Alerte : article 100% spoilers, passez votre chemin chers confinés si vous n’avez pas encore visionné « Validé ».

10 millions de visionnages, un succès d’estime et une déferlante sur les réseaux sociaux… « Validé », la nouvelle série de Canal+, est un phénomène qui étonne même son créateur, Franck Gastambide.

Alors que le quotidien de la moitié de l’humanité est bouleversé par la crise sanitaire, nous – confinés – tâchons tant bien que mal de prendre patience si bien que l’information devient circulaire. Des messages Whatsapp aux challenges Snapchat et Instagram en passant par les recettes et les séances de sport, l’information circule plus que jamais.

Et Validé parvient à creuser son trou en s’imposant comme un mastodonte en tant que première série sur l’univers du rap en France. Le programme suit l’ascension tumultueuse du jeune Clement aka « Apash » (joué par le rappeur Hatik) et ses acolytes dans le monde cloîtré du rap français.

Le contexte aidant, difficile de passer à côté de la promo bien ficelée de la part de la production. Les annonces de Canal font effet, les rappeurs invités d’honneur qui partagent les bandes-annonces sur leurs réseaux… En bref, la communication arrive à point nommé et change de la masse d’informations en continu reçue à la suite du funeste Covid-19.

Validé apporte un vent de fraîcheur et d’onirisime dans cette ambiance lourde. Ce qui séduit dès le premier épisode est sans nul doute le réalisme de la série : profondément ancrée dans son temps tout en s’inscrivant dans la grande fresque du rap français. Gastambide multiplie habilement les angles et pose les jalons dès les premières minutes avec une entrée dans un « Planète Rap », émission phare de Fred de Skyrock, que connaissent tous les amateurs de rap français, aficionados comme saisonniers. Le décor est bien planté.

Une immersion réaliste dans le rap game

Des guests de la vraie scène hip hop se succèdent au fil des épisodes dans leurs propres rôles : on rencontre des anciens (Kool Shen, DJ Abdel, Mac Tyer, Soprano…) mais aussi certains poids lourds de la scène actuelle, comme Lacrim et Ninho.

Signe de la qualité de la série, ce milieu si réfractaire et soucieux de maîtriser l’image souvent écornée dans les médians mainstream est présent dans tous les épisodes.

Ce tour de force doit sans doute beaucoup à la figure de Gastambide. Lui, le fan de rap de la première heure (il a dressé le chien du légendaire clip de la Mafia K1fry « Pour ceux »), a su être gage de confiance pour mettre à la même tout ce beau monde.

Le téléspectateur est aussi amené à faire un tour dans l’arrière-boutique du rap, du côté des commerciaux avec les maisons de disques aux intérêts parfois divergents de ceux des artistes (non sans rappeler un certain NWA). L’univers des majors est un thème central de la série et s’inscrit pleinement dans le dilemme d’un art historiquement subversif : réussir à quel prix ?

Les épisodes jonglent entre studios, radios (Skyrock, Mouv), médias tendances (TPMP, Konbini) et réseaux sociaux : tout y passe si bien que l’expérience télévisuelle du spectateur est peu différente de son expérience quotidienne en tant qu’auditeur et consommateur de rap, d’où un ancrage dans la réalité efficace. A cela s’ajoute un angle quasi « docu-fiction » sur le processus de fabrication de hits ou d’albums.

Toute ressemblance avec des personnages connus…

La série est loin de se résumer à un joli décor : depuis l’avènement et le triomphe des séries, la recette des programmes addictifs repose avant tout sur un scénario convaincant et, là aussi, Validé remplit le cahier des charges.

Gastambide propose habilement de suivre le trio formé autour d’Apash avec son cousin à la blague facile, Brahim (Brahim Bouhlel), et son apprenti manager William (Saïdou Camara). La trame principale reste assez classique en plongeant dans le quotidien du néo-rappeur qui enfonce les portes les unes après les autres par son talent incontestable. En toile de fond, on retrouve les rivalités internes qui minent tout milieu exposé, plus particulièrement le rap et sa bataille d’égos.

C’est là qu’intervient la figure de Mastar. Ce mastodonte du milieu – qui n’est pas sans rappeler un certain rappeur tatoué présent depuis plus de 20 ans dans le milieu – voit d’un mauvais œil le rappeur novice à la plume et au verbe assassin. Le synopsis aurait pu tomber dans les poncifs habituels du genre mais Gastambide a subtilement joué la carte de la multiplication des sous-intrigues autour du rap : des problèmes familiaux de Clément à la vie de quartiers en passant par les histoires de trafic : Validé avance à un rythme effréné tout en conservant sa cohérence d’ensemble.

La maîtrise du cliffhanger (type de fin ouverte destiné à créer une forte attente) s’impose comme une marque de fabrique à chaque épisode qui colle plutôt bien au format des épisodes d’une trentaine de minutes créant une attente propice à l’enchaînement.

On peut parfois regretter les facilités et raccourcis scénaristiques comme l’intrigue autour du personnage de Mounir (gérant de drogue dans l’entourage d’Apash) et sa funeste fin ou encore les introductions maladroites du nouveau rappeur Karnage (joué par le rappeur Bosh) dont les interactions se résument à des insultes vociférées à qui veut les entendre. Ce dernier aurait sans doute gagné en réalisme avec davantage d’épaisseur et de nuance dans la construction du personnage.

Un « Entourage » à la française ?

Globalement, le casting est au service de personnages bien écrits ce qui dessine une jolie mosaïque : le trio principal porte la majeure partie des épisodes et est très convaincant dans son rôle. Hatik semble autant à l’aise dans les chaussures du rappeur que du jeune premier. Ses freestyles et sessions rap sont habilement filmés avec une perspective offrant un côté « clip ».

L’antagoniste Mastar (campé par Moussa Mansaly, vu cette année dans La Vie scolaire) porte la casquette de l’ancien égocentrique particulièrement juste dans son personnage. Le personnage d’Ines (Sabrina Ouazani) incarne parfaitement la carte de la directrice artistique et montre le rôle essentiel de l’entourage de tout artiste, ou encore DJ Sno, campé par Gastambide lui-même, apporte une contribution non négligeable dans le rôle du beatmaker fabriquant de hits.

De même, le quartier est également un des décors principaux qui met à l’honneur un duo improbable a la frontière du cliché avec Yamar (Rachid Guellaz) et Rico (Hakim Jemili)

Au final la première série sur le rap hexagonal s’impose comme une réussite, à l’image d’un « Entourage » français même si le format est assez différent. Difficile après vision de ne pas y voir quelques points communs : réalisme sur le quotidien d’un milieu peu étanche, bande originale soignée, acteurs charismatiques et scénario bien ficelé. La conclusion est totalement déroutante si bien que la question qui se pose est assez évidente : pour quelle suite ?

Moussa NDIAYE

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