pas apprendre,  il nous le transmettrait. Jour après jour, il nous appris les travaux de la ferme. Il était dur. On avait pas beaucoup le droit à l’erreur. Tous les deux étaient très sévères. Interdiction de sortir avec les autres gosses du village. Nos chambres devaient être propres. Chaque dimanche avec Maman à la messe. Papa ne venait jamais à l’église. Pour lui, Dieu et toute sa bande étaient des escrocs comme les politiciens. Papa aimait personne, à part Maman, ma sœur et moi, et sa terre. Sans doute sa terre avant le reste.
La seule fois ou Papa quitta la ferme c’était pour le service militaire. A son retour, il épousa Maman, elle aussi du village. Tous les deux reprirent l’exploitation.  Bourru, Papa se fâcha avec la famille et tous les voisins. Maman, qui essayait toujours d’arrondir les angles, mourut quand j’avais l’âge de 10 ans. Après sa mort, de moins en moins de gens venaient nous voir chez nous. Bien que plus jeune que ma sœur c’est moi qui remplaça Maman. Dès la sortie du cimetière,  j’étais presque une femme. Une gosse vieillie en accéléré. Mon enfance s’est terminée dans les yeux mouillés de Maman.
Après sa mort, Papa se referma encore plus. Chaque jour, il nous mettait en garde contre nos ennemis à nous trois. Les  gens de la famille ou certains villageois dont certains voulant récupérer nos terres, les plus importantes du hameau. Mais aussi contre notre frère qu’il appelait « le traître » en fermant le poing. Du facteur aux vendeurs de la coopérative agricole qui se trouvait à 500 mètres,  tous étaient des individus qui pouvaient être dangereux. Différents de nous trois. Il fallait s’en méfier comme de la peste. Des gens pas comme nous.
Ma sœur et moi on a commencés à se méfier. Papa nous avait donné un couteau à chacune et appris à tirer avec sa carabine. Moi j’étais imbattable au tir.  On était prêtes à se défendre contre ceux qui  essaieraient de nous piquer notre terre. Toute personne, hors de notre trio, était un danger. Surtout les hommes. Papa nous avait expliqué  que certains hommes de la ville passaient dans la campagne pour promettre plein de trucs très beaux aux filles.  Ils apportaient de belles affaires, des parfums, et un tas d’autres objets qu’on a pas ici. En vérité, ils les enlevaient et les envoyaient comme esclave ou pour faire le trottoir à l’étranger. Nous, on était bien prévenus ; on ouvrait à personne. Ma sœur et moi on aime pas les  hommes.  A part Papa. On sortait pas de la ferme. Ca nous gênait pas de rester entre nous.  On avait tout ce qui fallait ici. Une fois par mois, Papa allait faire les courses. Nous l’attendions à la ferme, la porte fermée à double tours. Sa carabine à côté de moi  jusqu’à son retour.
Un soir, peu de temps avant de mourir, il nous avait demandé de venir le voir dans le salon. Il était assis devant le feu de cheminée. Son visage était pas comme d’habitude.  Même avec la couverture sur le dos, il tremblait de froid. Je me souviens par cœur de ce moment. Il nous a demandé de lui promettre de jamais nous marier. La ferme et nos terres devaient rester à nous pour toujours. A notre nom. Il s’est mis à insulter le frère comme s’il était en face de lui. Ses joues étaient rouges. Il arrêtait pas de cracher.  Son front était plein de sueur. Il nous répétait que fallait pas que nos terres tombent entre  les mains d’une autre famille. On peut jamais faire confiance à quelqu’un d’autre que nous trois. Si on refusait, il préférait y mettre le feu. Première fois que je le voyais chialer. Le même regard que quand il est venu nous dire que Maman était morte. Je me mordis les lèvres pour pas pleurer. Papa aimait pas les gens qui s’étalent.
