Pour la dernière Masterclass de l’année, le Bondy Blog a reçu Samuel Laurent dans ses locaux. Le journaliste du Monde, responsable de la rubrique Les Décodeurs, nous raconte comment utiliser les données et les informations qui foisonnent sur Internet pour expliquer simplement les enjeux complexes de l’actualité.

Dans un monde où l’information circule vite et où le temps de l’analyse diminue, des journalistes comme Samuel Laurent ont fait le choix de la pédagogie dans le traitement de l’actualité. Journaliste au Monde depuis février 2010, il arrive au début des Décodeurs, la rubrique du site du quotidien français, « où on faisait du fact-checking participatif, de la vérification des faits », explique-t-il.

Au départ, le site Les Décodeurs est un blog lancé fin 2009 par Nabil Wakim, qui était à l’époque journaliste au service politique du Monde. L’idée : décrypter l’information, vérifier les rumeurs et les intox qui circulent sur la toile et la véracité des propos et des informations avancés par les personnages publics. « On a passé quatre jours à vérifier une phrase formulée par Hervé Mariton », rapport-t-il, provoquant l’étonnement chez la quinzaine de participants de la Masterclass.

En 2014, Les Décodeurs cessent d’être un blog pour devenir une rubrique à part entière sur lemonde.fr. « La direction a vu dans les Décodeurs un produit d’appel pour amener des lecteurs au journal mais par rapport à l’audience du monde.fr, on s’est rendu compte qu’on avait un public différent qui n’avait pas les mêmes connaissances », précise-t-il, même s’il reconnaît que « ça a été une bataille pour que l’on soit une petite rédaction vraiment à part ».

« C’est plus facile de parler du RSA en fact-checking qu’avec un papier froid »

Samuel Laurent, qui a suivi sa formation à l’école de Journalisme de Grenoble, « [sa] ville natale », commence sa carrière au Figaro.fr en 2006, « pendant la campagne présidentielle ». L’élection de 2017 sera « [sa] troisième campagne présidentielle ». Selon lui, « elle va se jouer sur Internet ». Aux Décodeurs, il se met à faire du datajournalisme, juste avant l’élection de 2012. « Il y a assez peu d’offres en France concernant le datajournalisme, explique-t-il, on la chance d’avoir une rédaction qui y croit ». Articles de décryptage, d’explication, d’enquête et de vérification sur des sujets très variés… Le but est de replacer les informations dans leur contexte en tentant d’apporter de la clarté. « C’est plus facile de parler du RSA en fact-checking qu’avec un papier froid », relève-t-il.

Samuel Laurent n’a pas la prétention de vouloir déclencher des manifestations dans les rues, tout ce qu’il peut faire « c’est expliquer au public pour qu’il appréhende mieux ce qui se passe et lui donner des éléments de compréhension« . « On essaye de taper sur les idées reçues et d’interroger la production des chiffres par exemple », avance-t-il. Il est convaincu que « faire beaucoup de pédagogie et accompagner les lecteurs aide au succès d’un papier », tout en reconnaissant que « c’est aléatoire. En effet, il peut arriver qu’une actualité vienne balayer tout ce travail de pédagogie. « Swissleaks par exemple, ça n’a pas pris auprès des lecteurs malgré l’effort de pédagogie car d’autres actualités ont pris le dessus », rapporte Samuel Laurent. Et de conclure : « Les Décodeurs n’est pas TF1, quand on fait 300 000 vues, ça veut dire que le papier a bien marché ».

« Dans le fact-checking, il vaut mieux être posé et le plus neutre possible« 

D’autres difficultés apparaissent : la montée des intox. « Avec les attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015, on s’est aperçu de la force des théories du complot, analyse Samuel Laurent. Nous, journalistes, nous ne sommes plus les seuls à apporter de l’information. J’ai tendance à penser qu’il faut démonter une rumeur et en parler parce que les médias ne sont plus la principale source d’information ».

