Il est passé par tous les médias mais aujourd’hui le nouvel endroit pour faire rire c’est le web. A 35 ans, Tarik Seddak use désormais de sa plume au « Studio Bagel », la chaîne d’humour sur Youtube qui cartonne. Elle comptabilise près de 1,5 millions d’abonnés et leurs sketchs et parodies comptent entre 1 à 2 millions de vues par vidéos. Tarik Seddak a rejoint l’année dernière, avec son acolyte l’humoriste Kevin Razy, cette chaîne créée par une équipe de jeunes. Pourquoi avoir quitté les « grands » médias pour rejoindre l’humour de la toile ? Le Bondy Blog a rencontré Tarik Seddak un matin dans un café parisien. On a voulu en savoir plus sur l’émergence de l’humour web, sur son parcours et son métier d’auteur. Il nous a répondu.

Comment es-tu arrivé dans la comédie ?

J’ai commencé par un stage à Canal + avec Omar et Fred. Ils réalisaient une rubrique qui faisait moins d’audiences que la fin des programmes. J’étais leur assistant pendant un an, je ne savais pas vraiment ce que je faisais. Petit à petit, je proposais des idées, je m’incrustais dans des sketchs. Canal m’a ensuite proposé un job mais j’ai préféré continuer mes études de lettres. Avec du recul, ce n’était pas forcément la meilleure idée. Et puis Fred m’a contacté un jour et m’a recommandé pour un job d’auteur à la matinale de NRJ. C’était en 2002, Bruno Guillon, Manu Payet et Arnaud Lemort [le réalisateur de « Dépression et des potes », ndlr] présentaient l’émission. Elle était très écrite, on inventait des fausses pubs, des chansons… J’y suis resté cinq ou six mois.

Après la radio et la télévision, tu as aussi écrit pour des artistes dans le stand up ?


J’avais rencontré Noom (Jamel Comedy Club, Amour sur place ou à emporter) à NRJ et un jour il me dit : « un mec, Tonjé Bankang, a ramené le stand up en France, ça te dit venir ? » Ça s’appelait le Comic Street Show, on était sur la scène du Réservoir. J’écrivais pour lui et Claudia Tagbo. Ça a cartonné, on est allé jusqu’au Splendid. Puis Jamel Debbouze est arrivé, il a pris tout le monde et il a lancé le Jamel Comedy Club.

Pourquoi avoir rejoint Jamel Debbouze ?


On était mieux payés ! Je suis resté deux saisons et je suis parti. J’en ai eu marre de l’humour. J’ai fait d’autres choses, comme écrire le scénario d’un film sur France 2.

Tu as retrouvé la comédie avec ton acolyte Kevin Razy. Vous co-écrivez ses sketchs et spectacles. Comment vous êtes vous rencontrés ?


C’était lors d’une soirée il y a sept ans. Une amie nous a présentés. Il avait fait le Jamel Comedy Club et il voulait être humoriste. On s’est parlé rapidement et quand j’ai commencé à faire une émission de radio pour la chaîne Direct 8, j’ai pensé à lui. Je suivais ce qu’il faisait sur MySpace, c’était vraiment pas mal alors je lui ai proposé un poste de chroniqueur. L’émission a duré un an et on est devenus super proches. On s’est dit qu’on devait monter une boîte de production ensemble.

Comment tu es arrivé sur le web ?

Avec Kevin on postait des parodies de films sur Dailymotion pour le site « People for Cinema », l’équivalent de « My Major Company » pour le cinéma. C’était en 2010. On est vraiment arrivés sur le web à ce moment-là. Quand on faisait 5 000 vues par vidéos, on était les rois du monde. Tous les humoristes étaient sur Dailymotion, on nous surnommait les « motion-makers ». Chaque jour, on regardait qui était en page d’accueil.
Le web, c’est un petit monde, tout le monde se connaît, on est comme une famille. On est devenus amis avec tous les gens du web : Cyprien, Norman… Puis on a quitté « People for Cinema » pour créer notre boite de production, « Barney Gold ». On réalise nos propres vidéos maintenant, on produit le spectacle de Kevin… nous sommes indépendants.

Le premier succès de « Barney Gold » est une parodie de Bref

httpv://www.youtube.com/watch?v=WVFS7UFo3W8

Quand vous postez des vidéos, au bout de combien de vues êtes-vous rémunérés ?

Dailymotion ne rémunérait pas. Petit à petit, les gens sont partis sur YouTube parce que le site payait. Aujourd’hui, c’est un euro les 1 000 vues. Avec les régies de publicités, on peut négocier jusqu’à huit euros.

Est-ce qu’on écrit de la même manière à la télévision que sur le web ?


