Après une présentation rapide de son parcours plutôt classique (Sciences Po, Centre de Formation des Journalistes), Samuel Douhaire, passé par le secrétariat de rédaction et la direction du service Guide à Libération, est aujourd’hui pigiste permanent à Télérama comme critique télé et ciné, avec une spécialisation pour le téléfilm. Très à l’aise devant l’assemblée de blogueurs attentifs et matinaux, il raconte l’envers du décor de son métier.

Des projections de presse, aux 10 films par semaine que visionnent ses collègues les plus méritants, il passe tout en revue. « On se réunit le lundi matin. La règle veut qu’écrive la personne qui a le plus aimé ou le moins détesté un film pour lui donner sa chance. C’est une prime à l’amour du film… A Télérama, il nous arrive aussi de faire une critique pour et contre mais quand 5 personnes n’aiment pas contre 1, là, on ne fera que le contre. Par exemple avec le film L’arbre : un de mes collègues détestait, alors il a fait le contre, mais en gommant ce qu’il y trouvait de positif, et moi, j’ai fait la critique positive en gommant toutes mes réserves. On s’est réparti les tâches. Ce procédé est un peu artificiel mais en même temps, il a l’intérêt de rendre l’ensemble plus vivant… ».

Très vite, les questions fusent : « Les critiques ne servent-elles pas d’exutoire à certains journalistes ? » interroge un blogueur. « Si parfois et il faut éviter ça. Car c’est très facile de dire du mal. Quand on vieillit, on devient plus sage mais quand je relis certaines critiques de mes débuts, je me dis ‘quand même, tu y es allé un peu fort’. Certains films sont fragiles, ils ont nécessité 5 ans de travail acharné pour leurs auteurs, et on peut les dégommer en 3 heures de temps (1h30 de projection plus 1h30 d’écriture) et ça, il faut y songer avant d’écrire… ».

Pour Samuel Douhaire, il existerait des courants au sein des critiques : le courant Lumière qui entend capter et restituer le monde réel comme il est et le courant Méliès qui use de trucages et d’artifices pour rendre compte d’une réalité. « Un critique sensible au courant Lumière sera sans doute plus hermétique au cinéma de Tim Burton qu’un adepte du courant Méliès » nous apprend-t-il.

Mais pour lui, le secret d’une bonne critique, c’est d’aller voir un film sans a priori, et « parler à la fois du fond et de la forme. Pas une première partie, la forme, une seconde partie le fond mais en mélangeant tout ça. Et puis mettre un peu d’humour, ça marche toujours… Et n’oubliez pas les acteurs qui sont souvent ‘les parents pauvres’ dans une critique qui se focalise en général plus sur le travail du réalisateur… ».

Arrivent les questions sur la « déformation professionnelle ». « Vous arrive-t-il encore de pleurer devant un film ? » s’enquiert une toute jeune blogueuse : « Oui bien sûr ! Et même parfois devant un très mauvais film quand tout est fait pour que le spectateur pleure, quand c’est une mécanique… Et là, on est encore plus furieux contre le film ! ». « Et vous allez encore au cinéma avec votre femme ? » ose le plus facétieux des participants provoquant l’hilarité générale : « Oui et parfois on s’écharpe sur un film. On a d’ailleurs failli divorcer à cause Des Hommes et des dieux ! plaisante Samuel Douhaire. « J’avais pas été emballé par le film et je suis passé pour un horrible personnage sans cœur » ajoute-il en souriant…

La deuxième partie de l’intervention du critique de Télérama a permis aux blogueurs d’aiguiser leur sens critique sur un court-métrage documentaire de 23 minutes, Gentils enfants d’Aubervilliers de Clément Sellin.  Après un débat sur le film, Samuel Douhaire a proposé à tous les participants de lui envoyer par email leur texte pour qu’il les lise, les commente et qu’il puisse rebondir sur ce qui promet d’être la première vraie critique d’une œuvre documentaire pour certains blogueurs volontaires. De nouvelles vocations seraient-elles nées dans la salle de projection improvisée de l’École du blog ? Rendez-vous dans les pages ciné/télé des médias français de 2020 pour en connaître la réponse…

Sandrine Dionys

Critiques de Gentils enfants d’Aubervilliers :

 

« C’est nous qu’on a gagné » s’exclame un enfant face à la caméra, content d’avoir gagné un match de foot avec ses copains. Un enfant parmi tant d’autres, en l’occurrence ceux d’Aubervilliers (en Seine Saint-Denis). Une jeunesse dynamique, joyeuse, imaginative mise en scène tout au long de ce documentaire. Leur joie et leur bonne humeur côtoie, durant 22 minutes, le froid et la misère de leur quartier : émouvant et sombre. »

Imane Youssfi

« Pas de voitures qui brûlent ni de descentes de police dans  « Les gentils enfants d’Aubervilliers ». Fait rarissime dans un documentaire sur les banlieues : les moins de 10 ans ont la parole. Et quelle parole ! L’enfant des cités pousse avec la vigueur d’un lierre en  défonçant le bitume autour de lui. Ce dernier n’est qu’un vaste terrain de jeu pour ces gamins, joyeux, débordants de vie, parfois malicieux. Quelle différence alors entre une enfance dans la cité et celle dans une ferme Périgourdine ? Pas grand-chose. A Aubervilliers aussi on joue aux cowboys et aux indiens et les parties de foot comme les cartes Pokémon sont les mêmes partout dans le monde.

Leur insouciance est touchante. Celle de ce bout de chou qui raconte en bas des tours, joyeux comme tout, son déménagement dans un appartement plus grand, mais qui doit néanmoins toujours partager sa chambre avec son petit frère et son oncle.

Comme nous, le réalisateur a dû trouver que les cités d’Aubervilliers vues à travers les jeux des enfants, c’était trop mignon. Les extraits d’un documentaire sur la ville sorti en 1945 plombent l’ambiance du film et donnent un point de vue misérabiliste de l’enfance dans un faubourg parisien d’après guerre.  Les témoignages des enfants de 2003 sont coupés par un énigmatique personnage, « un grand de la cité »  en balade autour des barres d’immeubles. Il les rend sinistres, en pointant leur vétusté, là ou les jeux et la parole des gamins leur donnaient toute une couleur. Une façon sans doute de ne pas tomber dans l’angélisme, car en cité les problèmes commencent après la primaire. Un numéro d’équilibriste déroutant entre les  joies de l’enfance et le désœuvrement des adultes  qui ne plaira pas à tout le monde. Reste que « Les gentils enfants d’Aubervilliers » sont craquants. Le film est une réussite. »

Idir Hocini

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