Que répondre. Ma sœur a promis. Il se tourna vers moi. Je baissais les yeux. Ma sœur me donna un coup de pieds dans le tibia. Et si je tenais pas ma promesse ? On sait jamais. Je voulais pas lui mentir. J’avais jamais menti à Papa. Une seule fois à Maman quand j’ai déchiré le rideau de la cuisine. Non. Je pouvais pas mentir à Papa juste avant sa mort. La tête toujours baissée, j’ai dit « Je te le promets, Papa ». Il m’a relevé le visage, m’a regardé droit dans les yeux, et m’a embrassé sur le front. Ses lèvres très chaudes tremblaient. Jamais il m’avait embrassé. A ce moment là, j’ai su que je tiendrai ma promesse et resterai jusqu’à la fin de mes jours sur nos terres. Toutes nos terres. Je voyais qu’il était très fier de nous deux. La cheminée s’éteignait. J’ai été chercher du bois dans l’appentis. Il a dit à ma sœur de descendre à la cave. Première fois que je buvais du champagne. Je préfère notre vin à nous.
A sa mort, nous avons continué de vivre ici. Chacune dans notre chambre de gamine. Heureuses ? Je saurais pas le dire. On vivait sans penser à tout ça. Le bonheur et le malheur étaient pas inscrits sur notre calendrier. Seuls la terre, le ciel et nos bêtes comptaient pour nous. Rien d’autre. Pas le temps de se poser des questions avec tout  ce qu’y avait à faire à la ferme.  Que toutes les deux pour nous en occuper.  Un gros boulot du matin au soir. Beaucoup pensé que nous aurions craqué. Surtout ceux qui voulaient racheter la ferme.
Deux femmes seules ça attirait les hommes. Ceux du village, ou plus loin dans la vallée, qui ont essayé de nous proposer la botte doivent se souvenir des crocs des chiens et des coups de fusil en l’air. Hors de question de trahir notre promesse. A force ça c’est su que nous étions des « femmes non mariables » et on a foutu une paix royale. Certains ont fait croire que nous faisions des cochonneries ensemble ou avec nos bêtes. Papa avait raison de les haïr les autres.
Comme Papa, nous  faisons confiance à personne. Papa disait toujours «faut compter que sur soi les filles». Grâce à lui, nous nous sommes débrouillées toute seules. Jamais rien demandé à qui ce soit. Et nous avons mangé à notre faim tous les jours. Pas comme tous ces gens qu’on voit à la télé qui font la queue pour demander des aides pour manger. Des mendiants. Pourrait pas se bouger le cul au lieu d ‘attendre que ça leur tombe tout droit dans le bec. Quelle honte !
Papa disait que tout ce merdier c’était la faute des autres. A cause d’eux que rien allait plus comme avant.  Les autres c’étaient le type qui s’occupait de son compte à sa banque, le maire du village, les gens de la ville, ses voisins, les chasseurs qui laissaient traîner leurs saloperies sur ses terrains, son traitre de fils, le PMU, Dieu, les saisons, ceux nés avec une cuillère dans la bouche, le boulanger qui cuisait trop le pain, les quads qui font peur aux bêtes…. Tous ceux qui nous dérangent. Moi, je suis d’accord. Les autres sont de plus en plus en plus nombreux. Et en plus il  nous empêchent d’être entre nous.
Quand il était très en colère, Papa disait qu’il faudrait un nouveau Pétain ou même un Hitler français. Repartir de zéro. Il rêvait d’une France comme avant. Comme celle de ses parents et nous jusqu’aux années 70. Lui était sûr que tout avait commencé à merder à l’arrivé des ordinateurs. Pour pisser faudra qu’un jour tu connaisses le code d’ouverture de ta braguette, disait-il quand il avait un petit coup dans le nez. Il détestait tout ce qui était nouveau. Surtout quand il arrivait pas à le comprendre. Même le téléphone l’agaçait.
L’un de ses cousins, garagiste dans un village sur la falaise, s’engueulait souvent avec Papa. Il le traitait de faschiste. Je comprenais pas pourquoi ils s’énervaient que pour des mots. Plusieurs fois, ils ont failli se battre. C’était le dernier qui venait nous rendre encore visite. Mais je donne raison à Papa.  Il aurait pas supporté  tout ce qu’on voit de nos jours. On peut pas continuer comme ça.
