Journaliste d’investigation établie, Leïla Miñano est aujourd’hui connue pour sa couverture de l’actualité internationale et pour ses enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles au sein de l’armée française. Mais rien ne la prédestinait à une telle carrière.

Leïla est un pur produit de Nanterre. Elle y a grandi et y a suivi des études de droit. Un domaine formateur, parfois austère, dans lequel elle ne s’épanouira pleinement. La fac de Nanterre a une histoire solidement ancrée à gauche, mais la filière Droit reste l’exception qui confirme la règle. « Sarkozy y était ! », rappelle la journaliste pour appuyer son propos.

Des débuts à tâtons

C’est au hasard de l’un de ses stages que Leïla découvrira sa vocation. Chez Wanadoo, elle est placée sous la responsabilité d’un journaliste musique des Inrockuptibles. C’est la révélation : « Il m’a donné une pile de CDs et m’a demandé d’écrire des critiques. Je me suis dit “je peux écrire ce que je veux !?” et j’ai compris que certaines personnes avaient pour métier d’écrire ce qu’elles voulaient », se souvient Leïla, des étoiles dans les yeux.

Il n’y avait pas trop de gauchistes. À l’époque, ils avaient même manifesté contre les manifs anti-CPE.

Fascinée par cette liberté, elle décide alors de préparer les concours des écoles de journalisme en parallèle de son master en droit public international. Elle en réussit un, celui de l’IPJ. Malgré ses qualités – Leïla salue l’aspect pratique et « touche-à-tout » de sa formation – l’école lui fait découvrir un monde qui ne lui correspond pas vraiment. « La plupart de mes camarades venaient de Sciences Po, relate-t-elle. Il n’y avait pas trop de gauchistes. À l’époque, ils avaient même manifesté contre les manifs anti-CPE. »

Elle se sent alors en décalage. Entre cet encadrant qui souhaite faire disparaître le tilde de son nom, le trouvant « trop exotique », et la feuille d’émargement qu’elle doit signer chaque jour devant toute sa classe, en tant que boursière, les anecdotes ne manquent pas.

De la stabilité du CDI au saut dans l’inconnue au Mexique

Après l’IPJ, Leïla rêve de stabilité. Et qui dit stabilité dit CDI. Un média du Périgord exauce son vœu. Mais elle se rend vite compte que ce type de contrat ne lui convient pas. Elle décide de quitter son poste et convainc un des photographes de son ancien média de partir en reportage avec elle au Mexique. Ce voyage signe le début d’une longue série de reportages à l’international.

À son retour du Mexique, la jeune journaliste travaille brièvement chez AEF info puis se lance à la pige. Elle rêve de grands voyages et de la fameuse veste sans manches multipoches des journalistes (ce qu’elle confie sur son blog de l’époque). Le CDD chez AEF info est son dernier contrat exclusif avec une rédaction.

Le temps des reportages à l’international

De nouveau indépendante, la journaliste crée Youpress. « Casse-toi pauv’ con ! », ça vous dit quelque chose ? Si vous venez de répondre « mais bien sûr ! », alors vous pouvez remercier ce collectif de pigistes. Mais mettre Sarkozy dans la sauce n’est qu’un pan infime de leur activité. Ils font surtout de nombreux reportages à l’étranger, « en groupe, pour se donner du courage ».

En 2010, elle saute le pas et se lance dans son premier voyage sans son collectif, à Haïti. La reporter s’y rend avec le photographe Corentin Fohlen pour couvrir l’actualité liée au séisme, « un moment historique. »

L’expérience des Printemps Arabes

Puis viennent les Printemps Arabes en 2011. Elle fait alors le tour des révolutions : Egypte, Syrie, Libye… Une expérience qui la marque profondément, notamment en tant que femme. Si ses collègues masculins la considèrent comme l’un des leurs, elle est régulièrement rappelée à sa condition.

Un jour, pour se rendre sur la Place Tahrir, en Égypte, elle sort en scotchant ses habits sur elle, pour éviter les viols qu’ont subis d’autres journalistes les jours précédents. Mais elle retient aussi du positif. L’accès qu’elle avait aux récits féminins de la révolution syrienne, par exemple. Des récits inaccessibles aux hommes.

L’enquête comme vocation

Au fil du temps, la situation s’envenime. Être reporter en Syrie devient de plus en plus dangereux : « Il y a d’un côté les djihadistes qui veulent t’enlever, et de l’autre les troupes de Bachar al-Assad qui veulent ta peau. » Au cours de leurs reportages, certains de ses amis perdent la vie. Leïla Miñano se dit alors qu’elle ne veut pas subir le même sort.

Suis-je vraiment utile sur le terrain au milieu de 2 000 journalistes ?

Retour en France, donc, où elle s’interroge sur le sens de sa profession : « Suis-je vraiment utile sur le terrain au milieu de 2000 journalistes ? ». Visiblement, la réponse est non. Elle décide de se lancer dans l’enquête et de faire moins de terrain. Avec Julia Pascual, journaliste à Causette à l’époque, elle commence alors à enquêter sur les viols commis par et au sein de l’armée française.

À la sortie de leur livre La Guerre Invisible (2014), le ministre de la Défense de l’époque Jean-Yves Le Drian lance d’emblée un plan d’action contre les violences sexistes et sexuelles au sein de l’armée. Des rapports sur la question sont rendus, des cellules d’écoute ouvertes, et le harcèlement sexuel inscrit dans le code de la Défense. Son travail a un impact positif inattendu.

De Impunité Zero, son livre sur les viols en temps de guerre, à sa série d’enquêtes sur les violences sexuelles en EHPAD, avec Sophie Boutboul, la journaliste continue sur sa lancée et multiplie les enquêtes. Leïla Miñano se spécialise sur l’armée, les conflits armés et les violences sexistes et sexuelles en institution. En espérant que les crimes commis habituellement dans l’impunité soient révélés et que les choses changent. Le voilà, le sens de son travail.

Sylsphée Bertili

Crédit photo : Emma Garboud-Lorenzi

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