32 ans et presque autant de vies. Il fallait s’accrocher pour suivre cette masterclass de Ouafae, au vu du CV XXL de la jeune journaliste aux multiples casquettes. Un parcours dans lequel se mêlent Algérie, histoire, rap, littérature ou encore Médine.

On rembobine. Nous voici désormais dans les années 1990 à Blida, à une quarantaine de kilomètres au sud d’Alger. Ouafae y fait ses premiers pas. Elle se décrit comme une enfant « sage et discrète », qui menait une vie paisible dans son « petit cocon familial » aux côtés de son père, mécanicien, et de sa mère, professeure de physique-chimie.

Mais en 1997, sa vie bascule. La famille Mameche quitte l’Algérie pour la France, à Saint-Denis plus précisément. « Ce qui m’avait le plus surpris, c’est qu’il y avait des gens de toutes les couleurs, alors qu’à Blida, il n’y avait que des gens qui nous ressemblaient », se souvient-elle.

La jeune Ouafae doit désormais se construire dans un pays dont elle ne parle pas la langue. Pour qu’elle puisse l’apprendre rapidement, on la scolarise dans une classe spécialisée. « Le français, ça a longtemps été une hantise totale : quand on est étranger, c’est très compliqué de comprendre les règles grammaticales », se rappelle-t-elle. Mais les darons sont catégoriques : réussir dans la vie, cela passe par l’école. Alors Ouafae se donne à fond. Et ça paye.

Les inégalités scolaires : Quick vs Normale Sup’

Pendant sa scolarité, elle jongle entre le public et le privé, dans plusieurs villes de la banlieue parisienne dont Thiais, où elle obtient son bac S. Comme beaucoup de jeunes de son âge, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle s’inscrit en fac de droit mais abandonne au bout de trois mois. « Ça ne me plaisait pas et puis c’était un univers social totalement différent. »

Ouafae se réoriente en fac d’histoire, où elle étudie jusqu’au master – pendant lequel elle se spécialise en islam médiéval. L’objectif ? L’agrégation. Le sésame pour pouvoir enseigner dans le supérieur. Un concours hyper exigeant, qui fait environ quatre-vingt heureux par an. Mais petit problème : les normaliens raflent quasiment tout. « J’ai halluciné quand j’ai découvert qu’il y a des gens qui sont payés 1300 euros nets par mois juste pour étudier », observe la jeune banlieusarde, dont le quotidien est tout autre.

En effet, elle travaille depuis ses 16 ans. Distribuer des tracts à la gare, servir des Long Fish au Quick ou encore faire de l’animation au Auchan, c’est forcément du temps de révision en moins et de la fatigue qui s’accumule. « Là, j’ai vraiment pris conscience du fait qu’on ne démarre pas tous au même niveau. Ça m’a démotivée et j’ai abandonné l’idée de passer l’agrégation ».

Désacraliser le milieu de l’édition littéraire

Une fois son master d’histoire en poche, Ouafae décide de poursuivre ses études, mais dans un domaine différent : l’édition. Un secteur « très élitiste et surtout très fermé ». En tant que jeune femme d’origine maghrébine, sans expérience et sans réseau, elle galère à s’y faire une place.

Elle trouve difficilement un stage à Hachette Éducation, et une fois son diplôme en poche, décroche tant bien que mal un poste de secrétaire de rédaction à Lextenso. « En voyant comment j’ai galéré rien que pour trouver un stage, j’ai bien vu que c’était foutu pour moi dans ce milieu. Alors, je me suis dit qu’il fallait monter ma propre maison d’édition ». Elle en parle à des proches, puis s’allie avec Bakary Sakho et Paul Odonnat pour fonder les éditions Faces Cachées, en 2015.

On a pu publier des personnes issues des minorités qui voulaient écrire, mais qui n’avaient pas forcément les codes 

Ensemble, ils construisent leur réseau et avancent à petits pas. Le premier livre est publié en octobre de la même année. En 2016, la maison d’édition est invitée au Salon du Livre. « On a fait notre trou petit à petit, se félicite Ouafae. Aujourd’hui, je suis vraiment fière de l’ampleur que ça a pris : on a édité plusieurs livres, qui abordent des thèmes différents, dans des formats différents. Et surtout, on a pu publier des personnes issues des minorités qui voulaient écrire, mais qui n’avaient pas forcément les codes ».

Pour l’amour du rap

Il reste un aspect central de la vie de Ouafae qu’on n’a pas encore abordé : son amour pour le rap. Le coup de foudre vient à l’adolescence. Les albums des groupes Psy4, Sniper ou encore 113 font alors partie intégrante de son quotidien. « Je faisais le tour de l’Île-de-France pour assister à des concerts, et j’allais parfois à Porte de Clignancourt prendre des affiches de rappeurs pour les accrocher dans ma chambre ».

En grandissant, sa passion pour ce genre musical reste toujours aussi forte. En parallèle de ses études d’histoire, elle se met à écrire des articles sur le rap, pour des magazines comme 5 Styles ou encore Da Vibe, puis pour son propre blog, Face Cachées – oui, le même nom que sa future maison d’édition. « Je rencontrais des autres passionnés, des artistes, je faisais mes premières interviews… je kiffais ma vie. »

C’est important de garder de bonnes relations avec les gens parce que ça peut toujours servir dans une carrière

Ses activités journalistiques ne lui rapportent pas un rond, mais Ouafae y consacre une grande partie de son temps. Pour l’amour du rap. Et cela paie : l’aspirante journaliste rencontre beaucoup de gens dans les événements auxquels elle participe, dont l’un des futurs dirigeants d’OKLM, média rap créé par Booba. « En 2016, il m’appelle pour devenir chroniqueuse dans l’émission La Sauce. Ça montre que c’est important de garder de bonnes relations avec les gens qu’on croise, nous explique-t-elle, parce que ça peut toujours servir dans une carrière, même des années après ».

La « Stéphane Bern » du rap

À la différence de ses articles publiés dans des magazines de niche, OKLM lui offre une tout autre exposition. C’est le début des problèmes. « Là, j’ai découvert la méchanceté d’internet, avec les insultes gratuites, les remarques sur le physique, etc. ». Dans sa chronique, elle essaie de mêler histoire et rap, deux de ses plus grandes passions. Ce qui n’est pas au goût de tous. « Je recevais des ferme ta gueule Stéphane Bern», raconte-t-elle en éclatant de rire.

Malgré ces saillies, la journaliste continue son petit bout de chemin dans le milieu du rap. En 2018, elle intègre l’équipe de Din Records, label du rappeur Médine, en tant que cheffe de projet. Au sein de celui-ci, elle fait à la fois de la communication, de la production de clips, de l’accompagnement d’artistes… Mais cette expérience lui demande trop d’énergie et s’achève au bout d’un an. « J’ai compris que ce que je kiffe vraiment, c’est écouter et parler de musique. Être dans les coulisses, ce n’est pas trop mon truc », reconnaît celle qui décide alors de s’investir davantage dans le journalisme rap.

L’aventure OKLM se poursuit jusqu’en 2019. Elle rejoint ensuite l’équipe de l’ABCDR du Son, puis celle de l’After Rap, et est pendant deux ans la rédactrice en cheffe musique du site Red Bull. Elle revêt également une casquette de conférencière, lors d’événements en tous genres. Le tout, bien sûr, en parallèle de ses fonctions d’éditrice à Faces Cachées. Bref, on vous avait dit qu’il fallait s’accrocher. Sacré parcours, quand on se souvient qu’elle est arrivée d’Algérie sans parler un mot de français.

Ayoub Simour

 

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