Il y a sept ans, Rokhaya Diallo venait à la brasserie Le Murat pour la première émission du club de la presse de Bondy, l’ancêtre du Bondy Blog Café. Dans ce format, les trois Bondy Blogueurs étaient accompagnés de journalistes professionnels. « Vous parlez de l’image, des réussites scolaires des jeunes de Clichy, mais de quelle manière vous leur permettez d’accéder à la politique de la ville ?« . C’est ainsi qu’elle interpelle l’invité politique, Claude Dilain, défunt maire de Clichy-sous-Bois, la ville où Zyed Benna et Bouna Traoré sont morts dans un transformateur EDF. Rokhaya Diallo est alors chroniqueuse à La Matinale de Canal+.

A l’instar de nombreux habitants des quartiers populaires, les révoltes urbaines de 2005 ont un rôle déterminant dans son engagement. Elle découvre Éric Zemmour et autres “experts” qui propagent leurs idées à la télévision, sans personne en face pour leur répondre. « Pourquoi on parle de nous sans nous demander notre avis ?« , se remémore Rokhaya Diallo devant la cinquantaine de participants à la MasterClass.

« On me confondait tout le temps avec la deuxième noire de la promo »

« Je viens d’un milieu ouvrier. Mon père était mécanicien chez Fiat. Ma mère enseignait la couture dans des associations« , raconte la journaliste. Ils viennent du Sénégal. Elle, naît en 1978 à Paris. Rokhaya Diallo rappelle aussi son parcours. Après des études de droit et une école de commerce, elle valide un master en audiovisuel et atterrit dans la production de dessins animés chez Disney TV France.

C’est assez jeune que Rokhaya Diallo développe un intérêt pour les questions de société. Mais c’est la lecture des ouvrages d’Aminata Traoré (écrivain et ancienne ministre de la Culture du Mali) et de Naomi Klein (journaliste et activiste canadienne) qui lui fait pousser la porte d’Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne). Elle prépare notamment le festival de cinéma Images mouvementées, autour du thème « La fabrique de l’exclusion« .

Son véritable combat contre le racisme est arrivé plus tard. Elle grandit à la Courneuve « dans un quartier où le fait d’être noire n’était pas une question prégnante« . « J’ai commencé à faire attention en avançant dans les études« , rapporte-t-elle, citant son passage de l’université Paris XIII à Villetaneuse (93) aux bancs d’Assas. Dans cette fac parisienne, ils sont trois Noirs, dont deux Africains aisés, assez pour être tout le temps confondue « avec la deuxième noire de la promo alors qu’on ne se ressemblait pas« .

Après les révoltes de 2005, l’idée de l’association Les Indivisibles germe dans sa tête. Avec une bande de copains, ils endossent le rôle de police des discriminations. Ils mènent une veille médiatique et pour lutter contre les préjugés, utilisent humour et dérision, « une manière intéressante pour entrer dans le dialogue’, explique-t-elle. C’est dans cet esprit, qu’en 2009, ils créent alors les Y’a Bon Awards, une cérémonie pour « exposer les gens qui tiennent des propos racistes et les mettre face à leurs responsabilités« . L’association est née sous l’ère Sarkozy. En 2012, l’alternance arrive, les propos racistes ne disparaissent pas des médias. L’attribution d’une « Banane d’or », le prix des cérémonies, à Caroline Fourest sera lourde de conséquences pour l’image des Indivisibles, qui passe d’ »antiraciste à communautariste« .

“Le journalisme n’a jamais été une vocation”

Rokhaya Diallo est devenue une figure médiatique de l’antiracisme en France. Elle tape alors dans l’œil de la cellule de repérage de Canal+, réussit le casting et devient chroniqueuse à La Matinale de 2009 à 2013. Côté radio, la journaliste en herbe fait ses débuts chez RTL. À La Chaîne Parlementaire (LCP), elle apprend à faire des reportages pour son émission Égaux mais pas trop entre 2011 et 2013. La deuxième saison devient la seconde : Rokhaya Diallo refuse de continuer à travailler avec une journaliste présentée comme spécialiste de la diversité qu’on lui impose en rédactrice en chef. La musique orientale pour la présentation d’un entrepreneur musulman sera la goutte d’eau : elle claque la porte de la société de production avec un goût amer même si elle ne regrette pas les belles initiatives mises en avant dans le programme. Après la radio et la télé, Rokhaya Diallo fait en 2013 son premier long reportage en presse écrite pour Les Inrocks sur la violence au Bahrein deux ans après le « Printemps de la Perle ». Il sera suivi d’un reportage sur les Noirs de Tunisie.

Rokhaya Diallo confie aux participants de la Masterclass que l’envie de faire du documentaire lui trotte en tête depuis LCP. Pour son premier documentaire, elle questionne l’identité de la France en suivant un groupe de jeunes Américains venus visiter le pays des droits de l’Homme, de l’Élysée à Clichy-sous-Bois. Une manière de « rendre hommage aux aînés« , 50 ans après la marche des droits civiques aux États-Unis, et 30 ans après la marche dite des Beurs. Son deuxième documentaire est beaucoup plus personnel. L’idée des Réseaux de la Haine lui vient d’un appel au viol dont elle est victime sur Twitter. Cette affaire devient le fil conducteur, aux côtés d’autres victimes de la haine sur Internet. Avec « De Paris à Ferguson : coupables d’être noirs », la désormais réalisatrice interroge le réveil de l’engagement contre les violences policières de part et d’autre de l’Atlantique et part à la rencontre des nouveaux activistes.

Exister à travers sa propre production

La réalisatrice raconte ensuite comment elle devient présentatrice. En 2015, BET, une chaîne afro-américaine fait appel à elle pour éteindre la polémique lors du lancement de BET France, sans aucun présentateur noir. Avec le journaliste Raphäl Yem, ils animent une émission hebdomadaire culture/lifestyle, où ils mettent en avant des artistes méconnus, amenant ainsi « du contenu français« . Le dimanche, elle y anime une émission de documentaires.

En parallèle, Rokhaya Diallo sort avec l’illustratrice Kim Consigny « Pari(S) d’amies », aux éditions Delcourt. Sa première bande-dessinée dresse le portrait d’une bande de copines parisiennes de culture et d’origine diverses ; Paris n’étant pour l’auteure « pas assez célébrée pour son multiculturalisme« . Six mois plus tard, c’est avec la photographe Brigitte Sombié qu’elle publie Afro, un recueil de témoignages d’adeptes du cheveu naturel, dont elle fait évidemment partie, qui se racontent à travers leur parcours capillaire, qu’ils aient le cheveu crépu, frisé, sous forme de tresses ou de dreadlocks, une mise en résonance « du corps non blanc« .

Apporter une autre voix

La féministe, régulièrement invitée à débattre, avoue « être parfois rincée » après un débat. Mais répondre à ceux qui l’énervaient, ça n’a pas de prix. Elle pense à ceux qui regardent ces prestations télé, comme elle avant. « Je ne vais pas à tous les débats où l’on m’invite. Si je sais que ça va me fatiguer pour rien, je préfère garder mon énergie pour produire« .

« On ne va jamais y arriver« , se dit-elle parfois mais la militante des droits de l’Homme remonte la pente car pour elle, la question de l’exemplarité est importante. « Si ça amène des aspirations, si ça change le destin d’une personne, c’est déjà bien« .

Rouguyata SALL

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