Passer des dorures des Oscars, aux écrans plus petits, parsemés de traces de doigts que l’on nettoiera plus tard : c’est le pari de Steve McQueen avec l’anthologie Small Axe. Le réalisateur anglais, à qui l’on doit Shame et Twelve Years a Slave (Oscar du meilleur film en 2014), s’essaye désormais aux séries télévisées. Il livre une collection de cinq films sur les affres et les victoires de la diaspora antillaise dans l’Angleterre des années 1970.

Diffusée outre-Manche sur la BBC et outre-Atlantique sur Amazon Prime en décembre 2020, l’œuvre du réalisateur prodige est disponible en France sur Salto. Les cinq épisodes (Mangrove, Lover’s Rock, Red White and Blue, Alex Wheatle et Education) racontent chacun un récit fondateur de la première génération d’Antillais nés en Angleterre. Ceux des enfants de la « Génération Windrush » arrivaient en bateau de Jamaïque, Trinité-et-Tobago ou encore d’Haïti, après la Seconde Guerre mondiale.

Devant la caméra : la crème de la crème des acteurs britanniques. On retrouve des stars confirmées, comme Letita Wright (la petite sœur de Black Panther) et John Boyega (le stormtrooper renégat de Star Wars : Episode VII), mais aussi des révélations que l’on a déjà hâte de retrouver sur les écrans à l’instar des lumineuses Amarah-Jae St. Aubyn et Rochanda Sandall.

Au fil des cinq épisodes, ils y incarnent des figures de l’ombre ayant existé, comme les neufs inculpés du procès de la Mangrove dans le premier épisode éponyme. D’autres personnages sont au contraire fictifs, à l’instar d’une famille en lutte contre le système scolaire britannique dans le dernier épisode Education. À travers une mise en scène qui ne renie jamais ses ambitions se dessine une histoire collective de la jeunesse londonienne caribéenne.

Un travail précieux d’archives politiques et culturelles hors des sentiers battus

Small Axe nous plongent dans une certaine Angleterre de façon quasi immersive. Le second opus, Lover’s Rock suit la rencontre de deux amants et nous présente une galerie de personnages lors d’une soirée. Certains sont politisés et l’on perçoit des bribes de conversation sur les Black Panthers. D’autres ne vivent que pour la musique, pour échapper à un quotidien sombre. C’est ce que l’on devine à les voir se défouler comme si leur vie en dépendait.

La série surprend par ses choix artistiques et scénaristiques. Le second épisode se déroule intégralement lors d’une soirée.

Car la musique est bel et bien le personnage principal de l’épisode, dont l’intrigue se déroule sur quelques heures. Les préparatifs de la fête, la danse et le retour au petit matin, rien de plus. Le rythme de la narration pourra en déplaire à certains s’ils ne sont pas convaincus par la bande son particulière. Ce genre musical donne le nom au titre de l’épisode : le “Lovers rock”. Une musique née en Angleterre combinant rythmes reggae et textes badinant avec l’amour. Le son idéal pour danser un slow au cours de « house party« , élément central de la vie sociale des jeunes de l’époque.

Steve McQueen documente la grande Histoire en regardant par le trou de la petite serrure. Précarité et extrême droite font ici guise de toile de fond politico-sociale, mais ne viennent pas ternir l’hommage rendu à la créativité musicale des jeunes. C’est l’élan de vie intime qui est célébré pour mieux en cerner l’importance politique. Les house party étaient en effet les cibles privilégiées de l’extrême droite. Plusieurs maisons furent incendiées par des militants fascistes.

Lutter contre la ségrégation

L’épisode pivot de l’ensemble, Red, White and Blue, se focalise sur le personnage de Leroy (interprété par John Boyega) lorsque ce dernier rejoint les forces de l’ordre, contre l’avis de son père. L’intrigue, plutôt tiède par rapport aux autres films, cherche à illustrer le sentiment d’oppression du personnage. Ce dernier se retrouve, en effet, confronté au racisme de la police et au rejet de ses proches.

Une embrasure de porte, un salon à l’ambiance glaciale, un foyer ou la prison : la caméra s’attarde sur les espaces. Ceux dans lesquels on se sent chez soi, ceux où l’on se sent à l’étroit ou ceux qui restent hors d’accès comme une métaphore d’un plafond de verre trop dur à fissurer pour la diaspora antillaise.

Mais c’est dans la lutte que l’on peut trouver un espoir, nous dit le réalisateur. Mangrove, l’introduction de Small Axe, reconstitue par exemple le combat de militants envers le harcèlement policier.

Il n’y a qu’un pas pour Letita Wright entre le Black Panther de Marvel et le mouvement politique.

En 1968, Frank Crichlow ouvre fièrement un restaurant à Londres. Il y sert alors des spécialités de Trinité-et-Tobago, une île située près des côtes du Venezuela. C’est un succès. Le restaurant devient rapidement un lieu culte pour la communauté noire du quartier. Mais la police y fait plusieurs descentes et surveille continuellement les passants. A l’issue d’une manifestation pour dénoncer ces pratiques, neufs personnes sont mises en examen pour incitation à l’émeute.

Lors du procès, qui s’est déroulé sur 55 jours, deux des militants déclinent l’aide d’un avocat et décident d’assurer leur propre défense. La pièce du tribunal devient alors un lieu d’expression.

La Culture : arme de transmission massive

Dans le dernier épisode, Education, Kingsley est renvoyé d’un établissement scolaire à cause de son mauvais niveau en lecture. Il est placé à tort dans une école alternative pour enfants « sous-développé éducativement » (ESN School) qui se révélera, après une enquête du gouvernement britannique en 1985, être l’antichambre des enfants d’origine caribéenne intégrés dans ces établissements pour des motifs purement racistes.

Une famille en lutte contre le système scolaire inspirée par le combat de familles anonymes.

 

Le générique indique la particularité de cet épisode au sein de l’anthologie puisque celui-ci puise dans « une histoire de Steve McQueen ». Le réalisateur met en œuvre les préceptes qu’il a lui-même promus dans le reste de la série : ne pas rester à sa place, quitte à créer hors des chemins tout tracés.

Small Axe joue ainsi sur deux tableaux. D’un côté l’hommage cinématographique aux luttes et aux créations de la diaspora antillaise. De l’autre : une incitation pour la nouvelle génération à faire entendre leurs voix par l’Art. La série regorge de références à des œuvres – qu’elles soient littéraires ou musicales – pensées par des artistes noirs pour les générations futures.

« Vous ne vous souvenez pas / de comment toute l’Angleterre noire a été dévasté par le chagrin / De comment toute l’Angleterre noire a viré au bleu mélancolique. » Dans l’épisode Alex Wheatle, la musique et la poésie sont présentées comme des outils dont le protagoniste se saisit pour s’en sortir. Trimballé de foyers en foyers puis incarcéré pour sa participation aux révoltes d’avril 1981, l’écriture le sauvera d’un destin chaotique.

En situant sur le même plan un soulèvement social, un traumatisme local, un anniversaire ou encore l’ouverture d’un restaurant, Steve McQueen offre à la diaspora antillaise un rôle majeur dans l’Angleterre d’aujourd’hui et celle de demain.

Méline Escrihuela

Articles liés