Non, c’est deux univers complètement différents, même si cela a tendance à se rapprocher. Les gens de la télévision se tournent de plus en plus vers le web. Mais ce qui marche à la télévision ne marchera pas forcément sur internet et vice-versa. Ce n’est pas parce qu’une personne va réussir sur internet qu’elle aura du succès à la télévision, il faut vraiment comprendre cela.

Pourtant le « Studio Bagel » a été racheté par Canal +. Vous produisez des pastilles pour les émissions « Le Before du Grand Journal » et « Le Grand Journal » comme Le Dézapping, Pendant ce temps, Rappel des titres… Est-ce-que la chaîne intervient dans l’écriture ?

Pas du tout, on a vraiment de la chance de ce côté-là. J’ai travaillé pour d’autres chaînes et il y a une vraie différence. Dans « On ne demande qu’à en rire », j’écrivais les textes de Kevin avec lui et on a déjà été censuré. On avait préparé un sketch sur Marine Le Pen, mais comme elle était invitée dans une autre émission de France 2 la semaine d’après, ils ont pris peur et le sketch a été annulé.

Le Dézapping

httpv://www.youtube.com/watch?v=S4ZnZ_4_lJM




En 2013, tu as rejoint le « Studio Bagel » avec Kevin Razy. C’est une chaîne avec une organisation bien rôdée ?

C’est ça la force de « Studio Bagel ». Il y a une vraie production avec de gros moyens derrière, des vrais réalisateurs. On a une réunion chaque semaine. On est encadrés par Monsieur Poulpe, notre directeur d’écriture. Pour « Le Dézapping » par exemple, on a un code à respecter : les sketchs doivent être efficaces, courts, compréhensibles et intelligibles en deux secondes. On essaye de coller à l’actualité mais c’est difficile comme on écrit deux semaines avant la diffusion.



Avec le milieu très fermé de la télévision et du cinéma, le web est une porte pour les jeunes comiques ?

Complètement. Tu peux faire des vidéos, que tu sois bon ou mauvais. Tu peux faire ce que tu veux, tu peux tester des choses, te planter et revenir la semaine d’après. C’est la meilleure école, le web est un média à part entière. Beaucoup n’ont pas l’envie de faire de la télévision ou du cinéma. Ils font du web pour faire du web.

Sketch du « Studio Bagel » : La carte de presque, avec Manu Payet

httpv://www.youtube.com/watch?v=qqBgRlY2si4

Comment tu définirais « l’humour web » ?

Il faut faire des vidéos rythmées. On est dans l’immédiateté, c’est un humour pour la personne en face de toi. Les internautes n’ont pas l’impression de voir des professionnels mais des potes. Il faut de la sincérité, c’est super important. Les gens doivent se dire : « Ce mec est comme nous ! » Il faut être très court et ne pas être très lent.

Pourquoi cette limite ?


Parce qu’on est dans une génération zapping. Si une vidéo dépasse cinq minutes, on la zappe. Il faut capter les personnes dès les premières secondes. Le rythme doit être soutenu tout au long de la vidéo et la fin doit être assez sympathique pour qu’on partage le lien à ses amis.

Tu as écrit avec beaucoup d’humoristes. Remarques-tu une différence entre les personnes du web et des autres médias ?

Ce sont les personnes les plus saines que j’ai rencontrées. J’ai côtoyé des gens de tous les milieux : de la télévision, de la radio… Ils sont vraiment humbles. Ils font rire pour faire rire. Il n’y a pas de népotisme sur internet. T’es drôle ou t’es pas drôle. Le web a créé une nouvelle génération d’hyper-débrouillard. Ils peuvent te faire des vidéos en deux ou trois prises. Comme il n’y a pas d’égo, et moins d’argent, ils se fichent de travailler dans des conditions difficiles. Par exemple, le réalisateur de « Studio Bagel », Ludoc, fait tout tout seul. Le montage, la lumière… Si la télévision avait la moitié des réalisateurs du web, elle cartonnerait. Ils te font des plans magnifiques alors qu’en télé, on en est encore à des « Julie Lescaut ».



Les humoristes du web savent tout faire, comme l’auto-promo. Certains sont même devenus une marque ?


Pour réussir il faut être sa propre marque. C’est le cas de Norman. Ces jeunes ont appris à filmer, à gérer leur image, leur capital sympathie. Parce que sur YouTube, la sanction est immédiate : on aime ou on n’aime pas. Ils sont les entrepreneurs de demain, ils ont leur propre entreprise sans n’avoir rien demandé à personne. C’est pour ça que l’école du web est la meilleure école.

Propos recueillis par Assia Labbas
(Master Journalisme Genneviliers)

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