Ça s’est passé lundi et ça se raconte comme un conte de fée. Alors, il était une fois une ville. Washington DC (prononcez Ouachingtondissi, c’est imposé) est comme désertique. Les feux qui passent du rouge au vert font l’animation. Les trottoirs sont parfaitement lavés. Un clochard rode avec son caddie. Washington est la capitale fédérale et pourtant… Le métro est long à venir quand on l’attend. Les gens sont rares et quand on en trouve, on est aussi ravi que Robinson qui trouve une goutte d’eau sur son île. Soleil et vent tout doux.

Il était une fois un hôtel à Washington. A l’entrée un tourniquet couleur doré, « comme au Carrefour de Drancy », relève Houssam. Chacun passe. Un. Deux. Trois. Quatre et cinq. Six. Sept. Huit. La réception est clinquante. Les lourds lustres se reflètent dans les tables en marbre. Une femme, perruque blonde et lunettes teintées, sort du musée Grévin. Lovée dans son manteau de fourrure, elle ne bouge pas. Un homme accoudé au zinc de la réception pose une question.

Il était une fois un couloir, un tapis rouge et un salon à moquette foncée. Le buffet est servi. « En fait, c’est simple, c’est ce qu’on mange tous les jours, mais mis en valeur », relève à son tour Banni. Et dans cet hôtel, une scène, pour chanter, pour faire des tours de magie. Céline Dion s’y produira peut-être quand elle ne sera plus sous contrat avec Vegas. « Il y a à peine quelques jours, raconte Monte Laster, un homme du service de presse de l’ambassade de France à Washington m’a demandé où les rappeurs allaient se produire, j’ai répondu que la scène qu’ils devaient faire était annulée. Il a proposé de chanter ici, pour l’ouverture du festival des Francophonies, devant 40 ambassadeurs. » Incredible ! Une scène et un public prestigieux que « même Jay-Z n’a pas eu », dit déjà la légende.

La cloche sonne six coups, il est 18 heures. L’heure du ventre qui gargouille, pas parce qu’il a faim mais parce qu’il a le trac. « Non, faut pas stresser, jamais. C’est des êtres humains, sauf qu’ils (les rappeurs couneuviens) sont ambassadeurs, voilà », se rassure intérieurement Kaiz. Mais les ventres de ceux qui ne monteront pas sur scène tout à l’heure crient famine, eux. Le buffet est assailli par des minettes bien proprettes qui choisissent avec délicatesse leurs petits sandwiches. Beaucoup parmi les gens présents parlent français. Un homme s’approche, intrigué par le look vestimentaire des rappeurs qui tranche. « Je travaille pour l’ambassade du Niger. Et je trouve ça super d’entendre du rap dans ce genre de réception. Ça change ! C‘est historique, ça changera les mentalités. »

Du rap, ce soir, à la place des violons. « Mes chers amis », dit le micro, avec un léger accent canadien. « On va remettre ce soir le prix de la francophonie au général James Jones, conseiller à la sécurité nationale, nommé par Barack Obama. » Le général reçoit son prix, raconte ces matins où la maîtresse, en France, lui disait : « Oh, l’Américain, au coin ! » L’assemblée applaudit. « J’sais pas, c’est pas mon ambiance », dit Houssam. Banni ajoute : « Ouais, en plus, c’est pas le style de public à dire « Allez, bravooooo ! ». » « C’est pas comme quand on se produit à la cité et que tout le monde crie et tout », reprend Houssam.

Houssam a dansé. Les rappeurs ont chanté. Un titre en hommage aux victimes du crash de l’avion des Comores, l’été dernier, et un titre sur leur ville adorée, La Courneuve. Ils ont serré la pince à l’ambassadeur haïtien. Houssam, d’origine marocaine, a salué l’ambassadeur marocain et son épouse. Ils ont été félicités pour leur prestation. Les rappeurs ont chanté devant les ambassadeurs !

Le conte pourrait s’arrêter là. Mais il a continué bien tard, lundi soir. Un homme s’est approché. Il est attaché culturel auprès de l’ambassadeur de France à Washington. « Vous avez mangé ? demande-t-il. – Non, pas encore. – Ok, je vous invite. » D’un pas décontracté, on a traversé la rue. « C’est un vrai restaurant américain. » Prochain chapitre du conte : une visite à la Maison Blanche ainsi qu’une rencontre avec le président Barack Obama. Non, on déconne. Quoique… Why not ?

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Légendes photos : Mehdi et Badroudine en plein rêve américain ; les rappeurs de La Courneuve sur scène.

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