« En France, on nous appelle toujours « les Arabes », on nous enferme dans une identité qui n’est pas la nôtre. C’est pour cela que ça me tient à cœur de faire connaître et rayonner la culture amazighe », explique Hayet, fondatrice de la marque Berberism, qui commercialise des bijoux et autres accessoires inspirés de cette culture. Avec près de 40 000 abonnés sur Instagram, cette créatrice d’origine algérienne partage fièrement son travail, qui s’inscrit dans un combat cher à la diaspora berbère : préserver l’héritage amazigh.

En Afrique du Nord, les Berbères – ou Imazighen – militent activement pour une meilleure reconnaissance de leur patrimoine plurimillénaire. À cause des politiques d’arabisation menées au XXe siècle, mais aussi de l’exode rural, on compte de moins en moins de berbérophones dans les différents pays de la région. À force de mobilisation, la communauté amazighe a récemment obtenu quelques avancées notables : au Maroc (2011) et en Algérie (2016), la langue berbère a été reconnue, au même titre que l’arabe, comme langue officielle du pays.

En Europe, du fait de l’immigration, les liens des Berbères avec leur culture d’origine – a fortiori chez les plus jeunes – se retrouvent davantage fragilisés. Mais ces dernières années, des membres de la diaspora amazighe tentent de préserver leur héritage en sensibilisant les autres membres de la communauté à cette cause.

Quête identitaire et réappropriation culturelle

Kahina, qui s’est lancée en 2019 dans le tatouage amazigh, en a ainsi fait un véritable leitmotiv. Elle a renoué avec un rite ancestral, en voie de disparition depuis plusieurs décennies, pour tenter de faire perdurer cet art. Sur Instagram, elle a pour pseudonyme « Adasiya », car c’est ainsi qu’étaient nommées celles qui faisaient le tour des villages pour tatouer les jeunes berbères.

En grandissant, c’est devenu une obsession de chercher à en apprendre davantage sur mes racines 

Kahina dispose aujourd’hui d’un local à Bruxelles pour tatouer ses clients, et parcourt l’Europe à l’occasion d’événements liés au tatouage. Mais il lui a fallu passer par une longue quête identitaire pour en arriver là. Fille d’une mère Suisse et d’un père Algérien, elle raconte avoir vécu une véritable « crise existentielle ».

« Je n’ai jamais vraiment trop su qui j’étais. J’ai grandi et ai été scolarisée en Suisse, mais mon père, très fier de ses origines kabyles, tenait à ce que l’on baigne dans la culture amazighe à la maison, sans forcément nous expliquer beaucoup de choses sur celle-ci. En grandissant et en me construisant, c’est devenu une obsession pour moi de chercher à en apprendre davantage sur mes racines. »

Quand la passion fait profession

À l’adolescence, Kahina commence par interroger des membres de sa famille sur ses origines, sur les traditions qui rythment son quotidien depuis l’enfance. Elle parvient, tant bien que mal, à recueillir quelques bribes d’information, mais cela ne lui suffit pas. Elle poursuit son travail de documentation en consultant des ouvrages universitaires, dont ceux de Lucienne Brousse, à travers lesquels elle découvre la symbolique des tatouages amazighs. Et là, c’est le coup de foudre. Elle se passionne pour cet art et son histoire, au point d’en faire son gagne-pain. « J’ai pris la décision de me former au tatouage pour pouvoir contribuer moi-même à faire perdurer cet héritage. »

Je n’avais pas conscience de la richesse de ce savoir-faire transmis par les femmes de générations en générations

Ce besoin de revenir à ses racines, Radia, française d’origine marocaine, l’a également ressenti en quittant le domicile familial. « Je voulais conserver des liens avec ma culture », explique-t-elle. Originaire de la ville de Taznakht, grand centre de tissage de tapis berbères, elle décide d’en acheter un pour décorer son appartement. « Ça m’a rappelée plein de souvenirs d’enfance. À Taznakht, je voyais les femmes de mon entourage confectionner ces tapis. Mais à mes yeux, c’était une pratique banale, comme faire à manger, s’amuse-t-elle. Je n’avais pas conscience de la richesse de ce savoir-faire transmis par les femmes de générations en générations. »

Radia commence ainsi à s’intéresser à la tapisserie amazighe. Alors qu’elle travaille dans l’audiovisuel, elle décide, en août 2019, de faire une pause professionnelle pour retourner, pendant six mois, sur la terre de ses ancêtres. Sur place, elle se renseigne longuement et se forme à cet art auprès de véritables « expertes » : ses tantes. À son retour en France, elle lance Numydi, une boutique en ligne de tapis berbères, confectionnés directement par des tisseuses de Taznakht – dont des membres de sa famille.

Sur ses réseaux sociaux et son site internet, l’entrepreneuse ne se contente pas de vendre ses produits : elle y publie aussi du contenu sur l’art de la tapisserie amazighe, comme des vidéos où l’on voit les artisanes en plein exercice. Du lavage de la laine brute à celui du tapis final, en passant par le découpage des fils de laine et le tissage à la main. « Mon but est simple : faire perdurer cet héritage ancestral en mettant en valeur le travail formidable de toutes ces femmes. »

Transmettre pour ne pas disparaître

Même ambition pour Kahina. Avant de tatouer ses clients, elle prend beaucoup de temps pour leur parler de l’histoire des tatouages berbères, de la signification des symboles qu’ils s’apprêtent à graver à vie sur leur peau. « Je refuse de tatouer un motif chargé d’histoire sur une personne sans lui en expliquer le sens. Je tiens à transmettre le plus possible mes connaissances sur cet art. C’est important qu’il ne disparaisse pas, pour moi, mais surtout pour mes ancêtres, à qui j’essaie de rendre hommage ».

Hayet, fondatrice de Berberism, revisite quant à elle la bijouterie traditionnelle berbère en laissant libre cours à sa créativité. Son objectif reste le même : « Faire rayonner la culture amazighe ». Ses réseaux sociaux lui servent de vitrine et lui ont permis de faire d’importantes collaborations : ses créations se sont ainsi retrouvées en Une du magazine Vogue, ou encore dans différents clips musicaux, dont l’un de Gims qui compte près de 30 millions de vues sur YouTube.

L’amazighité, ce n’est pas un petit folklore : c’est une part essentielle de l’histoire et de l’identité nord-africaine

Chacune d’elles, à sa manière et à son échelle, contribue à mettre en valeur le monde amazigh. Et elles sont loin d’être les seules. La langue, les danses, les chants, la cuisine… Sur les réseaux sociaux, on trouve pléthore de créateurs de contenu qui cherchent à mettre en lumière différentes facettes de cette culture, pour encourager les membres de la diaspora à se la réapproprier. « Ça me rend très heureuse de voir autant de gens déterminés à faire vivre la culture berbère, se réjouit Hayet. L’amazighité, ce n’est pas un petit folklore : c’est une part essentielle de l’histoire et de l’identité nord-africaine ».

Ayoub Simour

Crédit photo : Numydi

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