Déambuler sur l’asphalte incandescent et prendre le pouls de la rue. Offrir une vision éclairante de la société à travers les yeux de ceux que les blocs de béton élèvent et tuent. Peindre sur écran géant l’insoutenable pesanteur de l’être des outcasts : des pauvres, des rebus d’une société américaine biberonnée par la violence, la ségrégation, les injustices, les tensions interraciales ; voilà tout le travail d’un cinéaste de talent. Spike Lee, de son vrai nom Shelton Jackson Lee, est un scénariste, réalisateur et producteur américain.
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Il est né le 20 mars 1957 à Atlanta en Géorgie et a grandi à Fort Greene (Brooklyn, New York). Issu d’un milieu intellectuel, artistique favorisé, il suit ses études à Atlanta, au Morehouse Collège (prestigieuse université qui forme les élites afro-américaines) ; puis à la Tisch School of the Arts, une des écoles de cinéma les plus cotées des États-Unis, à New York. Spike Lee c’est le daron du film hip-hop, le Pape de la culture urbaine sur grand écran. L’enfant de Fort Green a révélé des acteurs incontournables comme Halle Berry, Samuel L. Jackson ou encore Denzel Washington. Ses films ont permis l’entrée du rap et de la culture hip-hop dans le cinéma de masse. Le réalisateur surdoué qui filme le ghetto avec la précision d’un horloger suisse a inspiré une flopée de rappeur de Jay-Z à Booba. Il a surtout décomplexé toute une génération de réalisateurs noirs, comme John Singleton (Boyz N The Hood)  ou Carl Franklin, « et jeté des bases vers une affirmation du peuple afro-américain » dixit Karim Madani.
Spike Lee c’est le Homère de l’Odyssée urbaine. Quoi de mieux qu’une biographie de ce génie sulfureux, pour que les plus jeunes et plus anciens comprennent d’où vient leur engouement pour la paire chaussure Jordan ? Et c’est Karim Madani, le roi sans couronne de la littérature contemporaine française qui s’y colle. Il nous propose une plongée palpitante dans les bas-fonds new-yorkais de la fin des années 70 jusqu’à l’ouragan Katrina en 2005 (Nouvelle-Orléans) à travers la vaste filmographie de Spike Lee. On y découvre une succession d’histoires artistiques, culturelles, politiques qui se mêlent à l’histoire urbaine afro-américaine qui fascine, désespère et éblouit en même temps.
Des héros « rats du bitume »
Le lecteur est plongé dans les cendres ardentes des tensions interraciales américaines qui nous donnent les clés pour mieux comprendre les bavures policières de Ferguson, Baltimore, etc. La majorité des héros sont « des rats du bitume » : un sneakers addict prêt à crever pour garder sa paire Jordan immaculée (Do The Right Thing), un camé qui se bute au crack (Jungle Fever), un prolo de la vente de drogue (Clockers), un basketteur de génie qui mise sur son art pour fendre en deux le macabre macadam new-yorkais (He Got Games) ou encore un militant de la cause noire qui a fait ses classes dans le crime, la taule et la religion avant de devenir un penseur humaniste (Malcolm X).
Outre le fait qu’il s’agisse de la première biographie de Spike Lee en français, ce livre propose une immersion déjantée et ultra-documentée, dans les bas-fonds des ghettos américains. L’histoire n’est pas racontée par les chasseurs, mais par un lion. Elle est narrée par un damné du bitume qui prête sa plume au New York populaire et à sa contreculture révolutionnaire dont toute l’humanité s’inspire encore. Peu disert quand il s’agit de parler de lui, Karim Madani se raconte sobrement à travers cette biographie. Plus qu’un portrait, l’auteur redonne au lecteur tout ce que le hip-hop lui a apporté. Spike Lee filme hip-hop ; Karim Madani écrit hip-hop. Au fil des pages, une alchimie exquise se forme entre le lecteur, le réalisateur et l’écrivain-chroniqueur de la rue.
La bio s’inscrit également dans le cadre d’un voyage initiatique, dans une contreculture encore trop mal racontée. Il s’agit d’un pot pourri avec des milliers de références. C’est plus que du cinéma (John Singleton, Scorcese, Tarantino, Albert et Allen Hughes…) ; plus que de la musique (Billie Holiday, James Brown, John Coltrane, Chuck D, Mob Deep…). Les écrivains et intellectuels noirs ne sont pas oubliés ! Des auteurs qui dans leurs différences se ressemblent (Richard Wright, Iceberg Slim, Toni Morrison, Ralph Ellison, Le Roi Jones John Edgar Wideman…)
Le livre Spike Lee de Karim Madani est un large récit artistique, cinématographique, sociologique, politique, musical et littéraire de l’Amérique urbaine contemporaine. Un livre qui sera, à n’en pas douter, certifié « classique » par tous les passionnés de hip-hop et de cinéma. Après la participation d’Akhenaton à l’exposition « HIP-HOP, du Bronx aux rues arabes » à l’Institut du Monde Arabe, à quand Karim Madani à la tête de l’exposition : « Spike Lee le père fondateur des films hip-hop » à la cinémathèque française ?
Balla Fofana
Spike Lee, American Urban Story , Karim Madani, Ed. Don Quichotte

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