« C’est quand le jugement Madame Clémence ? » Assise sur la chaise qu’ils se sont empressés de lui apporter à son arrivée, en ce matin d’automne, Clémence Lormier tente d’apporter des réponses sur les démarches judiciaires en cours. L’anxiété se lit sur les visages de ceux qui, debout autour d’elle, forment un demi-cercle qui devient foule à mesure que les minutes passent. Ils, ce sont les quelque 200 occupants sommés de quitter un camp situé au bord d’une nationale de Bobigny, rue de Paris.

Clémence Lormier travaillait dans ce campement à l’époque du programme d’insertion pour ces familles roms précaires mis en place en 2012 par l’ancienne municipalité communiste. Un véritable petit village y a poussé, avec sol d’asphalte, eau et électricité. Mais l’élection municipale de 2014 change la donne. Après presque cent ans de pouvoir communiste, Bobigny passe à droite. C’est Stéphane de Paoli, UDI, qui remporte la mairie. Une de ses promesses électorales : fermer les campements de Roms, quitte à casser leurs parcours d’insertion.

Extrait du programme de Stéphane de Paoli, lors de la campagne municipale en 2014

Chasse aux Roms

Chose promise, chose due, la municipalité fait tout pour expulser les Roms des campements de Bobigny. Depuis maintenant plus de deux ans, les familles sont en sursis. Deux procédures ont été lancées à leur encontre, la dernière à l’initiative du maire lui-même, Stéphane de Paoli. Le 23 mai, il publie un arrêté municipal les mettant en demeure de quitter le terrain, rue de Paris, sous 48 heures. Selon lui, les normes de sécurité et sanitaires ne sont pas respectées avec des risques imminents d’incendie ou d’électrocution. Soutenus par des militants associatifs, les habitants se défendent devant le tribunal administratif. La ville est déboutée de sa demande sur le caractère urgent.

En 2015 déjà, Sequano immobilier, société d’économie mixte propriétaire du terrain, avait assigné les familles pour demander leur expulsion. Elle invoquait deux motifs : d’une part, les travaux de la ZAC Ecocité, la construction de 200 logements qui devait démarrer de façon urgente ; d’autre part, des conditions d’hygiène et de sécurité non respectées selon Sequano. Elle aussi avait été déboutée par le tribunal de grande instance (TGI) qui estimait que le caractère urgent des travaux n’était pas démontré et que les conditions de sécurité étaient acceptables. La société a interjeté appel mais l’affaire doit être jugée sur le fond par le cour d’appel de Paris. Aucun calendrier n’est défini pour le moment.

« Ils ont créé une situation de bidonville »

Le programme d’insertion instauré par la précédente maire communiste de la ville, Catherine Peyge, avait pour objectif d’accompagner une quarantaine de familles roms vers la sortie de la grande précarité : régularisation de leur présence en France, aide à la recherche de travail et de logements pérennes. Un accompagnement réalisé de concert par la mairie, la préfecture de Seine-Saint-Denis et deux associations.

« La position des communistes à Bobigny était de faire le maximum pour un accueil digne des Roms, assure Aline Charron, conseillère municipale communiste, membre aujourd’hui de l’opposition. Quelques mois après l’élection de Stéphane de Paoli, le camp de Roms des Coquetiers est évacué. Le campement de la rue de Paris est, lui, géré par une convention qui liait la ville de Bobigny à des associations, poursuit la conseillère de l’opposition. La majorité UDI a profité d’un conseil municipal pour ne pas renouveler cette convention prétextant que des opérations immobilières devaient y être menées. D’une zone prise en charge par des associations avec un ­véritable suivi social des 40 familles, ils ont créé une situation de bidonville, sans aucun suivi, avec beaucoup plus de monde et où les choses se sont dégradées ».

15 200 euros versés à l’association « Vies de Paris » par la mairie de Bobigny 

Exit alors « Cité Myriam » et « Rues et Cités », les deux associations mandatées en 2012 pour le suivi des familles, deux structures largement reconnues dans leur domaine. « Les missions d’insertion n’ont pas été remplies, justifie la mairie de Bobigny. Il a été décidé d’arrêter l’accompagnement. L’État nous a alors obligés de trouver une association pour fournir une domiciliation administrative aux habitants afin qu’ils gardent leurs droits sociaux. La seule qui était en mesure de le faire, c’était Vies de Paris », assure la municipalité.

