Youssef Bouchikhi était l’invité du Bondy Blog samedi 30 janvier, pour une masterclass sur l’interview. Rencontre avec l’actuel rédacteur en chef adjoint des « 5 dernières minutes » du JT de France 2.

Youssef Bouchikhi a « toujours voulu bosser à la télé ». Pour sa masterclass au Bondy Blog, il raconte ses débuts, ses années Ardisson et sa décennie aux côtés d’Elise Lucet au JT de France 2. Après le tour de table où lecteurs, blogueurs du Bondy ou du Trappy Blog, le journaliste passe à une anecdote sur Patrick Poivre D’Arvor (PPDA). Il s’est rendu, suite à une (bonne) orientation de son CIO, à une conférence où PPDA, à l’époque star du petit écran, leur a dit « Si vous rêvez de l’être [journaliste], il faut tout faire pour l’être ». L’évènement déclencheur de sa carrière de journaliste est arrivé quelques années plus tard : c’est « l’accident », un malheureux évènement qui a décuplé ses forces. Parce qu’il fallait que « cet accident soit un cadeau », il a pris le temps de se cultiver pendant sa convalescence, puis de retourner à la fac.

Pour ce journaliste, la clef du métier est la détermination, accompagnée de trois facteurs pour rentrer dans ce milieu : chance, envie et travail. Cet autodidacte a eu la chance de « croiser les bonnes personnes au bon moment » et d’apprendre aux côtés de Thierry Ardisson sur Paris Première, grâce à « son ami de 20 ans » Jean Birnbaum, qui lui a refilé le plan. « L’exigence de Thierry, j’en ai perdu mes cheveux, mais j’ai beaucoup appris », ajoute l’homme qui préparait quatre débats de société par semaine pour « Rive Droite/Rive Gauche », une émission d’information culturelle. Youssef Bouchikhi intègre le service public par la porte France 5, où il deviendra rédacteur en chef adjoint de l’émission « Cult » sur les cultures urbaines. Puis c’est France 2, au JT du midi présenté par Élise Lucet, où il est rédacteur en chef adjoint des « 5 dernières minutes ».

À la question de l’éventuel problème lié à ses origines, Youssef Bouchikhi rappelle qu’il a croisé à France 2, à ses débuts, quelques personnes un peu distante. Mais la réponse est dans sa longévité sur la deuxième chaîne : dix ans plus tard, il est toujours là, il prépare toujours les interviews d’Élise Lucet, et il présente le vendredi une chronique sur l’actualité culturelle. Il conseille aux participants de la masterclass de balayer les interrogations liées au racisme : « Faites-vous confiance. Je suis sûr que chacun peut aller là où il veut. Il ne faut pas s’handicaper avec ça ». Pas d’amertume pour l’ancien comédien à qui on proposait le classique rôle du voleur de mobylette.

« Soyez curieux »

La soif de culture de Youssef Bouchikhi est née bien avant son arrivée à la télé : « à 17 ans, je m’asseyais sur les marches de l’Odéon en me disant : j’espère que je vais rentrer un jour dans ce théâtre ». Son vœu a été exaucé : il parcourt aujourd’hui les plus grandes salles parisiennes. Depuis des années, il va voir quatre spectacles par semaine, toujours avec un regard nouveau, comme s’il allait au spectacle pour la première fois, pour éviter le pire qui puisse arriver : « être blasé ».

Les questions fusent. Les réponses sont truffées de conseils. Youssef Bouchikhi transmet la to do list du journaliste en devenir. Écouter la radio, lire les journaux avec un crayon, aller chercher l’info. « Moi, mon école de journalisme, c’est les livres, les journaux. C’est comme ça que j’ai appris » résume-t-il, avant de rajouter qu’il ne faut pas oublier de « s’amuser sur les réseaux sociaux puis en sortir pour creuser, aller plus loin, sinon on va vers la crétinisation ». Aller au théâtre, à l’opéra, car pour ce passionné, « le spectacle vivant c’est magique ». Il ne veut pas entendre parler du prix élevé des places de spectacles : « ne me dites pas que c’est cher, car aller à Bercy pour un concert, c’est cher aussi. Il y a toujours moyen d’avoir des places ».

Le thème de l’exercice pratique de la masterclass est l’interview : « comment écrire une interview selon l’émission ? ». Le journaliste répond qu’il faut chercher de l’information sur l’invité. Il faut lire, plutôt Le Monde pour une émission sur France Culture, Le Parisien pour le JT de France 2, ou retrouver les sujets polémiques quand on bosse pour Ardisson. « Puis tu commences à réfléchir à tes questions. Tu repères les champs qui vont trouver de l’écho chez ton public », poursuit-il.

 Métier : présenter ses coups de cœur à la télé !

L’exercice de la masterclass est vite expédié. Les questions sur son quotidien de journaliste viennent éclipser l’analyse d’une dizaine d’articles sur Élie Semoun. Youssef Bouchikhi continue, il détaille la masse de travail pour les cinq minutes qui clôturent le JT. Il parle du stress de ces invités, contourné par une bonne préparation : « c’est très important de bien briefer l’invité quand tu fais du direct ». Alors au premier échange, il scrute, au deuxième, il se transforme en coach pour que l’invité donne sa plus belle interview possible.

Youssef Bouchikhi a trouvé sa place dans le panorama de la culture à la télé, un espace qu’il juge déconnecté de la société. Mais ce qu’il aime dans ce créneau, c’est nourrir les gens, en leur faisant découvrir des artistes, des créateurs, dans une tranche horaire où les téléspectateurs sont en pause, où ils terminent leurs repas. « L’idée, c’est de prendre les gens par la main et de leur présenter nos coups de cœur ». À dix ans, il écoutait déjà l’opéra dans son HLM de Chartres. Il travaille tous les jours pour cet éventuel enfant derrière son écran, il parle à cet enfant-là pour lui transmettre sa passion pour les arts.

 Top et flop : de Guerlain aux lions sur le plateau

L’affaire Guerlain arrive sur la table : « c’était un vendredi, personne n’a entendu ». La sortie raciste de Jean-Paul Guerlain est son souvenir le plus tragique. L’héritier de la maison de parfumerie avait balancé en direct : « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… ». « On écoute le replay, on ne comprend pas bien la première fois, ni la deuxième. Puis on sait qu’on va vivre un enfer » se remémore Youssef Bouchikhi. Des excuses d’Elise Lucet s’ensuivent, et Guerlain rejoint la blacklist du JT.

Et l’anecdote la plus folle ? Une recherche d’invité à 17h pour le lendemain, qui termine par Edelstein du cirque Pinder : « Il me dit ‘je peux venir avec un lion, je peux même t’en amener deux’. Je prépare l’interview. Le lendemain, un, deux, trois mecs de la sécurité sont venus me voir pour me demander si des lions allaient venir ». Le jour J, tout France Télé est sur la passerelle : « Les cages ne rentraient même pas dans l’ascenseur. Il y avait de la paille partout. Mon angoisse, c’était Arlette Chabot », alors directrice générale adjointe chargée de l’information. Mais ses lions ont fait la plus grosse audience historique du journal : « c’était un grand moment de télé ».

 Rouguyata Sall

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