On sonne à la porte. Notre invité du jour est en plein discours mais il s’interrompt, se lève et va lui-même ouvrir la porte des locaux du Bondy Blog. C’est Hanane Kaddour, la trésorière de l’association, qui a quelques minutes de retard. Et qui ouvre grand les yeux quand elle voit qui lui ouvre la porte. Fou rire dans la salle. Voilà dans quelle ambiance le Bondy Blog a accueilli Guillaume Meurice, ce samedi 16 février, pour la première Masterclass de l’année 2019.
L’occasion pour nous de découvrir celui dont la chronique quotidienne sur France Inter est écoutée par plus d’un million de personnes tous les jours, 800 000 à la radio et quelques centaines d’autres milliers sur Internet. D’ailleurs, devant le succès de l’annonce de cette Masterclass, le Bondy Blog a été contraint de refuser des inscriptions (!) sous peine de faire craquer des locaux que la cinquantaine de présents a déjà bien remplis.
C’est pourtant la première fois que le BB reçoit un humoriste à la table de sa Masterclass. Il faut dire que Guillaume Meurice n’est pas un humoriste comme les autres. Un humoriste aux frontières du journalisme, dira-t-on presque. « C’est un vrai problème pour le journalisme si on considère que ce que je fais est du journalisme, dit-il pourtant. J’utilise les codes du journalisme sur le terrain avec les reportages, un peu comme le Gorafi avec ses articles. Je fais comme Jean-Pierre Pernaud, je sélectionne et il y a une ligne éditoriale derrière… Moi, il y a une ligne éditoriale et j’assume. Mais le micro-trottoir, ce n’est pas un outil journalistique. »
Un « comique d’investigation »
Originaire d’un village de Haute-Saône au nom très évocateur de Chenôve, notre invité du jour était plutôt parti pour construire un parcours en gestion. DUT GEA puis début de licence dans la foulée… qu’il arrête finalement. A partir de là, son parcours se construit très différemment. Il intègre le Cours Florent, décrit cette école comme « un endroit où on t’apprend à avoir confiance » et se rappelle le discours des enseignants : « Je ne ferai pas de vous des bons acteurs, je ferai de vous des gens intéressants ». Pour lui donc : « un bon prof, c’est quelqu’un qui t’apprend à être toi-même ».
Après le Cours Florent et le one-man show, il arrive à France Inter via On va tous y passer, l’émission de Frédéric Lopez, au côté duquel il passe deux ans, de 2012 à 2014. C’est Alex Vizorek qui l’amène au « comique d’investigation » dans Si tu écoutes, j’annule tout, devenu depuis Par Jupiter !. Venu sans concept, il en construit un peu à peu : le fameux micro-trottoir où on garde le pire, le plus drôle finalement, de ce qu’on entend dans la rue, dans les couloirs de l’Assemblée ou dans le cortège d’une manifestation.
Salle pleine pour la masterclass de @GMeurice au Bondy Blog. Première masterclass de 2019 et ça commence fort 😏 pic.twitter.com/a5s0PnwUbs
— Le Sphinx (@Ilyesramdani1) February 16, 2019
Sa ligne éditoriale de caricature est donc très assumée. Pour autant, il explique : « Je ne me moque pas des personnes, je me moque des raisonnements. Je ne suis pas certain que les gens pensent ce qu’ils disent, je pense qu’ils répètent souvent ce qu’ils entendent en fait. C’est dur d’avoir cette hygiène mentale de faire un pas de côté, de se poser la question et l’école ne l’apprend pas d’ailleurs, même si elle commence un peu à le faire. C’est d’ailleurs pour ça que mes chroniques, je les fais le lendemain, parce que les gens ont regardé BFM TV pour savoir ce qu’ils doivent penser. Du coup, ce que je récupère en fait, c’est le traitement médiatique de la réalité. »
Concernant ses relations avec les politiques dans ses chroniques, il précise : « Moi je leur coupe la parole quand ils ne répondent pas à la question. Avec les politiques, il faut casser leur com. Ils ont l’habitude de jouer une pièce de théâtre, et ça ne se fait pas de couper la parole, c’est pas ça la pièce de théâtre. D’habitude, les questions sont toujours les mêmes, c’est très scénarisé. Les députés, à l’assemblée, le journaliste vient leur poser des questions et ils demandent : combien de temps vous voulez, 2 min 30 ? Ok ! Et il te sortent un truc de pile 2 min 30, avec des phrases super longues, impossibles à couper, avec des respirations où il faut. Ils sont très forts. Sur le fond et sur la sincérité des propos rapportés en chronique, il avoue : « je me demande beaucoup avec les macronistes, quelle est la part de cynisme et quelle est la part de ‘ils ne sont pas au courant’ ? » Et explique que la réponse le surprend souvent.
