Sa signature d’email n’en finit pas : dix lignes. Chef d’Orchestre, directrice musicale de l’Orchestre symphonique Divertimento ; directrice du Conservatoire et du Festival Classiq’ de Stains auxquels s’ajoutent des coordonnées façon « executive woman »… Ne manquerait que la Légion d’honneur à cette jeune femme pour que le tableau soit complet. Une boutade ? Même pas ! A 30 ans, trop jeune pour « la rosette », elle ne peut recevoir « que » la distinction de Chevalier de l’Ordre national du mérite, le 6 décembre 2008, devant ses proches, ses admirateurs et sous le regard ému de ses parents. Ce soir-là, son père pleure le Canal de l’Ourcq tellement la joie et la fierté le submergent.

Pourtant, la soirée de la reconnaissance, celle du « déclic » se produit deux ans plus tard : le 17 février 2010 à la Cité de la Musique. La soirée se joue à guichets fermés. Hormis son public d’habitués, se pressent le tout Paris musical classique, des huiles… ses pairs. Zahia Ziouani a la pression : elle sait qu’elle joue sa légitimité d’artiste auprès de certains qui ne se déplaceront jamais à Stains pour venir l’écouter. Et ils sont tous venus. Radio Classique retransmet le concert et Arte le filme.

La mesure bat parfaitement et le programme de Musique Française conquiert le public. Sous le tonnerre d’applaudissements, cette fois-ci, c’est elle qui verse une larme. Elle sait qu’elle a fait le plus dur. Elle vient d’abattre un plafond de verre artistique. Raphaël Pidoux, le grand violoncelliste invité qui parraine son orchestre lui glisse à l’oreille au moment du salut : « Depuis le temps qu’on la méritait cette salle ! » Car elle vient aussi de franchir une autre barrière invisible, celle du périphérique, elle qui a grandi à quelques centaines de mètres, mais pas à Paris, à Pantin, en Seine-Saint-Denis.

Nul n’est prophète en son pays… Car à l’étranger, cette légitimité artistique est arrivée plus tôt : en Russie, en Allemagne ou encore sur la terre natale de ses parents, l’Algérie. Depuis 2007, elle est le chef d’orchestre principal de l’Orchestre symphonique national d’Algérie avec qui elle a pu diriger de grands concerts en associant les Orchestres Symphoniques du Caire et de Tunis. L’international lui a toujours porté chance. Indéniablement. Déjà, l’année de son bac, l’assistant de Sergiu Celibidache, le maestro de renommée mondiale, de passage à Paris, la repère et l’invite en Allemagne pour suivre les masters class du grand chef d’orchestre. Son potentiel de direction d’orchestre n’échappe pas à l’œil aguerri de Celibidache. Mais son jeune âge lui joue des tours. Après chaque séance, le maestro l’interroge : « Zahia, as-tu des questions ?» Invariablement, elle répond : « Non. » « Aujourd’hui avec le recul et l’expérience, j’en aurais 100 à lui poser ! » regrette-t-elle. Le maestro s’éteint en 1996. Reste la relève…

En 1998, à 20 ans, elle se sent prête à se lancer dans la direction d’orchestre. Femme dans un milieu quasi exclusivement masculin (voire machiste) mais surtout, handicapée par son jeune âge, personne ne veut d’elle. Qu’à cela ne tienne, elle crée Divertimento, son propre ensemble symphonique. Commence alors un long parcours semé d’embuches qui la mène au 20 mai 2010 : le prestigieux Festival de Saint-Denis lui ouvre enfin les portes de la Basilique pour jouer en compagnie des Rois de France et devant son public, socialement mixte et métissé, chose inhabituelle dans le monde du classique. A la Cité de la Musique, des cars entiers étaient venus de la banlieue pour soutenir celle qui mène le projet Orchestre de jeunes dans des cités éligibles aux programmes de la Politique de la Ville.

Cette initiative incite des enfants de 7 à 11 ans à former un petit ensemble musical pour apprendre à jouer d’un instrument. Son investissement auprès de jeunes qui viennent d’un milieu populaire a failli l’enfermer dans un carcan, celui de l’animatrice socio-culturelle de banlieue au point de faire disparaître aux yeux de certains l’artiste qu’elle est avant tout. Mais à un tel niveau, quand on vise l’élite musicale internationale, pourquoi dilapider son énergie et un temps précieux dans des leçons de musique destinées à des néophytes ?

« Mes parents, d’origine modeste, mais férus d’art et de culture, ne venaient pas de ce milieu. Quand ils ont poussé la porte du Conservatoire de Pantin, ils étaient intimidés d’autant que ma sœur, mon frère et moi étions les seuls « petits arabes » à le fréquenter à cette époque… Si je suis là où j’en suis aujourd’hui, c’est en partie grâce à mes parents bien évidemment mais aussi grâce à des profs que j’ai eu dans ma jeunesse et à l’accès à la culture pour tous. Je veux rendre ce que j’ai reçu… Et puis même si tous les jeunes que j’initie à la musique ne deviendront pas forcément des musiciens professionnels, pour certains, s’opère un déclic. Ils découvrent qu’ils peuvent s’investir dans un projet, être capable de le mener à bien.

» Ce n’est pas exagérer de dire que ça peut changer, voire sauver la vie de jeunes qui évoluent dans un environnement très difficile. J’ai connu une jeune fille qui était au bord du suicide et qui va beaucoup mieux grâce à la pratique son instrument. Je veux aussi leur donner des outils, susciter leur esprit critique pour que plus tard, personne ne puisse décider à leur place ! Et si je ne fais pas moi ce travail là, qui le fera ? C’est ma mission… »

Et à l’écouter parler, initier les jeunes de quartiers difficiles à la musique classique est loin d’être son unique challenge… D’autres motivations semblent faire battre le pouls de la petite banlieusarde devenue une étoile de la musique classique. Comme dresser des ponts entre les mondes auxquels elle appartient, qui vivent côte à côte mais sans vraiment se comprendre. En somme, abattre des murs invisibles. Entre Paris et sa banlieue, entre la musique classique et les milieux populaires et entre la France et l’Algérie, ses deux patries…

Sandrine Dionys

Prochains rendez-vous de l’Orchestre symphonique Divertimento
– Samedi 12 juin 2010 à 16h, à l’Olympia
– Autour de la Fête de la Musique
– Programmation de musiques de films
– Concerts les 21, 22 juin 2010, à Stains et Paris
 
Tournée Algérie 2010, octobre 2010

En savoir plus sur Zahia Ziouani et Divertimento
http://www.orchestredivertimento.com/joomla/index.php?option=com_content&task=view&id=19

Sandrine Dionys

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