D’habitude les Masterclass sont l’occasion pour les participants de plancher sur un exercice pratique pour essayer ou améliorer les techniques journalistiques comme l’interview. Pour le journaliste de RFI David Thomson, auteur du livre Les Français jihadistes publié aux Arènes, pas d’exercice organisé mais un échange avec la salle. Un mois après les attentats de Paris et de Saint-Denis, leurs 130 morts, dizaines de blessés et l’onde de choc internationale qu’ils ont produite, les habitués et les membres du Bondy blog ont besoin de comprendre. Qui sont ces Français prêts à massacrer à la Kalachnikov de simples gens attablés à une terrasse de café ou s’amusant à un concert de métal ? Au nom de quoi ? Et surtout, comment et pourquoi ? Au vu de l’affluence record, ils sont nombreux à se poser ces questions mais aussi à connaître David Thomson grâce à son compte Twitter (devenu pour eux une référence) et ses interventions télévisées. Pour beaucoup, il représente un interlocuteur fiable et crédible.
Faïza Zerouala, reporter au Bondy blog et journaliste à Mediapart qui assure l’animation, introduit cette masterclass en interrogeant notre confrère sur son parcours et l’origine de sa vocation. Petit, sa mère lui répète à l’envi : « tu es curieux, tu aimes tout savoir dans le quartier. Deviens journaliste ! ». L’idée cheminera. Après avoir obtenu un baccalauréat économique et social, il intègre un IUT de commerce, enchaîne avec la fac, tout en se passionnant pour la musique. Il finit par intégrer une école de journalisme à Bordeaux. Diplômé, le terrain et ses aventures l’attirent inexorablement. Il rêve d’Afrique.
Début 2011, ça bouillonne en Tunisie et David Thomson se retrouve propulsé en pleine révolution, suite à la chute du président-dictateur Ben Ali. « Sous Ben Ali, la presse était contrôlée, surveillée. Il n’y avait pas de bureaux de correspondants sur place. Après son départ, le pays était comme une terre vierge pour les journalistes. J’ai travaillé pour RFI et France 24, mais aussi pour France Télévisions, Arte, ou encore les médias de Belgique, de Suisse et du Canada ».
Quelqu’un l’interrompt : comment fait-on quand on arrive dans un pays dont on ne connait rien ?  » Malgré le stress du début, ça a été facile de s’adapter, car il y avait un forte actualité dans le pays. Même s’il m’a été difficile de préparer mon départ, car peu d’ouvrages existaient sur l’histoire politique de la Tunisie. » Pourtant, il ne parle pas l’arabe et l’anglais « comme une vache espagnole alors que mon père est anglais », mais un jeune Tunisien qui lui sert de chauffeur et guide (devenu journaliste depuis) assure les traductions et beaucoup de discussions se font en français.
Tunisie est le premier « fournisseur » de combattants étrangers pour l’EI
Sur place, il croise pour la première fois l’idéologie jihadiste. « Deux mois après la révolution, les détenus ont quitté les prisons. Rapidement, des mouvements jihadistes se sont formés, car la sécurité n’était pas encore en place en Tunisie. Ces hommes qui se revendiquaient jihadistes voulaient se faire connaître. Il était très facile de s’entretenir avec eux. C’est comme ça que j’ai eu mes premiers contacts. » Lors de ces échanges avec ceux qui appartiennent déjà au groupe Ansar al-Charia, David Thomson essaye de comprendre leurs motivations, leurs buts.
De son passage en Tunisie, il se souvient aussi de l’aveuglement du reste de la population et des élites face à la montée en puissance de cette idéologie. Au contraire de la France, dont le recrutement se passe principalement via le net, l’embrigadement se faisait dans les mosquées dont de très nombreuses étaient infiltrées par les islamistes radicaux. Aujourd’hui, la Tunisie est le premier « fournisseur » de combattants étrangers pour l’État Islamique et selon lui, il a fallu les attentats de 2015 du Prado et de Sousse pour que l’État et le peuple tunisien prennent enfin conscience de la gravité de la situation sur place.