En plus, avec ces escrocs de là-haut à Paris et là-bas en Europe, l’agriculture et l’élevage se sont complètement cassés la gueule. Des cravatés qui ont jamais mis les mains dans la terre, jamais sué avec une pioche à la main,  qui nous donnent des leçons le cul dans leurs fauteuils à je sais pas combien d’€uros. Avec leurs nouvelles lois, c’est trop dur de bosser. Plus personne  veut devenir paysan. Et je les comprends. C’était mieux avant quand on a commencé, nous. Je dis pas que c’était facile, mais au moins tu crevais pas la dalle. Pas un hasard si un agriculteur par jour se suicide. Tout le monde s’en fout. Pas un gosse dans les alentours pour reprendre. La fin d’une époque.
Nous deux on cultive plus du tout pour vendre, juste pour nos besoins quotidiens. Plus que quelques poules et lapins. Et notre dernier âne très usé.  La dernière bête achetée par Papa. Tout le monde nous a conseillé de l’abattre. Jamais de la vie. Il finira de sa belle mort, sur notre terre.
Les fermes de la vallée ont été vendues pour être transformées en résidences secondaires. Pas des gens comme nous. Des femmes et des hommes  qui nous regardent comme si on était des bêtes sauvages. Pas parce qu’on a pas d’instruction qu’on est idiotes. Y a aussi des « deux mains gauches » comme ont les appelle ici qui essayent de travailler la terre. Pas longtemps. Faut pas avoir un poil dans la main pour vivre de la terre et des bêtes. La terre ça se mérite.
Pour ces nouveaux habitants, ma sœur et moi sommes des folles. C’est vrai qu’on est pas comme les autres anciens qui leur cirent les pompes car ils peuvent gratter un petit  truc à se mettre dans la poche. Nous deux on veut pas fréquenter ces gens-là de la ville. En plus, ils comprennent pas qu’on leur vende même pas un  mètre carré. Pourtant, ils en ont proposé de l’argent. Je les hais. Des étrangers de la ville qui ont rien à foutre chez nous. Ils vivent pas comme nous de la vallée. Je vois bien en plus qu’ils mangent pas comme nous. Dans la maison de l’autre côté de la rivière,  il y a deux hommes qui vivent ensemble. L’autre fois, ils se tenaient la main au village. Pas honte de faire ça en public, devant des gosses. Y ont qu’ à retourner chez eux à la ville. On va pas les emmerder, nous. Chacun chez soi. Dès que j’en vois un qui passe par nos bois, j’envoie les chiens. Et s’il veut jouer au malin, je sors le fusil. Ils ont la trouille de nous deux. Nous deux ça nous fait marrer.
Et encore,  ils savent pas qu’à la mort de l’une, l’autre mettra le feu à la ferme et à nos bois. Plus rien ci. Les deux sœurs finiront ensemble dans les flammes. Sur la terre de Papa. Personne vivra chez nous.
Ma sœur et moi avons un secret. Personne à part nous deux le sait. Papa est enterré dans le cimetière, au centre du village. Enfin c’est ce que tout le monde croit. Lui voulait rester dans sa terre. Quand ils sont tous partis, ma soeur et moi on a ouvert le cercueil et mis des pierres très lourdes dedans. Personne a rien vu. Papa est enterré sous son arbre préféré. Chaque matin, on va lui dire bonjour. Je crois qu’il aurait aimé que Maman soit avec lui.  Mais ça, c’est pas possible. En tout cas, moi je veux être enterré à côté de lui. Dans notre terre.
