Anne-Cécile Demulsant : « Leur regard de surprise et de fierté »

La fin d’année scolaire approche pour les classes de secondes du lycée Libergier à Reims. Je rejoins l’une de ces classes, la 2nde G, chaque vendredi depuis deux mois dans le cadre d’un atelier d’éducation aux médias. A la première séance, ils m’impressionnent un peu. Je me demande comment je vais les convaincre de parler de ce qui les intéresse, comment les faire écrire ce qui les touche. Et surtout comment faire pour qu’ils repartent avec une idée positive du journalisme.

L’idée c’est de construire avec eux un mini-site. Ils sont 35 et ils choisiront un sujet par groupe qu’ils devront rendre à l’issue des séances. Alors au début, on fait un peu connaissance. Et puis ensemble, on définit ce qu’est un sujet,  un angle,  un mode de traitement… Tout ça a l’air un peu lointain. Puis ils proposent des idées de sujets au cours d’une vraie conférence de rédaction, dans les règles de l’art. Au début, il y a un peu de doutes. De retenue. Quelques blagues et les plus à l’aise se lancent.

Le portrait de leur professeur d’histoire-géographie, candidat sur la liste Lutte ouvrière aux élections européennes? C’est un sujet. Le ronron café, bar à chat à Reims ? C’est un sujet. Le portrait de Daphné Corboz, joueuse de foot professionnelle ? C’est un sujet. Les langues se délient progressivement quand chacun se rend compte que le quotidien peut se révéler bien plus intéressant que tous les « grands articles » que l’on voit dans les journaux. Au fil des séances, la confiance s’installe, les uns font des recherches, les autres partent en reportage sur le terrain.  Et même si le premier pas pour commencer à rédiger, même celles et ceux que j’imaginais loin d’être attentifs sont là.

Louka, par exemple, à qui je propose de raconter le « off » de la séance, prend l’exercice très au sérieux et me surprend à rester penché sur sa feuille. Il sourit quand on lui demande ce qu’il écrit : « Vous pourrez lire mais seulement à la fin, Madame ! » Il raconte ce qu’il voit, ce qu’il pense de l’ambiance, des sujets. Je suis surprise de l’entendre donner des conseils, entre deux rires, à un groupe sur le choix de leur photo pour l’article. Bref, la dynamique de groupe s’installe et sous couvert de désinvolture, ils s’approprient les sujets.

Arrive,  bien vite, la dernière séance. La peur d’écrire est encore un peu là, mais les réflexes s’installent. Ils posent les bonnes questions, ils s’écoutent entre eux. Ils se sont demandé : « Mais c’est pour de vrai tout ça ? » Ils sont un peu étonnés de la réponse. Et lorsque le premier article terminé est publié, ils se lèvent tous à leur tour pour venir voir sur l’écran de leurs yeux le résultat. C’est l’effervescence. « On peut le trouver sur Internet, c’est vrai ? », « T’as vu il y a nos noms ! » Ils sont fiers. Et rien que pour ça, que pour ce que je vois dans leur regard, de surprise et de fierté,  je regrette de ne pas avoir pu venir plus longtemps. Parce que, même si certains sont absents à la dernière séance, je ne peux pas m’empêcher de les voir, tous et toutes, comme des trajectoires et d’être infiniment curieuse d’eux et de ce qu’il se passe dans leur tête.

Arno Pedram : « Des élèves dynamiques et informés… même s’ils le cachent parfois »

« Si on connaît quelqu’un… dans le collège… qui participe à des rixes… on peut faire un papier dessus ? (rires) Bon, les gars on va éviter… » Depuis février, je fais des allers-retours entre Paris et le quartier Croix-Rouge à Reims. J’y forme, grâce au BB, une quinzaine de jeunes de quatrième au collège Georges-Braque au travail de journaliste.