En 2012, son employeur l’envoie comme correspondant en Libye au cœur des combats entre les forces khadafistes et les milices. « Là-bas les rebelles accueillaient les journalistes français à bras ouverts en criant Vive Sarkozy ! Avec le recul, je me rends compte que notre couverture du conflit, avec mes confrères journalistes, était plutôt pro-rebelle ». Quand la situation devient trop critique, sa rédaction décide de le rapatrier à Paris. Ironie du sort, la dernière ville qu’il couvre comme correspondant est Syrte, la première ville à tomber aux mains de l’État Islamique en 2015 dans ce pays plongé en plein chaos depuis la chute de Khadafi.
Après trois ans de terrain en Tunisie et dans une Libye en guerre, le retour en France est compliqué. David Thomson se sent comme « décalé ». Il décide d’exploiter les données et les faits qu’il a compilés et observés durant tous ces reportages et d’en faire quelque chose. Il réalise un documentaire Tunisie, la tentation du Jihad puis publie en 2014 le livre Les Français jihadistes qui retrace le parcours de plusieurs Français dont une version enrichie paraîtra en avril prochain.
httpv://youtu.be/nXZwVHy2Ck4
Grâce à ses contacts pris en Tunisie et son compte Twitter qu’il utilise en véritable outil de travail, il s’entretient avec des Français, mais aussi des hommes en Irak et Syrie qui connaissent son travail et le suivent sur Twitter. « Tous me racontent leur histoire. Ils me parlent pour diverses raisons. L’un des protagonistes de mon livre par exemple m’a clairement dit qu’il se confiait à moi pour que sa mère comprenne. Il m’a demandé ensuite d’envoyer le livre à sa mère, ce que j’ai fait. Je ne me vois pas travailler sans Twitter. Je n’ai pas de filtre, pas de rédacteur en chef, et sur Twitter si vous publiez une information fausse, des dizaines de tweets vous tombent dessus pour vous le faire remarquer. » Selon David Thomson, 2012 est aussi le tournant pour le cyberjihadisme.
Après la pause café, la masterclass reprend avec les questions qui fusent d’un public encore renforcé par un groupe de jeunes venus du lycée Mozart au Blanc-Mesnil et qui découvre le Bondy blog pour la première fois. Quel intérêt ont les jihadistes d’entrer en contact avec toi interroge Kevin. « Il y a un côté « ego trip » comme dans le rap. Beaucoup de mes contacts sont d’anciens rappeurs. Ces jihadistes ont l’impression que leur parcours est exemplaire et veulent le faire connaître. »
Les questions arrivent en cascade. David Thomson tente d’y répondre le plus clairement possible. « L’idéologie jihadiste est un kit à penser qui pour ces jeunes permet de répondre à toutes leurs frustration : sociale, personnelle, économique etc. Le facteur social est à prendre en compte évidemment mais il n’explique pas tout car il y a une multiplicité de facteurs à leur adhésion à cette idéologie. Certains jihadistes parlent beaucoup du passé colonial de la France. L’un d’entre eux m’a dit un jour « l’islam nous a rendu notre dignité, alors que la France nous a humilié ». Mais j’ai vu aussi des médecins, des grands diplômés, des anciens militaires français et des gens de tous profils et de toutes classes sociales adhérer à cet islam radical. Ils rejoignent tous l’État Islamique pour des motivations qui leurs sont propres. Le jihadisme n’a pas de profil type ». Selon le reporter, les convertis représentent environ 25% des Français jihadistes et il prend en exemple le cas de Maxime Hauchard dont le parcours de vie, avant son basculement dans l’islam radical, était banal. « Il y a aussi beaucoup d’Antillais, des Portugais, même des Coréens ! La force de l’État islamique est qu’il justifie toutes ces actions en se référant à des hadiths » analyse David Thomson.
