« Il y a des enfants qui vont grandir dans ce monde sans aucune représentation d’eux-mêmes », souffle Diariatou Kebe. A la naissance de son fils, elle part à la recherche de lecture pour tout petit mais tombe des nues.  « Il y a dix ans, je pensais que le problème était réglé« , constate-t-elle avec amertume.

Puis elle cherche, fouille, et finit par trouver. Ces découvertes littéraires, elle les propose à son fils, et les partage ensuite sur Twitter. Dans la foulée, l’association Diveka est créée en 2016 pour la promotion d’oeuvres littéraires avec une meilleure représentation des minorités dans leur ensemble. « L’idée, c’est de parler de livres qui ne sont pas mis en avant. On ne se positionne pas seulement sur cette question, mais également sur le sujet du handicap par exemple« , résume Diariatou Keba, présidente de l’association.

Une aiguille dans une botte de foin

En France, plusieurs associations espèrent ainsi voir les lignes bouger. A Clichy (Hauts-de-Seine), D’Un livre à l’autre organise le Salon du Livre Jeunesse Afro-caribéen depuis plusieurs années. Du côté des libraires également, on essaye de promouvoir plus de diversité. « Il y a les choses qui se vendent d’elles-mêmes et les choses que l’on vend« , assure Quentin, libraire à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

Proposer une bande dessinée avec une héroine badass ou conclure la vente d’un roman avec un personnage noir qui devient la figure principale de l’intrigue : les consommateurs ressortent ravis; les commerçants tout autant. Malgré tout, chez certains consommateurs la lassitude se fait sentir. « C’est hyper dur de trouver un livre avec personnage noir sans girafe », siffle-t-on dans l’un des rayons d’une libraire de Montreuil.

Les parents racisés viennent vers nous, mais les parents blancs se sentent de plus en plus concernés par la question

« Il y a une évolution du côté du monde anglo-saxon. Les choses n’avancent pas vite, mais au moins il y a une prise de conscience« , ajoute Diariatou Kebe. L’association Diveka propose aux adhérents sa propre grille d’évaluation afin de repérer les stéréotypes racistes présents dans la littérature jeunesse.

« En général, les parents racisés viennent vers nous, mais les parents blancs se sentent de plus en plus concernés par la question« , assure la présidente. « Pour certains, cela ne va pas de soi qu’on puisse être le sujet d’un livre. C’est horrible à dire« , analyse avec lucidité Diariatou Kebe. « Je pense que le lectorat est très conscient de l’état du monde de l’édition”, ajoute Quentin, libraire à Montreuil.

Quelques rues plus loin , Marion, dans la libraire de la boutique spécialisée Des rires et des livres à Montreuil, observe une augmentation de la demande d’une littérature plus représentative. Mais pour elles les comptes n’y sont toujours pas sur les étagères. « Mon rôle est de montrer aux enfants -et aussi aux parents- qu’il existe une diversité, quelle qu’elle soit. Mais l’état de l’édition est catastrophique. On est tous lésés« , tranche-t-elle.

A un papa (blanc) qui cherche conseil pour une fille de cinq ans, Marion propose instinctivement Si tu viens nous voir sur Terre de Sophie Blackall. L’album retranscrit la lettre fictive envoyée à un extra terrestre pour le convaincre de visiter notre monde. « On y voit des gens de toutes les origines, toutes sortes de familles. Je l’ai lu quatre fois. Cela n’arrive jamais!« , s’exclame la libraire. Au fil des pages, on croise notamment la journaliste Rokhaya Diallo, ou encore la représentante démocrate Alexandria Ocasio-Cortez.

Une seule référence qui freine les autres maisons d’édition

Quentin se dirige plus volontiers vers La princesse qui n’aimait pas les princes d’Alice Brière-Haquet où l’héroïne finit avec une fée noire. « Mais je reviens toujours à celui-là« , déplore-t-il. « On aimerait être plus force de proposition ».

« Les clients nous font des demandes et l’on se retrouve bloqués. Alors que la demande n’a rien d’aberrant », confie Yvonick, chargé du secteur littérature jeunesse à Folie d’Encre-Chantefable à Montreuil. Dans son rayon, parmi les centaines de références, on trouve bien un livre illustré qui aborde le sujet des familles recomposées avec des personnages racisés, mais l’ouvrage semble perdu dans la mêlée. En fouillant, on tombe coup sur coup sur Comme un million de papillons noirs et Le chemin de Jada, écrits par Laura Nsafou.

Paru en 2017, Comme un million de papillons noirs a connu un succès retentissant. Après la fermeture de sa première maison d’édition, l’éditeur Cambourakis en a récupéré les droits. L’ouvrage approche désormais les 15 000 impressions. »C’est un livre emblématique« , résume Marion, libraire depuis 17 ans. « Le problème, c’est que les clients qui demandent un livre avec une héroïne noire se voient systématiquement proposer celui-là« , explique embêté Quentin. « Je crains qu’il n’y ait un ‘effet Omar Sy’ appliqué à la littérature jeunesse et que les maisons d’éditions hésitent à publier d’autres livres sous prétexte que celui-ci existe déjà », affirme Diariatou Kebe.

« Le paradoxe autour de ce livre, c’est que les médias ont mis beaucoup l’accent sur les cheveux crépus de l’héroïne. Beaucoup de clients ne sont pas sentis concernés. Alors que l’histoire aborde la problématique des complexes« , développe Marion. « Habituellement, on trouve un personnage noir dans un livre parce qu’il y a une problématique autour du racisme », poursuit-elle. Et si, d’après elle, la littérature jeunesse doit donner « des outils » aux futurs adultes, cette assignation « n’est pas juste » pour eux.

Les personnages racisés : d’objet de fiction à sujet politique

De plus, « on n’a pratiquement jamais le ressenti de ces enfants face aux discriminations« , poursuit Diariatou Kebe. Porte étendard du vivre ensemble ou héros d’une action située bien loin de l’Hexagone, les personnages noirs sont rarement présents dans un livre pour rien. Ils portent des messages ou les fantasmes de ceux qui les imaginent – des « discours » comme dirait Michel Foucault. « La situation est encore pire pour les personnages maghrébins. J’essaye de trouver des livres pour enfants mais je tombe toujours sur des livres qui traitent de la religion« , s’alarme Diariatou.

L’association Diveka a mis en place depuis 2019 des ateliers d’écriture et des masterclass avec Laura Nfasou pour contourner ces biais. « Nous avons reçu une institutrice et un professeur d’Histoire pour aborder la question de l’esclavage expliqué aux enfants. Il faut que l’on sorte du ‘les Blancs nous ont libéré’ « , souffle la jeune maman.

Outre les ouvrages de Laura Nsafou, les lecteurs et lectrices peuvent découvrir les aventures de Carl et Elsa. En Suède, Carl vit mille et unes aventures avec sa meilleure amie Elsa. L’un des héros principaux de cette série de trois albums est métisse, « mais en soi on s’en fiche« , affirme Marion. « Je ne l’ai même pas commandé parce que le personnage était racisé. C’est juste l’histoire de deux enfants. La présence de personnages noirs doit rentrer dans la normalité« .

Les tomes de Jenny Westin Verona & Jesus Verona sont aussi les coups de cœur d’Yvonick pour cette raison. « Vous avez entendu parler de l’essai de Aïssa Maïga, Noire n’est pas mon métier? Pour la littérature, c’est pareil : ouvrez les castings putain« . Chez Diveka, on prévoit la sortie d’un livre jeunesse pour l’année 2021. Comme pour le cinéma, il n’y pas de raison de laisser la littérature française tranquille.

Méline Escrihuela

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