Sur le parvis de la basilique de Saint-Denis, des femmes s’échinent à creuser la terre sous un soleil clément. Une scène devenue habituelle. Depuis le début de l’année, des fouilles archéologiques ont lieu dans les sous-sols de cette église millénaire. Déjà, près de 200 sépultures ont été retrouvées lors de ces fouilles qui précédent la reconstruction de la deuxième flèche de la cathédrale.

« Vous pensez qu’ils vont trouver des objets précieux sous le sol ? », s’interroge Gilles. Ce Dionysien d’une cinquantaine d’années se plaît à rappeler que « la terre des rois, ce n’était pas à Versailles, c’était ici, à Saint-Denis. » En effet, c’est ici qu’un grand nombre de rois et reines de France ont été inhumés. Une fierté locale.

Parmi les passants et les curieux, on distingue des femmes dessinant près des fouilles. Laure Du Faÿ, Luna Granada et Javiera Hiault-Echeverria, ces trois femmes aux profils différents se sont réunies autour du Projet Codex*. Un projet qui consiste en la création d’une grande bande dessinée participative autour de ces fouilles archéologiques. « C’est le premier volet d’un projet encore plus large. Une très grande bande dessinée. Nous, on l’a commencé, mais ensuite d’autres artistes prendront le relais », renseigne Luna Granada.

Un trio gagnant

Avant de commencer cette réalisation, aucune ne se connaissait. Leur collaboration, elles la doivent à Alexandra Cohen de la Coopérative Cuesta, qui s’est occupée de la direction artistique du projet. Chacune apporte sa compétence au sein du groupe. Luna est éditrice à la maison d’édition La tête ailleurs, basée à Saint-Denis, là où elle puise son inspiration pour livrer chaque année des livres participatifs. Munie de son micro, elle recueille les paroles de chaque habitant pour les retransmettre le plus authentiquement possible dans la bande dessinée.

Les extraits de leurs propos sont visibles sur la palissade des fouilles archéologiques près de la basilique et du marché de Saint-Denis. Du côté de Laure, l’axe de travail est orienté vers l’illustration. C’est elle qui réalise tous les croquis des habitants en une dizaine de minutes seulement !

L’art du crayon est inné chez elle, et si vous tombez dans le même café qu’elle un jour, il est possible qu’elle dessine votre portrait sans même que vous ne vous en rendiez compte. Javiera, quant à elle, est une artiste plasticienne spécialisée sur le thème de l’archéologie. Elle s’occupe du dessin des objets trouvés durant les fouilles qui permettent d’être un point de départ de discussion sur l’archéologie avec des habitants. Entre autres, on retrouve : le peigne, la clé, la poulaine (chaussure du Moyen-Âge), l’os et des graines.

Une enquête en pleine rue

Pour leur bande dessinée, ces artistes ont choisi de recueillir des paroles de riverains et ont organisé des sessions d’enquête de rue. La première a eu lieu près de la basilique et du marché et la seconde s’est déroulée chez des commerçants. Pour aller à la rencontre des habitants, elles sont munies d’un chariot sur lequel est écrit en grosses lettres “CODEX” sur un fond bleu.

Visibles de très loin, certains habitants viennent à leur rencontre pour les interroger. Elles leur demandent de sortir un objet de leur poche, puis de raconter ce que cet objet signifie pour eux. « « Il y a une double lecture : on fait un travail de présentation de ces objets dans le contexte actuel. Et en parallèle, de ce même objet au Moyen-Age », explique Laure.

Petit à petit, Luna se met à parler de ces objets similaires, comme la clé, qui a été trouvée par les archéologues. C’est de cette manière qu’elle dévie vers le sujet de l’archéologie et qu’elle recueille des témoignages. « On a voulu établir un rapport d’échange entre la parole et le dessin, détaille Javiera. On faisait le dessin sur du papier carbone et à la fin, la personne peut partir avec un exemplaire de son portrait. »

Pendant ce temps, Laure et Javiera s’occupent de dessiner les visages et les objets montrés par les personnes. Ce qui marque lors des discussions entre elles et les passants, c’est le passage de l’anecdotique à des questions bien plus profondes et plus vastes comme « Que va-t-on laisser de notre civilisation ? ».

Une bande dessinée pas comme les autres

La bande dessinée Codex sur les fouilles archéologiques de Saint-Denis ne tient pas compte des critères traditionnels. Elle n’a pas de début ni de fin, et ne se lit pas comme une histoire. Exposée à taille humaine sur les palissades entourant les fouilles archéologiques, cette BD sera bientôt présentée à la médiathèque Centre-Ville à Saint-Denis.

Aussi, elle ne respecte pas l’échelle classique de la BD et s’apparente davantage à de l’illustration avec un aspect documentaire. Les 50 portraits d’enfants, d’adultes et de seniors se voient comme des zooms sur la ville de Saint-Denis.

Toutes les personnes qu’on a rencontrées sont dans la BD. On n’a pas fait de sélection

Cette enquête dessinée s’intéresse à la conception de “bande”, un modèle de frise où les corps se déplacent, changent de visage tout en s’inscrivant dans une simultanéité temporelle. Un fil conducteur les relie : le choix d’une citation forte qu’ils ont prononcée et qui reste gravée au-dessus de leur tête. « Toutes les personnes qu’on a rencontrées sont dans la BD. On n’a pas fait de sélection », précise Luna.

Cette esthétique permet de garder une homogénéité entre chaque individu, en préservant leur particularité. Le sens de lecture n’en est pas altéré. Le concept de fouilles se trouve derrière les palissades avec l’archéologie, mais il l’est également au sein même de ces portraits et de ces mots inscrits sur ces barrières.

Il y a l’idée de fouiller dans les informations que les artistes ont décidé de nous donner. De s’arrêter sur les mots, puis de regarder en détail les traits du visage des personnes dessinées. Rien n’a été inventé, mais rien n’a été choisi au hasard. Les propos ont un sens. Derrière chaque phrase s’en cache une multitude, et pourtant, c’est une seule expression qui a été choisie. Pourquoi ? Laissez libre cours à votre imagination, imprégnez-vous de ces visages et qui sait, peut-être que vous réussirez à créer votre bande dessinée dans votre esprit.

Vous pouvez dès à présent vous rendre sur les fouilles archéologiques près de la basilique de Saint-Denis pour observer les extraits de cette bande dessinée originale. Et le 13 mai, vous pourrez voir l’exposition consacrée à cette enquête dessinée à la médiathèque Centre-Ville à Saint-Denis où les croquis originaux des habitants seront dévoilés.

Laura Renoncourt

*Edit : Il s’agit d’une résidence artistique réalisée dans le cadre d’un programme conçu par la coopérative d’urbanisme culturel Cuesta au sein du groupement de maîtrise d’œuvre de l’aménagement des espace publics piloté par BASE paysage. Il s’agit aussi d’une initiative de Plaine Commune, Territoire de la Culture et de la Création, en lien avec la ville de Saint-Denis et avec le soutien de l’ANRU

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