En octobre 2015, une convention que nous avons examinée, est alors signée entre l’association et la municipalité. Elle engage « Vies de Paris » à « fournir la domiciliation des familles, un suivi administratif et social et dispenser des cours de français » aux habitants du campement de la rue de Paris. Les domiciliations permettent d’avoir une adresse postale, sans quoi, il est extrêmement difficile d’entamer n’importe quelle démarche administrative. Selon la convention, la structure doit également « fournir à la Ville un état mensuel du suivi des familles ». Le document indique par ailleurs : « La présente convention sera résiliée de plein droit sans préavis ni indemnité dans le cas de non-respect de l’une des clauses. (…) L’association sera tenue au remboursement de l’aide attribuée ». La convention indique d’ailleurs qu’une subvention municipale de 15 200 euros est allouée à « Vies de Paris ». Selon nos informations, la subvention a bien été versée à l’association.

« Vies de Paris » faisait payer les habitants pour une domiciliation administrative sans agrément

En échange de la fourniture des fameuses domiciliations, l’association, inconnue par les acteurs de terrain jusqu’alors, demande aux habitants une « participation aux frais de fonctionnement » : 40 euros par foyer et ce, tous les mois. Une sorte de loyer en somme. Le hic, c’est que les adresses de domiciliation n’étaient pas valides et ce, dès leur départ. C’est ce que nous rapportent tout d’abord plusieurs habitants du campement dont Adriana*. La jeune femme vient de voir sa demande de logement aboutir il y a peu mais revient souvent rue de Paris pour rendre visite à sa famille et pour filer quelques coups de main. « La première fois que je suis allée à la mairie pour demander une assistante sociale avec l’adresse fournie par « Vies de Paris », on m’a répondu ‘cette adresse n’existe plus’. Je ne comprenais pas », se souvient la femme d’une vingtaine d’années, qui a vécu jusque récemment sur le « platz », le surnom donné au terrain par les habitants.

Ronald Désir, président de l’association « Vies de Paris » nie les accusations. « Si la mairie nous reproche qu’on n’a pas fait notre travail, la mairie a le droit de nous le reprocher, mais qu’est-ce que les Roms ont à voir là dedans ? C’est un contrat signé entre « Vies de Paris » et la mairie, ça ne vous concerne pas vous, ni vous, ni votre journal, ni les Roms. Cela concerne « Vies de Paris » et la mairie ».

Pourtant, les accusations sont confirmées par la préfecture de Seine-Saint-Denis. « ‘Vies de Paris’ effectuait des élections de domicile pour le compte de la Ville de Bobigny (…) alors qu’elle n’était pas agréée pour cette adresse, nous indique la préfecture de Seine-Saint-Denis. En début d’année 2017, les équipes de la DRIHL [Direction Régionale et Interdépartementale de l’Hébergement et du Logement, NDLR] ont découvert cette situation et ont alors mis fin aux élections de domicile à cette adresse ». Ronald Désir précise par ailleurs que le système de facturation n’a duré que les premiers mois de la convention, jusqu’à fin 2015. Pourtant, le Bondy Blog a pu récupérer des attestations de paiement datées, à la main, de fin octobre 2016 (document ci-dessous).

Les attestations d’élection de domicile sont aujourd’hui établies à une autre adresse à Aubervilliers. Cela ne simplifie pas les démarches des habitants qui habitent officiellement à Bobigny et ne peuvent s’y prévaloir de droits. Cependant, selon plusieurs habitants rencontrés, ils ne payent plus les participations depuis sept ou huit mois : un agent de la mairie serait venu leur dire de ne plus payer.

Des frais pour services fictifs 

Ces 40 euros versés chaque mois par les familles du campement de la rue de Paris à Bobigny correspondent à une série de services censés être apportés par « Vies de Paris ». Parmi eux, la caravane facturée 30 euros, lessive facturée 1, 10 euro, le maintien de la tranquillité facturée 3 euros, le maintien de la propreté à 1, 20 euro et les frais de fonctionnement à 5, 30 euros. Selon une autre habitante, ces prestations n’étaient pas honorées. « Il n’y a pas de maintien de la propreté. Ce sont les habitants qui lavent eux-mêmes de temps en temps. Même chose pour le gardien, il n’y en a plus depuis longtemps. Même au début, quand il y en avait un, il n’était là que tôt le matin vers 5 heures, et un peu le soir, jusqu’à 23 heures ». Quant aux machines à laver, « tout le monde a la sienne alors qu’ils demandaient de l’argent pour ça ! Le seul truc qu’il y avait, c’était l’accès Wifi gratuit pour tout le monde, 24h sur 24. « , affirme-t-elle.

