Son nom est Sara. Ce n’est ni le nom donné au dernier ouragan qui a frappé la Nouvelle-Orléans, ni celui du dernier robot capable d’astiquer votre plancher. Sara est comédienne. Elle porte des lunettes carrées, à montures assez épaisses. Elle est blonde, porte un léger bustier blanc surpiqué de rouge et de jaune. Elle s’appelle Sara Forestier et elle est pied-nus. Sara, lorsqu’elle vous voit pour la première fois, elle vous prend dans ses bras. Elle vous embrasse chaleureusement. Et puis, quand vous vous mettez à parler avec elle, elle s’affale dans un fauteuil, vous offre de son temps. Souriante. Elle ne regardera pas sa montre en vous faisant comprendre qu’elle n’a pas que ça à foutre, ce n’est pas son genre.

La scène se passe au Ciné 13 Théâtre, sur les hauteurs du 18e arrondissement. Sur la chic butte Montmartre. 22 heures et des poussières, au bar du théâtre, dans une synchronisation impressionnante, on s’affale face à elle. Sara a un cadeau entre les mains, « on vient de me l’offrir, attendez, je vais l’ouvrir ». On la regarde faire, elle enlève gracieusement les morceaux de Scotch. C’est un livre ! « Je verrai plus tard », lance-t-elle en le posant à ses côtés. Sans doute veut-elle éviter de faire deux choses en même temps.

La comédienne à cinquante-cinq minutes de scène dans les pattes. Elle y était seule, avec une chaise en bois posée au milieu du plateau. Sara joue un monologue de Proust. Un texte écrit lorsque l’écrivain avait 23 ans. Comme elle aujourd’hui, à peu de chose près. Sara a déjà fait un bon bout de chemin. « J’ai commencé à treize ans et demi, entame-t-elle, dans un film de Martine Dugowson et j’ai fait des petits rôles dans quelques films en passant de casting en casting. » L’objectif de la caméra est séduit par sa joie de vivre, son charisme, son humour, son sourire, son jeu d’actrice. Il succombe.

« Et puis, j’ai fait le casting de L’Esquive, continue-t-elle. Il s’avère que j’ai eu le rôle principal, alors qu’au début, le réalisateur ne m’avait accordée qu’un tout petit rôle. » Sara deviendra Lydia dans ce film mythique de Kechiche. La profession va être éblouie par sa prestation. Elle obtient le César du meilleur espoir féminin. Comme chez Deneuve, Baye ou Adjani, la statuette dorée doit surement être délicatement posée sur la cheminée, au milieu du salon.

La cadence de l’ex-débutante s’accélère. « Après la sortie de l’Esquive en 2004, on m’a proposé de faire Un fil à la pate, une adaptation cinématographique d’une pièce de Feydeau. » Jamais ses rôles ne se ressembleront. Comme toute comédienne, enfin non, pas toutes, justement, Sara a des visages différents. Jamais la même. On rencontrera une Sara bourgeoise dans « Hell » de Bruno Chiche. Une Sara perruquée et poudrée dans « Jean de la Fontaine » de Daniel Vigne. Les réalisateurs accourent, les synopsis pleuvent. De Blier à Lelouch en passant par Roman Polanski, Sara travaille avec les grands. Et elle n’a que 22 ans !

Aujourd’hui, elle est sur les planches. Au théâtre. Face à un public. « Les confessions d’une jeune fille » de Proust offre à Sara la possibilité d’être une fille facile et complexée, une fille respectueuse et romantique. Entre la vie et la mort, le personnage qu’elle interprète évoque ses souvenirs, se remémore des moments. « C’est Patrick Millet qui m’a fait découvrir ce texte. J’ai accepté ce projet car c’est tellement beau et rare d’être aussi touché par un texte. »

A un certain moment, sur scène, Sara est à moitié nue. Dison qu’on voit ses seins. « Proust décrit tellement la beauté du corps, il est tellement émerveillé par le plaisir charnel qu’il ne fallait pas une statue pour jouer ce rôle », précise-t-elle. Sara danse aussi. Sur une musique des Stones ou un air de Carmen. Elle se lâche complètement. La mise en scène de Patrick Millet, sa première, est très bonne. Les minutes passent trop vite. Ici, pas textes interminables. Pas de mise en scène soporifique. Sara fait vivre le texte.

La jeune comédienne parle avec ses mains, sourit et pense. Sara, assise en tailleur, n’est pas encore sortie de son personnage. « Je ne vais pas dormir maintenant, il me faut quelques heures après chaque représentation », sourit-t-elle. Re-accolades chaleureuses, re-embrassades. « Vos questions étaient sympas », nous gratifie la jeune femme. On file. La nuit noire nous enveloppe. La fraîcheur de l’automne sur les hauteurs de Paris. Le vent. Sara nous a plu.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

Articles liés