Pour la sixième MasterClass de la saison, le Bondy Blog a reçu Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste des mouvements djihadistes. Durant près de trois heures, il est revenu sur son parcours journalistique, sa façon de travailler sur les questions liées au terrorisme et son émission Pas 2 Quartier.

« La France est un pays qui donne beaucoup d’opportunités. Il faut les saisir et avoir confiance en soi ». Ces mots encourageants de Wassim Nasr concluent la sixième MasterClass du Bondy Blog. Il faut dire que le parcours du journaliste de France 24 a été semé d’embûches, et ce dès l’enfance. « J’ai eu la chance -ou la malchance- de vivre la guerre au Liban », confesse-t-il, marqué par ce conflit d’abord politique puis devenu communautaire [1975-1990, Ndlr].

Il décroche une licence en Relations internationales puis un Master en Défense à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (Iris) à Paris, en complément d’un troisième cycle en relations internationales approfondies . Même s’il n’a pas suivi de formation en journalisme, il a pu faire ses armes dans le métier en débutant par un stage à BFMTV en 2010, à l’issue de ses études à l’Iris. Il commence « en bas de l’échelle, à savoir le booking ». Sa mission : s’occuper de la programmation ou appeler des invités pour les différentes émissions de débat de la chaîne. « Je n’avais pas mon mot à dire sur le choix des invités », se remémore-t-il. Selon lui, si certains « experts-djihad » sont davantage sollicités que d’autres, c’est parce qu’il y a « ceux qui répondent le plus vite », il y a aussi « la facilité et l’ignorance de certains journalistes » ou encore « du copinage » explique-t-il, sans toutefois citer les noms de ces « experts ».

Le djihadisme, « l’affaire du siècle »

À BFMTV, Wassim Nasr est alors le seul journaliste arabophone de la rédaction lorsque la crise libyenne commence. Il a ainsi pu interroger des membres du régime de Mouammar Kadhafi et de la rébellion. Il se spécialise sur les questions liées au djihadisme, qui est « l’affaire du siècle » selon lui. « Il y a un vide, un néant idéologique en Occident et ailleurs. Au 20e siècle, on avait l’anticolonialisme, le communisme. Aujourd’hui, le panarabisme et le panafricanisme ont disparu », analyse-t-il. Wassim Nasr explique que le journaliste doit rendre compte de ce phénomène avec humilité et transparence et ne pas tomber dans le piège des préjugés. Il rapporte ainsi au public le témoignage d’un djihadiste tunisien diplômé, père de famille aisé au discours construit. Tout l’opposé de l’image du djihadsite classique véhiculé dans nombre de médias, d’après Wassim Nasr.

Il est également question de la confiance qu’il faut établir avec ses sources. Celles qu’il a développées au sein de l’organisation terroriste État islamique lui fournissent des informations, notamment sur des combats entre l’EI et le Front Al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda. Il cultive ses premiers contacts via Twitter, « un outil de travail indispensable ». Cependant ces sources peuvent ne pas être 100% fiables, c’est pourquoi il rappelle l’importance de vérifier par d’autres moyens chaque information avant de la tweeter. Il cite l’exemple de l’unité de police encerclée dans Mossoul, un fait qu’il a vérifié grâce aux confrères présents sur le terrain. « Tout cela , je le raconte dans mon livre [État islamique, le fait accompli, Ndlr]. C’est pour ça qu’il faut l’acheter ! » indique-t-il, avec le sourire.

Sens des responsabilités

Wassim Nasr considère que c’est « un luxe d’être spécialisé », surtout dans un tel domaine car France 24, rédaction qu’il rejoint en 2011, n’a pas d’autres journalistes spécialisés. Un écho aux propos du journaliste indépendant Nicolas Hénin qui, lors de sa MasterClass du  5 novembre, avait expliqué les raisons pour lesquelles il souhaitait qu’il y ait des rubricards dans chaque rédaction.

Se spécialiser implique d’être par ce que l’on fait mais également un grand sens des responsabilités. « Il faut l’aimer ce métier sinon ce n’est pas la peine, affirme le journaliste. C’est une vraie responsabilité ».

L’émission Pas 2 quartier, le « bol d’air »

En dehors du sujet « djihadisme » qui constitue sa principale activité journalistique, Wassim Nasr lance en nombre Pas 2 quartier sur France 24, avec sa collègue Ségolène Malterre, une émission qui raconte le quotidien des quartiers populaires par ceux qui la vivent. « C’est un réel bol d’air pour moi ! » commente-t-il, enthousiaste. Les deux journalistes partent à la rencontre des habitants des quartiers, les écoutent et mettent en place des collaborations « afin de proposer sur la plateforme Pas 2 Quartier des reportages fabriqués avec les résidents, qui collent au plus près de leur réalité ».

« Ces territoires sont accessibles, il faut simplement savoir y aller. On y découvre des gens magnifiques à tous les niveaux », assène-t-il. On est très loin des clichés sur les banlieues présentés par certains médias. Son passage à cette MasterClass est l’occasion de visionner un épisode tourné à Sarcelles. Le reportage porte sur la campagne et la distribution de nourriture et de vêtements à destination des réfugiés, initiées par les jeunes habitants de la cité des Lochères. Les premières secondes, qui s’amusent à ridiculiser les a priori alimentés par des émissions comme Enquête exclusive, laissent penser au départ qu’il s’agit d’un trafic de drogues : des jeunes se relaient ou font le guet, la musique est angoissante, les plans saccadés… « L’accroche posait débat au sein de la rédaction », raconte Wassim Nasr, mais il tient à souligner que les premiers concernés ont validé le reportage parce qu’ils ont « le sens de l’autodérision ». De Sarcelles à Marseille en passant par Forbach, Wassim Nasr et Ségolène Malterre mettent donc en avant « les nombreuses initiatives des banlieues ». Un travail auquel le Bondy Blog s’attelle depuis plus de 10 ans.

Jonathan BAUDOIN

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