Qu’est ce qu’être une femme en prison aujourd’hui en France? Voici une question qui peut soulever bien des fantasmes. Ce sont justement ces derniers que la comédienne et metteure en scène Marjorie Nakache et l’écrivain Mohamed Kacimi tentent de déconstruire tout au long de leur nouvelle pièce «Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz ». Sur la scène du Studio-Théâtre de Stains, nous découvrons un bout de la vie carcérale de cinq femmes : Zélie, Rosa, Lily, Barbara et Marylou. La rencontre avec les spectateurs se fait sur une scène épurée : en guise de seul mobilier, une bibliothèque avec quelques meubles remplis de livres. L’espace est délimité par un fil de lumière et les projecteurs placés tout en haut du théâtre viennent rappeler au spectateurs les barreaux de la prison au début et à la fin de la pièce. Ces cinq jeunes femmes très différentes par leurs personnalités et leur parcours partagent tout. Elles se racontent leurs secrets, leurs rêves et vont alors partager le diner de noël avant d’être rejointes par une nouvelle détenue : Frida.

« Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz », texte de Mohamed Kacimi, mise en scène de Marjorie Nakache avec Gabrielle Cohen, Marjorie Nakache, Olga Grumberg, Irène Voyatzis, Jamila Aznague, Marina Pastor

Inégalité femmes-hommes jusque dans la prison

« Tous nos rêves partent de la gare d’Austerlitz » nous donne à comprendre plusieurs éléments de la vie des femmes dans le milieu carcéral. C’est le cas à travers le personnage de Marylou, qui cherche une pince à épiler et du rouge à lèvres. En prison, une femme n’est pas censée prendre soin d’elle, ni se sentir jolie. Elle est simplement priée de rester un corps emprisonné derrière des barreaux qui attend sa sortie. Nous sommes également confrontés à la solitude et l’isolement de ces femmes face au monde extérieur. Marylou qui s’est démenée à chercher un rouge à lèvres pour plaire à son petit copain, finit par apprendre qu’il ne vient pas lui rendre visite. Ce qui vaut cette réaction incessante des autres femmes : « Les hommes ne viennent jamais ici ». C’est l’observation faite par Mohamed Kacimi qui depuis plusieurs années, mène des ateliers d’écriture à la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis : les femmes en prison reçoivent très peu de visites contrairement aux hommes. Pour cause : elles souffrent d’un regard beaucoup plus sévère de la part de leurs proches mais aussi globalement de la société. L’inégalité entre hommes et femmes va d’ailleurs jusqu’à se faire ressentir à l’intérieur de l’intimité des cellules : on apprend grâce à la pièce que les femmes n’ont pas le droit aux chaînes pornographiques contrairement aux hommes. Elles sont également exploitées par de grandes enseignes dans des ateliers de travail pour leur permettre d’acheter de la nourriture en prison. L’exemple cité dans la pièce est celui de la marque d’habillement, H&M. Le racisme est également abordé quand le personnage de Rosa révèle qu’elle est à moitié kabyle ce à quoi Barbara lui répond : « Les kabyles c’est des arabes light ! » histoire de rassurer les autres. En effet, Marjorie Nakache nous explique qu’à Fleury Mérogis, les femmes sont logées par étage selon leurs origines.

Malgré tout, dans ce contexte difficile et contraignant, c’est l’entraide et la solidarité qui prévaut entre ces femmes. Ainsi, à peine arrivée en prison, Frida se voit entourée des cinq protagonistes qui lui proposent de jouer et d’enregistrer la pièce préférée de sa fille. « On ne badine pas avec l’amour », d’Alfred de Musset.

« Jouer à être libre »

À travers cette création originale, Marjorie Nakache semble s’amuser avec les codes de la mise en scène théâtrale. En effet, entre théâtralité et distanciation, plusieurs mises en abîmes sont opérées. Tandis que les comédiennes devant nous jouent des rôles de composition, les personnages des prisonnières insistent également sur le fait qu’elles mêmes jouent d’autres rôles que leurs propres vies.

En cette veille de noël, les six prisonnières mettent en scène leur propre spectacle. Un spectacle dans lequel elle ont le droit à un festin qu’elles imaginent fait de langoustines et de grands crus. A travers la pièce de Musset, le jeu de séduction entre Perdican et Camille résonne en elles. Elles n’hésitent pas à se l’approprier avec leur propre langage, ce qui fait beaucoup rire les lycéens présents dans la salle ce jour-là. Mais finalement, cet univers du dramaturge du XIXe siècle qui semble si loin de leurs vies, finit par soulever chez elles une réalité à laquelle elle veulent échapper. Alors que Musset dans sa pièce affirme que « les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées », ces prisonnières comme les autres nous prouvent le contraire. Elles sont alors comédiennes de leur vie, l’enjolivent et se battent à leur manière contre la fatalité de leur destin.

Cette pièce en plus d’être un hommage à la littérature, elle est dédiée à ces femmes. J’espère, qu’un jour, on pourra la jouer devant elles

« Tous mes rêves partent de la gare d’Austerliz » est la deuxième collaboration entre Marjorie Nakache et Mohamed Kacimi après « Babylon city« , une pièce qu’ils ont créée ensemble en 2011. Les ateliers d’écriture de Mohamed Kaci à la Maison d’Arrêt des Femmes de Fleury-Mérogis ont nourri ce projet. De son côté, Marjorie Nakache avait envie de travailler autour de la thématique des femmes. Dans le même temps, Mohamed Kacimi travaillait Musset à Gaza. C’est donc à partir de tous ces éléments que la pièce a fini par voir le jour. Les éléments sur la vie des femmes en maison d’arrêt, comme les 3 jours de douche par semaine ou l’interdiction d’avoir un miroir, sont rapportés par Mohamed Kacimi à travers la parole de véritables prisonnières qu’il a croisées durant ses ateliers.

« Il s’agit avant tout de théâtre et on a la force de faire appel à notre imaginaire », tient à rappeler Marjorie Nakache. « J’ai vu des femmes économiser l’argent gagné dans les ateliers pour pouvoir s’acheter des livres. Cette pièce en plus d’être un hommage à la littérature, elle est dédiée à ces femmes. J’espère, qu’un jour, on pourra la jouer devant elles ».

Fatma TORKHANI

Crédit photo : Benoîte FANTON

La pièce « Tous mes rêves partent de Gare d’Austerlitz » est à voir au Studio Théâtre de Stains jusqu’au 13 avril

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