Dans les loges du Canal 93 à Bobigny, les artistes s’affairent. Résille rose et paillettes écument joyeusement la pièce dédiée aux danseuses. Ce soir, le premier tableau est aux couleurs du concours. Une pièce chorégraphiée de groupe, qui a pour but de présenter les danseuses de manière collective. Pour l’échauffement, les torses roulent, les bassins marquent des à-coups. Sensuels et puissants sont les mouvements qui émanent des corps des compétitrices. À l’image de la discipline.

Né à la fin des années 1970 en Jamaïque, le Dancehall (littéralement, «salle de danse ») est un style de danse et de musique issu des sound-systems. Aujourd’hui, ce style est très populaire dans toute la Caraïbe. Gato, danseur reconnu et juré du soir, relate : « Le dancehall c’est un art de vivre, un lifestyle. Il est né dans le ghetto jamaican et a été un moteur pour les artistes. D’une part pour leur permettre d’extérioriser les difficultés de leur vie quotidienne, et ensuite pour se sortir de la misère quand le style a gagné en popularité ».

Le Dancehall Gyal : par et pour les femmes

Avec le Dancehall, s’est développé le Dancehall Gyal (ou féminin). Une branche créée par et pour les femmes. C’est ce qu’explique Dreama, compétiteuse originaire de la Martinique. « Le Gyal a été créé pour redonner du pouvoir aux femmes. Certes, c’est une démonstration de leur beauté et de leur sensualité, mais surtout de leur force. » 

Il a fallu que les femmes revendiquent leur place dans les espaces de danse Jamaïcains

« Il a fallu que les femmes revendiquent leur place dans les espaces de danse Jamaïcains et s’imposent, dans des lieux où les hommes prenaient énormément de place », complète Liah, une des ex-tenantes du titre, aujourd’hui en charge de la communication.

Dans une autre pièce, Aaxxia, organisatrice et pétillante Maître de Cérémonie, briefe les juges sur la notation. Le jury est composé, cette année, d’une équipe pluridisciplinaire : En plus des danseurs Qweensy, Gato et Yayaa Osorio, on compte aussi Jean-Michel Roch, styliste et créateur de mode, qui décernera ce soir un prix dédié aux meilleurs costumes.

Pour lui, il était important de venir, dans la mesure où les costumes sont un prolongement de la danse, ainsi qu’une manière pour les artistes d’exprimer visuellement des aspects de leur personnalité. On compte également Golden B, la sublime chanteuse Dancehall. L’un des prix réservés à la gagnante de ce soir est une collaboration avec elle.

En attendant le début des festivités, les premiers arrivés ne boudent pas leur plaisir. Sur les basses du Selecta (i.e. Du DJ), l’audience d’initiés whine (rotation du bassin ou du torse), piétine le sol, fend l’air de ses mains. Willie bounce d’un côté, Zip it Up de l’autre, les connaisseurs reconnaîtront des pas emblématiques de la discipline, accompagnés des paroles de Mavado, Shenseea ou encore Vybz Kartel.

Mélody et sa grande sœur sont venues profiter du spectacle. « Quand j’étais petite, je tombais sur des vidéos et depuis j’ai vraiment aimé le Dancehall, c’est notre culture, j’ai ça en moi. Retenez-ça, je suis la future Dancehall Queen », dit-elle avec une adorable assurance.

Des compétitrices de talent

Le jury est en place, les enceintes vrombissent et les danseuses s’élancent sur la scène. Explosives, inondées par la lumière des spotlights fushia, elles entament la chorégraphie de présentation. Une fois fini, un premier round, sans élimination, leur permet de se présenter individuellement. Chauffeur de Taxi, Nonne ou encore Reine des glaces, les inspirations des costumes sont diverses, mais le résultat fini est toujours résolument sexy.

Les choses sérieuses commencent, le deuxième round sonnera le glas de la compétition pour deux des jeunes femmes présentes ce soir. Elles rivalisent donc de talents, d’énergies, et parfois d’humour pour assurer leur place à la prochaine étape. Le public exulte lorsque les Queens sautent pour atterrir en grand écart ou exécutent de main de maître des pas de plus en plus complexes.

À l’issue de la seconde manche, K’Ty et Miakiss sont éliminées. Les deux danseuses ont été fortes, mais leurs concurrentes l’ont été encore plus. La manche suivante consiste en un exercice un peu plus spécifique. En amont de la compétition, les candidates ont eu un mois pour apprendre une sélection de pas, en tirer un au hasard et l’intégrer à un court passage. Ces pas ont été créés, pour la plupart, par leurs prédécesseures.

En effet, les pas (ou steps) font partie intégrante de la culture Dancehall. Chaque pas à une Histoire, un ou une créateur.ice, et doit être connu dans sa forme primaire pour pouvoir ensuite faire l’objet de variations. Une fois qu’un ou qu’une danseuse atteint sa maturité artistique, il ou elle peut à son tour créer des steps, qui pourront être repris par ses pairs.

Le clou du spectacle

Vient enfin l’ultime épreuve. Elles ne sont plus que quatre et doivent à présent toutes danser en même temps. À celle qui saura se démarquer, la victoire. Elles se lancent. Une féroce bataille s’engage. Une seule en ressortira reine. Le public ne sait plus où donner de la tête. Au contraire, peut-être d’Oyana, qui s’en sert comme appui pour twerker au milieu de la table des juges.

Je ne voulais avoir aucun regret

Ce coup d’éclat mis à part, et malgré la ténacité et le talent de ces rivales, force est de constater qu’il est difficile de détacher son regard d’elle. « Je ne voulais avoir aucun regret, et j’ai même fait des choses que je n’avais jamais faites avant », confie-t-elle à la sortie de sa prestation.

Et c’est ainsi, après une époustouflante prestation, qu’elle remporte le titre de Dancehall Queen 2024.

Ambre Couvin 

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