Il est 14 heures, le temps s’est refroidi et les invités s’empressent de rentrer dans les locaux du Bondy Blog, pas seulement pour se réchauffer, mais surtout pour assister à la masterclass de Hala Kodmani.

Journaliste franco-syrienne, spécialiste de la Syrie à Libération et auteure de Seule dans Raqqa, une enquête de 2011 à 2015 sur la révolution syrienne, Hala Kodmani explique qu’elle est très touchée d’être invitée au Bondy Blog, et enchaîne en déclarant que « c’est la première fois qu'[elle met] les pieds à Bondy ». Après ces quelques politesses échangées, la masterclass débute dans un silence presque religieux, le public, constitué d’une vingtaine de personnes, n’attendait que cela.

Entre Orient et Occident, le parcours d’une femme journaliste

Comme le veut la tradition, la journaliste commence la masterclass par raconter son parcours, ses débuts, quand tout a commencé. Née à Damas, elle suit dès son plus âge son père, diplomate. La famille voyage au fil des missions du paternel et vit successivement en Tunisie, en Libye et en Égypte, « dans le même ordre que les révolutions arabes », dit-elle avec le sourire. Hala Kodmani retourne ensuite à Damas puis à Beyrouth où elle apprend l’arabe littéraire avant de poursuivre dans un lycée de Londres. Après des études de Lettres, elle intègre le CFJ (Centre de formation des Journalistes) dont elle sera diplômée.

S’ensuit une période de stages et de piges. Hala Kodmani commence à se spécialiser dans ce qu’elle appelle « mes sources », c’est-à-dire les pays arabes. C’est à la Ligue Arabe à Paris, qu’elle obtient son premier travail en tant que salarié. Trilingue (français, arabe et anglais), la franco-syrienne travaille également en tant que traductrice. Pour cette passionnée des lettres, cet exercice est « son petit plaisir personnel ».

En 2006, lors de la création de la chaîne d’information France 24, Hala Kodmani est sollicitée pour diriger l’équipe arabophone, dont elle devient la rédactrice en chef, un exercice qu’elle qualifie de « très enrichissant car on ne partait de rien et qu’il fallait tout construire ». Elle y travaille pendant deux ans et participe à la fondation du site web de la chaîne et notamment de sa version arabe. Le récit de cette expérience donne lieu à plusieurs anecdotes. « L’arabe était perçu comme une langue barbare pour ceux qui devaient mettre en place le site, par exemple ils n’avaient pas comprit que l’arabe s’écrivait de droite à gauche ! » Après l’enthousiasme et l’excitation des débuts, la fatigue, le rythme effréné et les contraintes liées au poste finissent par lasser Hala. En 2009, cette dernière décide de retrouver les joies de la freelance. Elle se focalise toujours sur le monde arabe, mais précise : « je ne m’interdis pas d’aller vers d’autres pistes ». Elle nous le prouve en mentionnant son expérience de chroniqueuse au sein du magazine économique Investir, « alors que je n’y connais rien en économie ! » plaisante-elle.

La révolution syrienne, « je l’attendais »

Missionnée par le CFJ, la journaliste donne des formations de journalisme dans plusieurs pays arabes : l’Égypte, la Palestine ou encore l’Algérie… Elle vit alors un premier tournant, celui du printemps arabe. « Je suis revenue au journalisme chaud pas seulement par professionnalisme mais aussi par coup de cœur« , confie-t-elle. Quelques jours avant la chute du régime Moubarak, Hala ouvre un blog sur Rue 89, Neo Arabia, qu’elle alimente bénévolement. Le deuxième tournant ? C’est le déclenchement de la révolution dans son pays de naissance, la Syrie : « parce que je l’attendais » nous dit-elle. « Première chose que je me suis dite, c’est il faut y aller ! » En avril 2011, Hala débarque à Damas, d’abord pour visiter sa famille. Sa double nationalité facilite ses voyages. En clandestinité totale, elle observe le terrain « derrière les murs, une connexion me menait à une autre ». Dès son retour, Hala appelle son employeur actuel, Libération, qui accepte de travailler avec elle pour sa précieuse connaissance du terrain et de la société syrienne. Lorsqu’elle commence sa collaboration avec le quotidien, Hala révèle fièrement avoir refusé de signer ses articles sous pseudo. « C’était une période où il fallait braver la peur ». Avec le recul, la journaliste regrette ce choix car cela l’empêche d’y retourner sans risquer de se faire repérer. L’expérience lui permet tout de même « d’entrer dans tous les réseaux en Syrie » : « j’avais des reporters sur place qui étaient heureux de me donner des témoignages sans que je ne me rende sur le terrain ». Des témoignages qu’il faut bien sûr vérifier, rapporte la journaliste, qui explique que l’absence du terrain amène à un long travail de vérification des sources.

