Mercredi 27 mars, l’association Banlieue Climat a réalisé une action au Palais de Tokyo diffusée en direct sur Instagram. Féris Barkat, l’un des fondateurs de l’association, était accompagné d’une dizaine de jeunes. Avec la complicité du Palais de Tokyo, ils ont infiltré le musée en passant par des passages souterrains pour y installer un tableau tagué : « Pour la culture, pour le futur ».

À travers cette action, Féris revendique un accès plus juste à la culture. Ainsi qu’une meilleure représentation des jeunes au sein des lieux et des institutions culturels. Un combat qui rejoint son engagement écologique avec Banlieue Climat. L’association porte l’ambition de former les jeunes issus des quartiers populaires aux enjeux climatiques.

Nous nous sommes entretenus avec Féris et le rappeur Sefyu, lui aussi cofondateur de l’association, sur l’action menée au Palais de Tokyo, mais aussi sur l’importance de mêler culture et quartiers populaires aux enjeux climatiques.

Auparavant pour le Bondy Blog, Féris nous expliquait ses motivations et son combat avec Banlieue Climat. Sefyu, raconte-nous ton engagement au sein de l’association.

Sefyu : Avant d’intégrer le projet Banlieue Climat, j’étais déjà plus ou moins concerné par l’écologie. C’est un sujet qui intègre l’une de mes activités dans une autre association. En ce qui concerne mon histoire personnelle, mes parents ont toujours eu ce regard écologique. Ils ont toujours été des recycleurs de produits pour la maison.

Mes parents transformaient les vieux t-shirts qui devenaient des torchons ou encore gardaient les contenants des produits de liquide vaisselle et les remplissaient en achetant simplement le produit. Donc au sein même de mon éducation, j’étais déjà sensible à la question de l’environnement.

Féris : Sefyu qui soutient le projet pour moi, c’est une chance exceptionnelle ! C’est quelqu’un qui a une posture très engagée. On le voit à travers ses textes et même à travers les conférences qu’il donnait après ses concerts. Avec Banlieue Climat, on voulait montrer l’exemple aux jeunes des quartiers populaires et Sefyu n’a pas hésité à venir.

Banlieue climat a pour vocation de former et de sensibiliser le grand public au climat. Pourquoi est-il important de former les acteurs culturels à l’écologie ?

Féris : La culture, c’est la représentation du monde. Elle instaure des références culturelles, des perceptions de valeur au sein des esprits et il est difficile de se défaire de ces images une fois qu’elles sont en place. L’art est une des portes vers la sensibilisation à l’écologie. Selon moi, l’un des problèmes du milieu de l’art est l’élitisme qu’il y a autour. C’est un milieu qui est fermé et qui a toujours dicté sa définition du beau.

Il ne faut pas que la culture soit monopolisée par une minorité et je pense qu’il est important d’y voir des acteurs culturels issus de différentes classes sociales. Il y en a de plus en plus, mais ce n’est toujours pas assez. Si on veut proposer des alternatives écologiques, on doit pouvoir les imaginer et s’il faut les imaginer, alors on a besoin de l’art. Il faut donc optimiser l’espace d’attractivité autour de l’art et la rendre accessible pour les jeunes de quartiers afin qu’ils se l’approprient et qu’ils puissent raconter leur réalité sociale pour faire changer les choses.

Cette semaine, vous allez mener un projet assez particulier avec le Palais de Tokyo. Pouvez-vous nous en parler ?

Féris : On va s’imposer dans la manière de rentrer. Même si le Palais de Tokyo nous ouvre ses portes, on va quand même passer par la fenêtre ! Nous allons infiltrer le musée avec une dizaine de jeunes. Pour y accéder, on va passer par des trappes souterraines un peu sombres. L’objectif est de surprendre tout le monde, de choquer et de faire parler pour que notre message soit entendu.

Sefyu : Le problème que nous pointons aujourd’hui est que les jeunes de banlieues ne ressentent aucune légitimité à produire et à consommer l’art moderne. L’objectif est donc de décloisonner les verrous psychologiques qui séparent l’art et les jeunes des quartiers et s’écarter des activités que l’on nous accorde uniquement comme le football, le rap ou les sports de combat.

Nous aussi, nous pouvons nous approprier cette culture et nous pouvons y avoir accès au même titre que l’écologie. Et pour marquer l’événement, nous allons y réaliser cette mission coup de poing au sein du Palais de Tokyo.

L’une des portes d’entrées à la culture pour les jeunes des quartiers populaires est le rap. Selon vous, le rap peut-il devenir écologiquement engagé ?

Féris : C’est possible si on décrit une nouvelle forme d’écologie. Si on parle de manière brute de fonte des glaces, d’ours polaires et de dérèglement climatique dans des textes de rap, cela risque d’être compliqué d’attirer les jeunes des quartiers populaires. Ça n’évoque rien de leur réalité, ce n’est pas inscrit dans leurs codes. Par contre, on peut raconter l’écologie différemment, un peu comme l’a fait Zamdane dans son titre Poussière lorsqu’il dit : « J’ai poussé sur le béton, comment veux-tu que je connaisse l’éclosion ? ». Le rap est un outil accessible et une force intéressante pour sensibiliser. Je pense que c’est possible simplement en re-définissant l’écologie avec les références culturelles des jeunes issus des quartiers populaires.

Vous êtes tous les deux issus de générations différentes. Est-ce que vous observez des différences générationnelles dans le rapport entre les quartiers populaires et l’écologie ?

Féris : Chez mes parents, le rapport à l’écologie est inné, ça s’appelle la hess. Ce qui a changé entre nos deux générations, c’est l’évolution scientifique. L’exigence scientifique est très importante pour nous aujourd’hui parce qu’on a beaucoup plus de connaissances sur le sujet qu’avant. Ce qui est aussi assez surprenant, ce sont les différences générationnelles en fonction de la classe sociale. Nos parents, qui sont issus des classes ouvrières, sont plus écolos que nous, leurs enfants. Et à l’inverse, dans les classes aisées, ce sont les enfants qui adoptent des comportements éco-responsables.

Sefyu : Déjà à notre époque, on vivait l’écologie à travers nos comportements et surtout à travers les habitudes de nos parents. Par exemple, on prenait des appareils dans des débarras pour les réutiliser et parfois, on ramenait ces mêmes appareils au bled pour les réparer. D’ailleurs, en Afrique, on portait déjà un regard écologique dans la vie de tous les jours. Par rapport à l’époque de nos parents, ce qui a changé aujourd’hui, c’est qu’on a formalisé l’écologie. On parle de reconditionnement et de recyclage, on a réussi à mettre des mots techniques et à intellectualiser les pratiques qu’avaient nos parents à l’époque.

Propos recueillis par Sélim Krouchi

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