Leur timidité vaincue, les jeunes se révèlent dynamiques, volontaires et informés – même si ils le cachent parfois. Les premières séances les initient aux notions de base : « Qu’est-ce qu’un journaliste ? », « Quel est son rôle ? », « Qu’est-ce qu’un média ? » On leur apprend à vérifier l’information et on les forme aux bases du journalisme. Pour l’exercice, certains ont écrit un portrait de T2R ou encore un billet coup de gueule sur Christchurch. Je leur fais ensuite adapter leurs papiers pour la radio, et là, gros stress pour 2 de mes jeunes introverties, elles résistent: « QUOI ?! On va devoir le dire sur un micro devant tout le monde ?! On déteste ça ! » Finalement, elles passent comme tout le monde, et je leur avoue que j’ai autant le trac qu’elles — je n’avais jamais fait de simulation de live radio !

La séance suivante est dédiée à un reportage : on se divise en groupes et on essaime dans le collège. Le binôme réticent des séances précédentes est transformé, je ne sais pas comment. Elles sont maintenant super enthousiastes : « Monsieur, vous pouvez venir avec nous s’il vous plaît ?! » On part dans le collège, et ils font leurs interviews : les surveillant.es, la CPE, les professeurs, d’autres élèves, tout le monde passe devant leurs micros. En une seule séance de 3 heures, ils trouvent un sujet, partent en reportage, reviennent et rédigent presque tous un article complet !

La séance d’après, drame : ils ne savaient pas que nous venions ce jour-là, et ils doivent rester plus longtemps en cours qu’ils ne pensaient. Conséquence : ils bloquent tous et prétendent qu’ils n’ont aucune idée de sujet, qu’il ne se passe rien dans leur quartier. Cheikh, un élève qui avait raté quelques classes, qui ne s’était pas tant intéressé aux formations jusque-là me trouve, de suite, un sujet génial: la destruction d’un HLM dans son quartier, transformé en parking. Je galère avec eux pendant une heure (!) pour qu’ils trouvent un sujet, j’en viens presque à douter d’eux mais je continue à croire en eux, contre eux.

Faire cette formation m’a beaucoup appris sur les jeunes, comment leur parler, comment ils voient leur vie, et comment on leur répète (et eux à eux-mêmes ensuite) que rien d’intéressant ne se passe chez eux. En croisant du personnel du collège dans les couloirs en partant ou en arrivant, on nous faisait souvent des têtes surprises quand on racontait les exploits de cette classe, qui serait apparemment la classe la plus difficile, avec le plus d’élèves perturbateurs.

Pourtant, en classe avec moi, il n’en était rien. Au contraire, j’étais particulièrement impressionné par les quelques élèves « perturbateurs » en réalité plein d’énergie, réflexifs et critiques. J’ai pu mieux comprendre comment ces profils originaux peuvent se faire casser par un système auquel ils ne savent se conformer, et j’espère, peut-être naïvement, que la formation pourra leur inspirer un « accroche-toi, t’as du talent ! »

Mohamed Errami : « Ils se souviennent encore des 5W ! »

Je suis intervenu auprès d’une classe de quatrième SEGPA au Collège Joliot-Curie à Reims. La classe était composé de douze jeunes  adolescents. Un  vrai avantage qui m’a permis, selon moi, d’avoir une approche personnalisée avec mes élèves. Après des premières sessions sur les bases du métier de journaliste, par groupe de trois, les élèves ont choisi des sujets à traiter. Un seul exemple avec Aslan, 14 ans, qui a choisi d’écrire un portrait du proviseur du collège. Ce qui m’a le plus surpris, leur progression rapide et leur mémoire. J’ai expliqué dès le début la règle des 5W et les élèves, aujourd’hui, s’en souviennent ! L’objectif final : que chaque élève reparte avec son article réalisé et disponible sur un mini-blog que nous avons monté. Enfin, un petit mot pour Mounia, leur enseignante d’anglais, qui a permis que ces ateliers se fasse et m’a été d’une grande aide.

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