La possibilité de retourner sur le terrain pour Hala se représente lorsque plusieurs zones échappent au contrôle du gouvernement. Elle y retourne, réalises des reportages dans des zones de conflit de 2012 à 2015. À ce moment, Hala ne cachait pas son statut de journaliste. « On m’accueillait formidablement et dans chaque village j’étais logée chez une famille ». Interpelée sur les difficultés supposées d’évoluer en tant que femme sur des terrains de guerre, Hala assure au contraire que son sexe et son âge ont été des avantages : « Tout ce qu’on peut considérer comme des handicaps ici ont été des atouts là-bas, le fait que je sois femme, arabe et vieille ». Elle précise tout de même, « dès que je passais la frontière turque, je mettais un hijab cela me permettait de passer inaperçue dans le décor… d’ailleurs j’avais beaucoup de mal à le mettre je n’y arrivais jamais ! Son port n’était pas une obligation, mais j’ai quand même continué à le mettre parce que si mon enlèvement aurait emmerder tout le monde ! »

Dernier tournant ? C’était l’année dernière, lorsque Libération propose à Hala Kodmani d’intégrer la rédaction. « C’était inespéré à mon âge et avec la situation de la presse écrite que l’on connaît ». Aujourd’hui , elle couvre tout le Moyen Orient depuis un an et demi. Une situation et des conditions de travail dont Hala se félicite. « Freelance n’est pas free du tout », s’est-elle amusée à rappeler.

« Le journalisme neutre n’existe pas »

Hala Kodmani se décrit comme « une journaliste engagée ». Elle raconte d’ailleurs avoir toujours refusé d’être embedded, c’est-à-dire encadrée « que ça soit par une force armée ou par un groupe politique ». C’est ce qu’il l’a amené à travailler principalement dans la clandestinité. Elle rappelle que la rédaction de Libération ne se fait jamais inviter et se déplace à ses propres frais.

Malgré son engouement affiché pour la révolution syrienne, Hala ne s’est pas vu reprocher de défendre tel ou tel groupe armé. Elle revient également sur le positionnement des journalistes arabes par rapport à la question syrienne, « beaucoup d’entre eux suivent la politique de leur gouvernement », dit-elle, habituée à côtoyer ces publics lors des formations qu’elle a pu donner dans le monde arabe. La journaliste s’inquiète du fait que « les journalistes arabes ne diversifient par leurs sources, ils prennent les positions officielles pour argent comptant ». Elle ajoute, que dans la plupart des pays arabes, il n’existe pas de formation de journaliste professionnelle, et qu’il y a « une énorme confusion entre information et communication ».

Très attaché à sa liberté, elle insiste sur le fait qu’elle ne s’est jamais engagé auprès d’un régime local ou d’une entreprise. Hala déclare que « le journalisme neutre n’existe pas ». Elle avoue avoir été pendant très longtemps militante notamment pour les droits des Palestiniens. Elle met tout de même un frein à son militantisme lorsqu’elle commence à travailler comme journaliste, pour sa crédibilité et affirme « je veux être irréprochable, sans pour autant cacher mes sympathies ».

Sa principale matière de travail ? La vie des autres, ce qu’elle a pu ressentir en partant et en laissant certains d’entre eux sur le terrain. Ce qui implique de laisser un peu de soi. « Quand on traite un drame comme la Syrie, on n’en sort pas intact », lâche Hala Kodmani, encore émue.

Fatma TORKHANI

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