Pas militant mais engagé pour certaines causes
Lorsqu’on lui demande comment il choisit ses sujets, s’il arrive qu’il s’auto-censure ou qu’il ait peur, la réponse est plutôt claire : « A Radio France, c’est facile. De toute façon si ce n’était pas le cas, je partirais, je suis parti de Canal+ au bout d’une chronique donc je partirai. Avec Charline, on est très protégés par la direction, ils ne nous le disent pas mais ils reçoivent souvent des coups de fil et ils nous défendent. (…) Et puis sur Radio France, il faut aussi de l’audience mais il y a quand même moins de publicité. Ce qui fait qu’on a plus de comptes à rendre à la société qu’à Danone ou Nestlé et c’est un garde-fou important. » Il estime d’ailleurs : « Ce qu’on vit, ça ne nous arrivera plus jamais. Faire ça sur une radio nationale, entre potes. Ce qui est d’ailleurs une force et une faiblesse parce qu’il faut trouver le bon équilibre pour pas que l’auditeur se sente exclu. »
Il analyse aussi sa motivation et la réception de ses chroniques. « Je ne fais pas trop ça pour être aimé, confie-t-il. Certains font ça parce qu’ils ont une faille, un besoin affectif à combler. Dans la vie, moi je suis bien entouré donc je ne fais pas ça pour ça. » Certaines de ses chroniques suscitent ainsi des réactions assez vives. Et Guillaume Meurice de se confier sur ces messages d’insultes qui arrivent… et sur ses réponses. « Je réponds pour comprendre ce qui a motivé la personne à m’insulter. Pas seulement à dire ‘Connard !’ en écoutant la radio, mais de faire la démarche de m’écrire sur les réseaux sociaux, d’y passer du temps. Je réponds plus souvent aux gens qui ne m’aiment pas, aux critiques, car ces personnes-là interrogent en fait ce que je fais » Son végétarisme par exemple, « de notoriété publique » – même s’il « n’a pas l’impression d’être célèbre », ce sont des réactions à ses chroniques qui l’y ont conduit. « On me disait, « ça ne va pas, tu défends les animaux et pourtant tu manges de la viande ».
Ses prises de positions en chroniques sont souvent assez tranchées mais il réfute plutôt l’étiquette de militant, l’associant d’une certaine manière à une forme de prosélytisme : « J’ai envie de convaincre, de faire avancer les choses, de montrer la réalité mais je n’aime pas le fait de dire ‘je pense que j’ai raison’. » Une femme, dans le public, insiste, n’en démord pas. Il finit par reconnaître une part de militantisme dans ses chroniques en parlant d’un « degré de militantisme lorsque l’on commence à prendre position sur des sujets. »
Deux particularités à noter à son sujet. La première, un goût apparemment très prononcé pour la réalité. « Je n’ai jamais été ému par un film ou un roman, reconnaît-il volontiers. Je peux être ému devant un paysage ou un comportement d’empathie mais devant un tableau de Vinci, je me dirais juste ‘bien bossé mec’. La réalité est toujours plus incroyable qu’on peut l’imaginer ». Autre particularité, une posture très critique vis-à-vis de la notion de compétition. « Je refuse de faire partie de jury, çe ne m’intéresse pas. Noter quelque chose d’artistique, ça n’a aucun sens. D’ailleurs, j’ai refusé de faire l’émission On n’demande qu’à en rire (sur France 2, ndlr) ».
En marge de ses chroniques, Guillaume Meurice a aussi écrit un roman, Cosme, publié début 2018. Il est aussi membre d’un groupe de rock dit « macroniste », The Disruptives. Quand on lui demande ce qu’il imagine pour la suite de ses projets, il conclut : « Je ne me vois pas du tout être un vieil humoriste de 60 ans, qui a son créneau… J’arrêterai quand je me serai lassé. Il y a pleins de choses hors médias que j’aimerais faire, par exemple un projet associatif comme ce que fait Cédric Herrou ou des choses autour du thème de la souffrance animale, des fermes pédagogiques… » Après deux heures d’échanges, l’échange se conclut et le public applaudit notre premier invité de l’année. On aura décidément ri, mais pas seulement, ce samedi. Du Guillaume Meurice, quoi.
Anne-Cécile DEMULSANT