Rendez-vous était pris. On devait retrouver Youssoupha au Mama Shelter, un restaurant cossu du XXe arrondissement. On voulait lui parler de la sortie de son album, Noir D****, numéro un des ventes d’album en digital trois semaines après sa sortie, de sa vision du rap, de son engagement politique… Seulement ces derniers temps – succès oblige – Youssoupha jongle avec les médias comme il le fait avec les mots. Résultat, il est arrivé avec une heure et demie de retard. Il s’excuse mille fois, lance une vanne, s’enquiert de la santé du Bondy Blog et l’entretien peut commencer. Morceaux choisis.

Noir Désir est sorti il y a quelques semaines et marche très bien. Comment tu expliques ce succès ? Si je pouvais décrypter ça précisément je n’aurais fait que des succès. Mais la je pense que la promo  a bien servi l’album. Et puis par ailleurs, j’ai fait pas mal de concerts et je pense qu’au bout d’un moment le fait de rencontrer les gens, ça les a fidélisés. Mais si on espérait que ça marche bien, que ça cartonne à ce point là, on ne s’y attendait pas.

Le fait d’avoir sorti ton album en indépendant, c’est pour te libérer du carcan des majors ? Alors c’est sûr, c’est plus difficile, administrativement, financièrement aussi, parce qu’on est que trois, et on fait tout nous mêmes. Après, ça permet de se décomplexer, de mener les idées jusqu’au bout… On voulait du bon rap, alors que beaucoup, y compris dans la profession, ont une mauvaise image du rap. Ça nous a aidés d’être en Inde.

Pour l’écriture aussi ? T’étais bridé à ce niveau là par les majors ? Je pense que j’aurais eu la même « performance » au niveau de l’écriture si j’étais en maison de disques. Ce qui change, c’est l’écrin dans lequel tu fais ton morceau.

Tu disais tout à l’heure que beaucoup, y compris les rappeurs, avaient une mauvaise image du rap, mais pour toi, c’est quoi le rap ? C’est une musique qui comporte plusieurs aspects importants. Le premier c’est que le rap est une musique non pas engagée, mais militante. Ensuite, le rap parvient  se régénérer tout le temps, à la fois dans la forme et sur le fond. C’est une musique qui emprunte à diverses tendances, diverses cultures… Il y a un troisième aspect, c’est que le rap est un genre qui ne meurt pas.

C’est une culture à part entière ? Ce n’est pas le rap qui est une culture mais le hip hop. C’est un mode de vie. On vit hip hop, par rapport aux expressions qu’on utilise, la presse qu’on va lire, la musique qu’on va écouter.

Dans le morceau Menace de mort, tu dis : « Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ». Tu considères que l’extrême politisation  des rappeurs telle qu’elle a cours est légitime ? Il faut faire un distinguo ici. Le rap doit dénoncer parce que les rappeurs sont souvent issus de minorités sous représentées. Mais les rappeurs ne doivent pas être des « aiguilleurs sociaux ». Ils ne doivent pas prendre position sur tout.

On parle de Youssoupha comme d’un rappeur « conscient ». Cette étiquette te dérange ? Quand les gens me le disent, ils le disent comme un compliment. Mais ce n’est pas quelque chose qui me convient vraiment,  parce que je n’aime pas les cases. Les cases me mettent en cage.

Tu es un adversaire de la vague qui consiste à dire que le rap était mieux avant. Qu’est-ce que tu penses de la scène française actuelle et l’arrivée de groupes comme 1995 ou O2zen ? Je la vois d’un œil bienveillant. Ils sont braves. Ils arrivent dans une industrie qui a beaucoup moins d’argent qu’auparavant. Ils font du neuf et on ne peut pas les éliminer en balançant que le rap c’était mieux avant.

2012 : année présidentielle. Est ce que tu es un citoyen pessimiste ? Pessimiste, non. Mais je suis un citoyen frustré. Le jeu démocratique tel qu’il se déroule ces dernières années est un peu pipé. Quand je regarde le Parlement, je ne trouve pas que ça ressemble à la France que je connais. Et ça, ca me pose problème.

Propos recueillis par Hugo Nazarenko-Sas. (Remerciements à Riwan A.)

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