Par un samedi ensoleillé, nous rejoignons Sim Marek place de la République pour une journée consacrée au street art. Enjoué à l’idée de déposer son art sur les murs de la ville, l’artiste nous conduit rue Jean Poulemarch dans le 10e arrondissement de Paris, au bord du canal Saint-Martin.

Des bombes de peinture pour outil de travail, il s’installe devant un mur bien connu par la profession, où le graff est autorisé, et pose son matériel sur le sol maculé.

Concentré, Sim Marek réfléchit au fur et à mesure aux couleurs et aux formes qu’il choisira / ©VeraFesquet

Né à Tunis, Sim a appris le graff très jeune en autodidacte dans les rues de sa ville. Depuis ses premiers pschitts, il a diversifié ses activités artistiques : graff, tatouage, arts plastiques. Sa carrière prend de l’ampleur en 2012, lorsqu’il participe à la 10e édition du festival Printemps des Arts Fair, à Tunis. Mais l’œuvre qu’il y expose, un tableau nommé Kefer, déclenche une polémique et le courroux des autorités. La même année, Sim décide de partir pour l’Ukraine. Il rejoint la France en 2017.

Peu de temps après son arrivée à Paris, Sim Marek intègre L’atelier des artistes en exil. Créée par Judith Depaule et Ariel Cypel, cette association valorise les œuvres des artistes qu’elle accompagne et leur apporte un soutien professionnel et social.

Sim Marek y organise des ateliers d’initiation au street art, notamment auprès de jeunes. Sim est attaché à la transmission de son art. Il travaille aussi avec des mineurs non accompagnés : « J’adore apprendre aux autres. Si je n’avais pas commencé à graffer, ma vie serait totalement différente aujourd’hui, j’aurais eu beaucoup de regrets ».

Sim a voulu expérimenter une nouvelle forme de graff, notamment sur les dégradés et les contours saccadés. Son travail a duré 4 heures / ©VeraFesquet

Graffer pour dire : « J’existe »

« Le graff, c’est un jeu. Tu te vides l’esprit, tu joues avec les murs, les formes, les couleurs, le lettrage… », développe-t-il, bombe de peinture à la main. Graffer son nom le jour ou la nuit est sa manière de « dire j’existe, je suis là ». Ayant vécu la censure et de fortes restrictions vis-à-vis de ses pratiques artistiques, Sim revendique son identité et sa place dans la société à travers ses œuvres.

Sur le mur du 10e, il débute par des lignes droites, le traçage, avant de poursuivre av​​ec le remplissage et les contours. Le graff est parfois perçu comme un art ingrat en raison de son aspect éphémère. « Ce que j’aime dans le graff, c’est le moment où je le fais. Ce qu’il devie​​ndra après n’a pas d’importance pour moi », explique-t-il, tout en recouvrant le graff d’un tagueur passé par là avant.

« À partir du moment où on commence à graffer, on ne peut plus s’arrêter. On peut faire une pause, faire autre chose, mais il y a forcément un moment où on y retourne », témoigne Sim. Son art s’inscrit dans son quotidien, comme un besoin vital : « À chaque fois que je sors, je prends une bombe de peinture avec moi pour faire un graff ».

Le moment de prise de recul sur l’oeuvre permet à l’artiste d’y voir plus clair sur ses attentes et sur le résultat qu’il souhaite /©VeraFesquet

Les arts de rues éveillent la curiosité

À quelques mètres de là, un père explique à son fils ce qu’est le street art, les yeux du petit restent rivés sur le mur décoré. Au fur et à mesure des coups de bombes, les passants se rapprochent, s’arrêtent, prennent des photos ou prennent la pose devant le mur recouvert de tags. Impassible, Sim poursuit son travail sans trop parler pour rester concentré.

Des retraités assis sur un banc suivent l’évolution du graff, les arts de rues éveillent la curiosité des passants. Certains se contentent de regarder, d’autres expriment l’intérêt de se lancer dans le graff et viennent puiser leur inspiration chez des artistes aguerris.

Sim évoque des artistes comme Sofles ou Police qui ont attisé son intérêt pour cet art. « Ce sont des mecs qui sont partis de rien et qui se sont fait leur place dans le milieu, ils n’ont jamais arrêté de taguer », souligne-t-il. Selon lui, un graffeur se doit aussi d’imprimer sa marque pour se singulariser. « Police, par exemple, ne fait que des tags de voitures de police tout en haut des immeubles, juste en dessous du toit, et parfois sur des bâtiments très hauts, c’est ce qui fait sa particularité. »

Quand l’artiste procède au remplissage, le masque à cartouche permet de se protéger du produit qui est toxique sur le long terme / ©VeraFesquet

« Rappeler que je suis là me suffit »

Sim puise son inspiration dans le graff old school et ses lettrages. Coloré ou non, il s’exerce à signer son nom d’artiste sur les surfaces extérieures, dans les milieux urbains. Réservé sur la question de la politisation de ses œuvres, il explique : « J’ai pu faire du graff à message politique pendant un temps, quand j’étais plus jeune. Mais ce n’est plus le cas maintenant. Dessiner mon nom et rappeler que je suis là me suffit. »

Sim n’a pas toujours pu être aussi libre dans son art. Des souvenirs lui reviennent. Un jour, en banlieue de Tunis, pendant la révolution arabe, il s’appliquait à taguer sur le toit d’un immeuble. Pensant qu’il s’agissait d’un sniper, les forces de l’ordre se sont retrouvées à l’attendre en bas du bâtiment.

La question de la liberté d’expression s’impose à beaucoup d’artistes. Et c’est particulièrement le cas du street art qui, par définition, évolue en dehors des endroits consacrés à l’art (musées, galerie…). Cet après-midi, Sim Marek sera d’ailleurs contraint de poser sa bombe de peinture au sol à l’arrivée de cinq policiers. L’espace sur lequel il graffait est pourtant prévu à cet effet.

Vera Fesquet

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