Comment devient on expert en jihadisme? Pas de recette miracle. « On ne fait que travailler mais on n’a plus de vie sociale » admet le jeune journaliste de 35 ans. Myriam s’interroge : T’as pas peur d’être instrumentalisé et devenir un chargé de communication de l’EI ? « Avec d’autres comme Romain Caillet, ou Wassim Nasr, on travaille une matière qui est de la propagande, on est conscient, mais c’est aussi une mine d’information. Qui sont ces gens-là, qu’est-ce qu’ils ont dans la tête ? C’est ce qui guide mon travail. J’essaie simplement de rendre ça intelligible pour les gens. Je ne suis pas une courroie de transmission. » Myriam reprend la parole :« Pourquoi ne pas collaborer avec les services de sécurité? » «Les flics font leur taf et je fais le mien. Je ne suis pas là pour faire arrêter des gens. Je suis journaliste et non policier. C’est pourquoi je ne demande jamais leurs noms à mes interlocuteurs.»
Des blogueurs se posent la question du retour. Là aussi les motivations sont très variées. « Des gens rentrent parce que leurs parents leur manquent. D’autres reviennent dégoûtés car ce sont les émirs qui ont les belles bagnoles, les femmes… les privilèges. Une jeune fille enceinte est rentrée car il n’y a pas de péridurale en Syrie et il était hors de question qu’elle accouche dans les conditions syriennes. » A propos des femmes, le journaliste de RFI ajoute : « Sur 270 retours, 5 femmes seulement car elles ont besoin de l’autorisation du mari pour rentrer. D’autres ne veulent pas rentrer tout simplement. Elles ne sont pas poursuivies à leur retour car considérées comme des victimes. Pourtant certaines d’entre elles sont offensives. Moi, dans mon travail, je n’ai pas accès aux femmes car ce sont leurs maris qui me parlent. Une place féminine est libre sur le marché donc  !» lance-t-il à l’adresse de ses consœurs.
« Personne n’a le début d’une solution… »
Quand un jeune lui demande si à force de s’entretenir avec les jihadistes, il ne pourrait pas finir par avoir de la sympathie pour leur cause et leur idéologie, les yeux de David Thomson s’écarquillent. « J’ai une chaise vide en face de moi à RFI depuis 2 ans, celle de Ghislaine Dupont, tuée par AQMI en 2013. Des amis journalistes comme James Foley ont été décapités par l’État Islamique !» Sans équivoque.
Et l’invité et les participants de débattre sur la situation sécuritaire en France et en Europe. David Thomson raconte sa surprise quand il appris qu’ Abdelhamid Abaaoud se trouvait à Paris au moment des attentats, le terroriste étant fiché et bien connu de tous les services de sécurité européens. « Abaaoud à Paris, qui fraude le métro à Croix-de-Chavaux, c’est pas une faille sécuritaire, c’est le Grand Canyon ! C’est l’équivalent de Ben Laden en roue libre ! » déplore-t-il.
Sur les façons de lutter contre ce type de terrorisme sur notre sol, le journaliste n’a pas de réponses et ne peut que comparer le déséquilibre entre les moyens de propagande de Daesh et la riposte des autorités. « 5000 rapports et photos, 800 vidéos, une vingtaine de magazines édités par l’État Islamique face à deux vidéos du Ministère de l’intérieur. Pour éviter de nouveaux départs, mettre fin à la guerre en Syrie serait déjà une bonne chose. Mais personne n’a le début d’une solution… »
Est-ce qu’il y aura d’autres attentats en France ? ose un participant : « Il ne fait aucun doute qu’il y aura d’autres attentats. Et quand Raqqa tombera, avec le retour des jihadistes, un péril majeur planera sur la Tunisie mais aussi sur la France…» Une conclusion glaçante pour une école du blog qui peine à se terminer tellement les questions qui taraudent encore les participants semblent nombreuses ou encore demeurer sans réponse.
Sandrine Dionys (@SDionys) et Inès El Laboudy (@InesLabou)

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