Le journaliste du Monde avance plusieurs pistes de réflexion pour savoir comment démonter ces théories du complot et ne pas tomber dans le piège. « D’abord, il ne faut jamais croire une source aveuglement (…) Le meilleur principe est de croiser les sources. Il faut être attentif au sérieux de l’information », développe-t-il. Dans le fact-checking, « il vaut mieux être posé et le plus neutre possible ». La tâche « oblige à [se] concentrer sur les détails ». C’est un travail de longue haleine. C’est pourquoi l’équipe des Décodeurs s’est renforcée. « L’effectif est passé de 7 en 2013 aujourd’hui, affirme Samuel Laurent. Parmi les 13, 4 savent coder, il y a un développeur et un graphiste ». L’équipe est actuellement « en train de constituer une base de données de sites hoax », souligne Samuel Laurent.

« On n’est pas des militants et on ne le sera jamais »

Le fact-checking ne fait pas l’unanimité au sein même de certaines rédactions. Ce qui a tendance à agacer Samuel Laurent parce qu’il s’agit de professionnels de l’information dont la crédibilité tient notamment à vérifier les sources. Sur ce point, il note que les directeurs de rédaction de BFM Business et des Échos ne seraient pas friands du fact-checking. En cause, un papier rédigé par Nicolas Meilhan sur le site Econoclastes qui faisait savoir que les centrales à charbon allemandes étaient à l’origine du pic de pollution que la France avait traversée ces dernières semaines. L’auteur de ce papier trouvait regrettable qu’aucun média n’en parle. « Nous avons fait des recherches, contacter des spécialistes, rapporte Samuel Laurent. Nous sommes arrivés à la conclusion que les centrales de charbons allemandes n’étaient pas la cause de cette pollution ». Après la publication du papier des Décodeurs, Nicolas Meilhan réplique avec un papier expliquant que France Info et Le Monde mentent. Son papier va être relayé par Les Échos et BFM business. « Des directeurs de la rédaction n’ont même pas vérifié ce qu’ils relayaient, dénonce Samuel Laurent. Alors que vous êtes un média, les gars ! S’ils ont partagé ce truc, c’est parce qu’ils voulaient que ce soit vrai ».

Certaines critiques peuvent également venir du public. Surtout quand les articles concernent la politique, au point que Samuel Laurent « [s’]interroge sur la nécessité de continuer à fact-checker le politique au vu des critiques ». Il ajoute : « Le factchecking a du mal tenir face aux gens qui nous encensent puis le lendemain nous détestent quand on touche à leur candidat. (…) On nous accuse de pas être à assez à gauche pas assez à droite. On reçoit des menaces des laïcards quand on parle d’islam ».

L’exemple de la polémique « Manuel Valls/Clémentine Autain » est parlant. L’ancien premier ministre et candidat à la primaire de la gauche a accusé la conseillère régionale, figure de la gauche radicale, de « passer des accords avec les Frères musulmans ». Samuel Laurent et sa collègue Raphaëlle Besse Desmoulières ont démontré que c’était faux. Résultat : les soutiens de Valls d’un côté et ceux d’Autain de l’autre lui sont tombés dessus. « On est pas des militants et on le sera jamais, tempère-t-il. On est accusé de biais par ceux qui en ont. On ne satisfait jamais personne ».

« Les éditorialistes parisiens c’est 1% des journalistes. Pourtant, dans la tête des gens, c’est ça le journaliste typique »

Samuel Laurent se montre également critique vis-à-vis de ses confrères et du milieu journalistique. Surtout politique. « J’ai fait les universités d’été du PS plusieurs années, ça m’a choqué de voir les journalistes claquer la bise aux mecs du Parti socialiste », lâche-t-il. Il se demande pourquoi les interviewers politiques font peu de fact-checking : « peur de se planter ? Pas leur boulot ? », interroge-t-il. Il pose des limites à l’exercice des éditorialistes. « Plus on fait de l’éditorial, moins on fait le travail d’enquête, d’information », assure-t-il. Les gens ne supportent plus les éditorialistes. Ça m’interroge car on les met au centre du jeu. » Ces mêmes éditorialistes parisiens représentent « 1% des journalistes », « pourtant dans la tête des gens c’est ça le journaliste typique », déplore Samuel Laurent.

Ses interrogations ne l’empêchent pas de réaliser son auto-critique sur son propre travail. « Le meilleur exemple concerne la rumeur Ali Juppé. On n’a pas su comment l’aborder, on ne voulait pas la mettre sur la place publique. On aurait pourtant dû. On aurait dû s’en emparer », regrette-t-il aujourd’hui.

Mélissa BARBERIS

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