En arrivant au Bondy Blog ce samedi-là, on peut déjà trouver Nassira El Moaddem assise, dans la salle principale du local, fin prête à commencer l’école du Blog qui lui est consacrée. Il est 14 heures précises, et en attendant les retardataires, la journaliste fait une chose qu’elle aime par-dessus tout : débattre.
Là, ce n’est pas avec une personnalité politique, comme elle en a l’habitude lors de ses interviews économiques, politiques pour l’émission du Bondy Blog Café, ou lorsqu’elle était journaliste à iTELE et France 2 mais avec les jeunes, venus la rencontrer. Derrière elle, l’image d’un extrait d’une émission politique de BFM TV, qui servira d’exercice de décryptage en fin de séance. Si on a le temps seulement, car la première partie consacrée au parcours de Nassira s’annonce déjà passionnante.
Les débats d’idées et les analyses de fond sont les principaux intérêts de la jeune femme de 31 ans. « Je m’intéresse beaucoup à la façon dont sont menés les débats, les interviews politiques en France », déclare-t-elle. « Je trouve qu’on a un vrai problème dans l’interpellation de nos décideurs politiques. Il y a trop de recherche de la petite phrase, on les fait réagir sur tout et n’importe quoi. Et surtout, trop de révérence à leur égard ». Est-ce parce qu’elle regardait religieusement l’émission d’interview « 7 sur 7 » d’Anne Sinclair avec son père lorsqu’elle était petite, que Nassira El Moaddem a pris goût pour cet exercice journalistique ? Qui sait.
C’est en tout cas, pendant sa jeunesse en Sologne, où elle a grandi avec son père ouvrier et sa mère, maman au foyer, qu’elle a fait pour la première fois l’expérience du journalisme, en écrivant pour le journal de son lycée. « J’étais en terminal en 2002, quand Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour de la présidentielle », se souvient-elle. « Avec quelques camarades, nous avions écrit plusieurs papiers que l’on a placardés dans les couloirs de notre établissement. » Après le lycée, elle poursuit ses études à Sciences Po Grenoble et se spécialise dans la géopolitique du Moyen-Orient et de la Turquie. Cette Marocaine d’origine maîtrise d’ailleurs l’arabe, grâce à différents séjours, stage et voyage au Moyen-Orient et a appris également le turc à Istanbul.
En 2005, alors qu’elle hésite entre une carrière dans le journalisme et dans la diplomatie, Nassira El Moaddem fait un stage en Syrie, à l’ambassade de France, qui se situait alors à Damas. « J’ai été déçue par l’éloignement qu’il y avait entre le personnel diplomatique et les habitants du pays », se souvient-elle. Ce sera donc le journalisme. Elle prépare les concours des écoles de journalisme à distance, grâce à la classe prépa égalité des chances du Bondy Blog. Elle fait en parallèle une année d’étude d’arabe littéraire à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) au Caire, en Égypte. « Le Bondy Blog, je l’avais découvert en allant aux écoles du Blog les samedis, puis en écrivant régulièrement, et enfin, en faisant la classe prépa pour les écoles de journalisme ».
Continuer mais différemment
Mais parce qu’elle préparait les concours loin de la France et de son actualité, Nassira ne pensait pas les réussir. Et pourtant : en 2010, elle est reçue à l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille. « J’allais en cours la semaine, je travaillais tous les week-ends de nuit pour pouvoir payer mes études et le loyer de ma piaule lilloise qui sentait le moisi ! » se rappelle-t-elle. « Dans notre famille, comme dans beaucoup de destins de fils et de filles d’immigrés, on s’est toujours battus deux, trois fois plus que les autres pour arriver à nos objectifs. Je me suis toujours concentrée sur les miens, sur les buts que je m’étais fixés ». À la fin de sa deuxième année de formation à l’ESJ Lille, celle qui avait choisi la filière télévision passe le concours « le Grand Match News » de la chaîne i-Télé, organisé par le groupe Canal + pour les étudiants des écoles de journalisme reconnues par la profession. Elle remporte le concours : en 2012, alors qu’elle vient d’accoucher de son premier enfant, elle reçoit donc son diplôme de l’ESJ Lille et fait son entrée à I-Télé. Elle y restera 2 ans et demi.
« On apprend beaucoup en travaillant pour une chaîne d’information en continu », déclare Nassira. « Tout va très vite, si on a de l’audace et si on est pêchu. » À I-Télé, Nassira travaille comme journaliste économique de la chaîne, où elle est rapidement amenée à traiter des sujets d’actualité qui la passionnent. « L’actualité économique est très intéressante, car elle raconte tout ce que les gens subissent au quotidien à cause des plans sociaux, du chômage, de la précarité et des politiques publiques aussi. Et je m’y épanouissais, car j’avais le sentiment de toucher à du concret et à l’essentiel ».
Duplex, chroniques en plateau, remplacement à la présentation de journaux, Nassira aura fait tous les exercices qu’une chaîne d’information offre. Mais la journaliste est frustrée de ne pas pouvoir approfondir davantage ses sujets pour I-Télé. « Je ne voulais plus accompagner l’actualité, je voulais avoir plus de temps pour la créer. » En 2015, elle rejoint alors France Télévisions et devient journaliste enquêtrice pour l’Œil du 20h, du journal de France 2. Là, elle peut enquêter sur des sujets économiques et politiques sur plusieurs jours, parfois plusieurs semaines. « C’est un luxe indiscutable ». En février 2016, elle quitté France 2. Nassira El Moaddem veut désormais travailler sur ses propres projets en indépendante. « Je veux continuer dans le journalisme, c’est ma passion viscérale, mais différemment », explique-t-elle . Et faire des documentaires, peut-être ?« Qui sait ? » En tout cas, que ce soit ses interviews au Bondy Blog Café, ou derrière la caméra, on risque d’entendre parler encore longtemps de Nassira El Moaddem.
Cyrielle Bedu

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