Seulement un couple de jeune que j’aime bien dans la vallée. Ils sont installés depuis deux ans à un km de chez nous et élèvent des chèvres. Pas des fainéants. Et leurs bêtes sont toujours impeccables. En plus, ils nous regardent pas de haut. Quand ils savent pas un truc, ils le disent. Pas comme les autres qui croient tout savoir parce qu’ils savent bien parler. Ces deux p’tits jeunes c’est les seuls qui viennent nous rendre visite et nous demander si on a pas besoin de quelque chose. A eux, ça me gêne pas de me demander un service.  Ils nous changent la bouteille de gaz et nous aident à remplir toute la paperasserie d’aujourd’hui. Lui crache jamais sur ma gnole. Papa les auraient aimés, eux. Pas comme nous, mais pas mal.
Quand ils nous ont proposées ce voyage, j’ai fait semblant de pas entendre.  Faut dire que je leur en ai si souvent parlé. Au début, il croyait que je plaisantais. Pas une blague. Pourquoi leur avoir raconté tout ça ? En vieillissant, je deviens trop bavarde. Papa disait toujours que celui qui sait pas tenir sa langue est pas maître de sa cervelle. Trop tard, c’était dit. Et ils sont revenus le lendemain pour nous le proposer. Nous avons refusé. Déçus, ils sont partis. Plus de notre âge de voyager.
Deux jours après, je suis allée les voir en leur faisant croire que l’un de nos chiens s’était enfui vers chez eux. En vérité, je voulais leur dire que j’avais changé d’avis. Quand j’ai raconté ça à ma sœur, elle a piqué une colère en pointant son doigt sur la photo de Papa au mur. Pas du tout d’accord. Elle voulait pas venir avec moi. Pourtant je savais qu’elle aussi en rêvait. Pas sûr que nous puissions avoir une autre occasion de faire ce voyage. J’ai insisté jusqu’a ce qu’elle craque.
Les voisins ont garé leur voiture devant la porte de chez nous. Je reste derrière la fenêtre de la cuisine. Incapable de bouger. Au dernier moment, j’ai la trouille. Papa aurait pas voulu que je le fasse ce voyage. En plus dans une voiture avec des gens pas comme nous. C’était lui qui faisait tout pour nous deux. Il nous protégeait. Rien ne pouvait nous arriver à la ferme. Un paradis. Notre paradis à tous les trois. Son corps dans notre terre a continué de nous protéger. Si on s’en va d’ici, il pourra pas nous aider. On sera en danger. Ils klaxonnent.
Ma sœur a la trouille de rentrer dans la voiture du couple. Je suis obligé de l’engueuler. Elle a les larmes aux yeux. Comme, depuis gosse, elle se calme quand je lui caresse la joue. A l’intérieur, ça sent la cigarette et le parfum. Ils nous aident à mettre les ceintures de sécurité. Puis la voiture démarre. La jeune femme se retourne vers nous et sourit.
Mon cœur bat très fort. J’ai un peu peur mais veut pas le montrer à ma sœur qui risque de paniquer encore plus. Ça va vite.  Trop vite. J’ai la tête qui tourne. La route monte. De plus en plus haut. J’ai envie de vomir. Je ferme les yeux et serre la main de ma sœur. Comme quand on était petites.
Enfin, la voiture s’arrête. On arrive pas à défaire nos ceintures. Ils nous les enlèvent et ouvrent les portières. Ma sœur ne veut pas avancer, moi non plus. Tout mon corps tremble. J’ai le vertige. Ma sœur se met à sangloter. Elle veut repartir, rentrer chez nous. Le couple nous prend chacune par le bras et. Je m’accroche au bras de mon voisin. Ils nous emmènent un peu plus loin. On s’arrête devant une rambarde en bois.
J’ai le souffle coupé. Incroyable ! Nous sommes au-dessus de notre ferme et de nos champs. Plus hautes que la fumée qui sort de notre cheminée. Je vois l’acacia au-dessus de la tombe de Papa. Tout est si petit. Notre  tracteur et la tonne à eau ressemblent à des jouets. On dirait que c’est pas vraiment chez nous. J’ai l’impression que c’est comme un autre pays. A 87 ans, je chiale comme une gamine.
Mouloud Akkouche

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