Article initialement publié le 27 novembre 2019

« Pourquoi les écouteurs ? » Rachid Laïreche était à peine installé qu’on le vannait déjà. La question faisait référence à la photo promotionnelle de la masterclass, sur laquelle le journaliste porte effectivement des écouteurs – chose qu’on n’avait jamais vue au Bondy Blog. Ce détail peu commun annonçait déjà la couleur concernant notre invité. Désolée de vous décevoir, mais, mis à part le fait qu’elle a été prise il y a longtemps, Rachid ne se souvient plus des coulisses de la photo. Par contre, il se souvient de ses débuts, ça compense.

Libé l’accueille à l’accueil

Si vous pensez que tou.te.s les journalistes sont passé.e.s par l’IPJ, l’ESJ ou encore Sciences Po, Rachid Laïreche va vous prouver le contraire. Ayant grandi au quartier des Grands-Pêchers, à Montreuil, notre invité était un collégien moyen et très discret. « Je servais à rien », résume-t-il modestement. Arrivé en 3ème , il souhaite aller en 2nde générale mais son prof de biologie l’envoie en BEP comptabilité. Après son bac pro comptabilité, il entre à la fac de Créteil pour faire STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives). En plus de ses études, il est surveillant et hôte d’accueil de nuit à Libération. Puis, se sentant trop inférieur au niveau demandé, il abandonne ses études pour se consacrer entièrement à son travail d’hôte, qu’il effectue désormais la journée.

Grâce à l’atmosphère conviviale du journal, il s’intègre rapidement dans la boîte. Il lit régulièrement les journaux qui se trouvent à l’accueil, sans que l’envie d’être journaliste ne lui vienne pour autant. Pourtant, il constate que Libération n’est pas irréprochable : les jeunes et les racisés sont absents dans la rédaction, ce qui crée un décalage entre ce que le média raconte des émeutes urbaines de 2005 et ce qu’il observe chez lui, à Montreuil. Alors qu’il pourrait être le seul à relater les faits avec véracité, il préfère rester en retrait : il ne se sent pas légitime. Cédric Mathiot et Christophe Ayad – entre autres – ne sont pourtant pas de cet avis et l’incitent à écrire. Mais rien n’y fait, la situation de Rachid le satisfait  : il travaille de 9h à 16h, gagne 1900€ par mois et la ligne 9 l’emmène directement de chez lui à son travail. Pourquoi voudrait-il changer quoi que ce soit ?

La rédaction se mobilise pour l’embaucher

« Avoir des ambitions, ça fausse les liens. Quand tu commences à demander des services, les gens veulent t’esquiver. Quand tu demandes rien, tout va bien », pense Rachid. Et il faut croire qu’il a raison, puisque c’est Christophe Ayad qui provoque son entrée dans le journalisme. Passionné de sport, Rachid suit le match Algérie-Egypte de 2009. Submergé par l’issue du match, il appelle des journalistes – dont Christophe Ayad – pour l’alerter : « Il faut faire quelque chose ! » Le journaliste lui demande son aide, il se met à noter les paroles des joueurs. Christophe signe finalement l’article « Christophe Ayad et Rachid Laïreche ». Le journaliste lui refait le même coup lorsque l’Algérie arrive en Coupe du monde : « Tout ce que j’ai fait, c’est lui envoyer la composition de l’équipe… et il a mis mon nom en bas ! », rigole aujourd’hui Rachid.

Enfin, c’est une discussion avec Luc Le Vaillant, en charge des portraits, qui pousse Rachid dans le grand bain. Alors qu’il lui suggère de faire un portrait de Dugarry, le journaliste lui répond « toi, fais-le ! ». Après un mois à essayer d’écrire son article, il y parvient finalement. Son deuxième portrait est celui de Booder, qu’il met 4 mois à écrire. C’est là que les choses sérieuses commencent. Libération lui dit « Monte » : un ordre à prendre à la fois littéralement et de manière figurée puisque les bureaux des journalistes se trouvent dans les étages. Mais, à l’époque, le journal n’a pas un rond, on n’y embauche personne. Quitter son poste pour devenir pigiste ? Ce n’est pas envisageable : « mon père m’aurait giflé ».

Et puis Rachid est humble, il veut se former d’abord. Il décide de devenir alternant au CFPJ. Confiant, il est sûr que Libération va l’embaucher. Mais, même pour rémunérer un alternant, il n’y a pas suffisamment d’argent et la direction fait traîner le dossier. Grosse surprise : la rédaction menace alors de faire grève si Rachid n’est pas embauché. Quelle popularité. Et puis, Nicolas Demorand pense trouver une solution : il lui promet un poste à Canal+, mais personne ne l’appelle. Un nouveau préavis de grève voit le jour, une assemblée générale est convoquée. Les journalistes veulent carrément prendre en charge son salaire. Bref, c’est tendu. Finalement, il obtient un CDD à Libération. Grâce à ses piges, il gagne entre 700€ et 1200€ par mois. On espère que son père ne l’a pas giflé, finalement.

Je veux t’embaucher mais pas à un poste d’Arabe

En 2015, Rachid arrête les piges grâce à l’émission « Viens dîner dans ma cité » de Djamel Bensalah. L’émission accueille à chaque épisode un.e homme/femme politique : Florian Philippot à Trappes, Najat Vallaud-Belkacem à Gennevilliers… Il est alors en charge de l’organisation de l’émission, sauf que celle-ci ne tient que 8 épisodes… Mais notre invité est chanceux : Johan Hufnagel revient à Libé et lui dit : « Je veux t’embaucher mais pas à un poste d’Arabe. » On lui propose de parler de politique, il rétorque qu’il n’y connaît rien, on lui répond que ça peut justement être bénéfique, un œil neuf sur ce sujet. Et voilà, Rachid se retrouve à couvrir les campagnes de Mélenchon et Hamon, à déjeuner avec Hollande à l’Elysée, à punir les politiciens qui ne lui disent pas la vérité… Quel homme.

Mais malgré tout, Rachid garde les pieds sur terre – et c’est peut-être ce qui fait sa réussite. « Au début, quand j’arrive au service politique, j’écris des phrases toutes claquées, parce que je veux faire comme les autres. J’ai dû trouver ma place, être moi, et ça c’est difficile. » Comme il le dit lui-même, les gens n’osent pas écrire des papiers différents, mais lui, si. C’est aussi une qualité qu’il admire chez son ami Ramsès Kefi, journaliste à Libération également. « Plus on m’appelle et mon dit ‘arrête ça’, plus je continue ». Eh oui, Rachid a un culot à rude épreuve.

Il faut dire que l’environnement du journaliste aide à garder la tête froide. Ses amis sont au quartier, pas dans la politique. Il le dit sans détours : les politiciens ne sont pas ses potes. Lorsqu’il évoque ses proches, il raconte : « Y en a pas un qui lit mes papiers, et ça c’est bien ». En fait, le retour au quartier est aussi un retour au réel.

Au final, Rachid est tellement détaché qu’il compte changer de poste bientôt. Même si « c’est comme une drogue un peu, la politique », il avoue que « ça tourne en rond ». Peut-être va-t-il écrire pour une autre rédaction, peut-être va-t-il devenir chauffeur de bus comme il le souhaitait il y a 15 ans, « rien n’est prévu », comme il le dit lui-même. « Je crois beaucoup au destin. »

Sylsphée BERTILI

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