Pour sa deuxième masterclass, le Bondy Blog a reçu le 1er octobre Maryline Baumard, journaliste au quotidien Le Monde, chargée des questions migratoires et de l’intégration. Avec le récit de son parcours et de son expérience à bord de l’Aquarius, un bateau qui porte secours aux migrants au large de la Libye, elle dévoile les facettes du « plus beau métier du monde ».

« Être journaliste ce n’est pas un métier, c’est plusieurs métiers à la fois. On peut raconter des histoires, passer d’un milieu à l’autre, balayer toute le société ». C’est ainsi que Maryline Baumard termine sa masterclass. « Ce n’est pas un métier pour moi », pensait pourtant l’étudiante en lettres en route vers le CAPES, pour combler ses parents agriculteurs dans le Maine-et-Loire. Elle explique alors qu’en 1986, en plein conflit entre les étudiants et le gouvernement, la mort de Malik Oussekine, tabassé dans un hall par deux policiers, change le cours de sa vie : « Ça a été le détonateur. Je me suis dit ‘je veux être journaliste, je n’irai pas au CAPES' ». Bonne élève, elle termine son mémoire de maîtrise puis décroche le sésame pour le CFJ, une des plus vieilles écoles de journalisme françaises. Elle poursuit, amusée, sur le désenchantement à la rentrée : « Je voulais aller sur le terrain mais il fallait d’abord suivre trois mois de techniques de bases rédactionnelles. J’avais passé quatre ans à faire de la littérature, je devais désapprendre ».

Premier papier sur le retour de la charentaise

Maryline Baumard raconte ensuite ses années « apprentie-journaliste » fauchée, et son premier job au Parisien pendant les vacances de Noël. « Personne ne voulait y aller. C’était la vieille école où les faits-diversiers traînaient dans les bars. Je trouvais ça passionnant, moi qui était au service société un peu plan-plan. Mon premier papier, c’était sur le retour de la charentaise. Elle retournera au Parisien pour son CDD de fin d’école et restera une décennie dans cette « maison très attachante », d’abord au poste « stimulant » de bouche-trou sans rubrique puis au service éducation.

La journaliste aborde aussi la maternité, devant l’assemblée majoritairement féminine. Enceinte de son deuxième enfant, elle devient une « mère-journaliste-raisonnable » et ralentit la cadence. Un coup de fil d’une ancienne chef du Parisien et elle s’embarque pour le mensuel Le Monde de l’Éducation, où elle travaille finalement autant mais différemment. « On progresse beaucoup en changeant de rubrique. J’ai touché à la maquette, à la titraille, à la relecture. On apprend à faire du mag’, à trouver des angles pas périmés que le lecteur aura envie de lire dans un mois », se remémore-t-elle.

« J’en avais marre d’être une courroie de transmission. Je voulais écrire »

Confronté à la réalité économique, Le Monde de l’Éducation s’arrête en 2008. Elle devient alors journaliste-adjointe à la rédactrice en chef du service France, pressurée entre les demandes de la rédaction en chef et celles des journalistes. Sa journée-type ? Animer la conférence de service pour récolter des sujets, aller les vendre à la conférence des chefs, passer l’après-midi à la maquette avec les éditeurs, être d’astreinte la nuit et revenir le lendemain à 6h30 pour lire les papiers.

Deux ans plus tard, elle dit stop : « J’en avais marre d’être une courroie de transmission. Je voulais écrire ». Maryline Baumard revient alors à l’Éducation en tant que chef de service, choisissant l’angle de la lutte contre les inégalités car « si on ne la fait pas, on ne construira pas la France dont on rêve ».

De l’Éducation aux migrations

Pour ne pas faire de l’Éducation toute sa carrière, mais surtout pour refaire du terrain, elle devient « journaliste-migrations » fin 2014. Sa mission ? Essayer de comprendre toutes les étapes de la route, pour raconter ce que c’est qu’être migrant aujourd’hui. Elle couvre la crise au Kosovo, passe en Serbie, en Hongrie et à Calais. Maryline Baumard aimerait raconter davantage d’histoires positives. « C’est compliqué, on est happé par ce qui ne va pas, on regarde toujours les problèmes. Ma liste de là où ça se passe bien s’allonge. Cette année, je vais mieux prioriser les choses, dire non à mon chef de service. Je suis rentrée de vacances avec cette résolution, mais j’ai pas encore trop réussi », avoue-t-elle en riant.

A une question sur ses relations avec les personnes rencontrées sur le terrain, un simple « c‘est super dur explique l’obligation de mettre des limites : « Plein de fois, j’ai posé mes affaires pour aider quelqu’un. Mais je n’héberge jamais chez moi ».

Raconter le sauvetage des migrants

Après la pause, la masterclass reprend sur son expérience de près de trois semaines à bord de l’Aquarius, le bateau de l’ONG SOS Méditerranée. « Quand on voit les migrants à Calais, ils sont usés par la route. J’ai eu envie d’aller sur un bateau de secours ». Elle arrive le 2 juillet 2016 à Trapani en Sicile, embarque le lendemain et publie sur le blog A bord de l’Aquarius et sur son compte Twitter, la vie quotidienne des migrants, des sauveteurs, des médecins et de l’équipage. Elle devient alors « journaliste-migrations-sauveteur », scrutant en vain la mer pour détecter les canots, montant à bord de la navette qui secourt hommes et femmes épuisés, déshydratés, brûlés par le cocktail d’essence/eau salée/vomi/urine. « J’ai aidé la sage-femme pour l’enregistrement, je n’allais pas être avec mon carnet devant des gens qui viennent d’échapper à la mort », raconte celle qui a aidé à enlever les gilets, donné de l’eau, distribué des biscuits, sans oublier de préciser qu’elle était journaliste, « pour ne pas qu’on me raconte son histoire sans savoir qui je suis ».

22 corps au fond d’une embarcation

Après un bref retour à terre, Maryline Baumard embarque de nouveau à bord de l’Aquarius, sans savoir qu’une tempête allait les bloquer en mer, à ne rien faire. Alors elle décrit le huis-clos, raconte ces hommes de mer, pas vraiment préparés à l’horreur que représentent 22 corps au fond d’une embarcation, dont 21 femmes mortes asphyxiées, noyées, écrasées. Elle évacue par l’écriture mais tous n’ont pas cette chance, à l’instar de Ralph, ce jeune très vivant qui ne parlait plus après avoir évacué les corps. Elle est alors un peu « journaliste-migrations-psychologue ». Le lendemain du difficile retour à terre, elle retourne en France puis retrouve ses proches déjà partis en vacances, surmontant le retour à la vraie vie : « J’ai enchaîné avec mes vacances. Revenir à un monde futile où on réfléchit à quel maillot on va mettre, c’est très dur ».

Rouguyata SALL

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