Dans ces 40 euros également, des frais de « caravane » de 30 euros sont prélevés aux familles. Sauf que la mairie de Bobigny est catégorique : « Ces caravanes n’appartiennent pas à l’association Vies de Paris, elles appartiennent à la Ville de Bobigny ». Pendant plusieurs mois, l’association « Vies de Paris » a donc fait payer pour une domiciliation non effective alors qu’elle n’était pas habilitée et pour des caravanes qui ne lui appartenaient pas.

Des cours de français jamais dispensés

Ce n’est pas tout. Comme l’indique la convention passée avec la municipalité de Bobigny, l’association « Vies de Paris » s’était aussi engagée à « assurer un suivi administratif et social et dispenser des cours de français ». D’ailleurs, un papier de l’association « Vies de Paris » accompagnant la carte d’adhérent remise aux habitants du camp dresse la liste des prestations que l’association s’engage à fournir en plus des services de base : « accompagnement personnalisé dans les démarches administratives », « formation en langue française », « sorties culturelles organisées et payées par Vies de Paris« …  Le président de « Vies de Paris », Ronald Désir, assure que les cours de français ont été dispensés mais que les habitants auraient décidé de ne pas y assister. « On a les mis en place ces cours, demandez-leur ! On leur a mis des salles à disposition, on a même fait une école à domicile pour eux mais ils ne sont pas venus, on ne va pas les attacher ! »

Adriana, une des anciennes habitantes du camp qui a encore sa famille rue de Paris, nous dit tout autre chose.« Vous recevez ces prestations ? » lui demande-t-on. En réponse, un éclat de rire amer. « Mais qui va nous accompagner pour cela ? À chaque fois qu’on a besoin de quelque chose, les portes de l’association sont fermées ! Leur bureau est d’ailleurs tout le temps fermé. Pour les cours qu’on est censé avoir, ils font venir des gens qui ne sont pas des habitants du terrain. Ils ont divisé leur local en petites salles pour faire des formations de plomberie, électricité à d’autres gens que nous mais il n’y a pas de cours de français pour nous ». Une version attestée par d’autres habitants, par d’autres associations et par Clémence Lormier qui travaillait avec « Rues et Cités » et qui continue à suivre les habitants du campement de la rue de Paris.

En guise d’explication, Ronald Désir assure que les cartes d’adhérents n’ont été remises aux habitants que pour informer aux autorités et aux forces de police qu’ils était bien suivis par « Vies de Paris » lors des contrôles d’identité notamment ce qui leur permettait, selon lui, d’éviter les garde à vue. Les services attachés à cette carte ne concerneraient donc pas les Roms selon lui. « Ils se plaignent, ils ne sont jamais contents ces gens-là. Enlevez votre chemise monsieur, il fait froid dehors, donnez-leur votre pantalon, votre chemise ils vont vous dire que c’est pas assez. Mais il faut qu’ils bossent aussi un petit peu non ?« , nous répond Ronald Désir. « Si ces personnes sont encore sur le terrain, c’est parce que je l’ai décidé, parce que « Vies de Paris » leur apporte son soutien. Si Vies de Paris n’était pas là, ce terrain serait déjà balayé ». 

Selon le Mouvement du 16 mai, une structure d’aide aux Roms affiliée à l’association La Voix des Rroms, « Vies de Paris » ferait même payer les formations professionnelles dispensées à d’autres personnes que les habitants du campement. « En quoi cela vous concerne ?, nous rétorque Ronald Désir. On a mis un bureau à ma disposition. Je fais ce que je veux dedans. Le bureau n’appartient pas aux Roms. Ils ont leurs bungalow qui sont dehors. Et ces cours ne concernent pas les Roms, cela concerne les adhérents de « Vies de Paris ». Je ne répondrai pas là dessus ». Et de préciser : « Ce n’est pas auprès des Roms que l’on a eu cet engagement, c’est auprès de la mairie« .

L’association continue d’agir

C’est justement pour mettre un terme à ces agissements que la municipalité a décidé d’arrêter de travailler avec « Vies de Paris » dénonçant une gestion douteuse.« Ça se passait mal, c’était compliqué. « Vies de Paris » n’avait pas l’air totalement honnête (…). À la fin de la convention (en juin 2016, ndlr), nous avons décidé d’arrêter de travailler avec eux, en raison de leur attitude ».

Sur le terrain, les acteurs et les habitants regrettent un gâchis avec la décision politique de la municipalité de droite d’arrêter le programme d’insertion mis en place par la majorité communiste en 2012. « Cité Myriam, ils étaient là à la première heure, se rappelle une habitante du campement. Tout le monde était chez eux, les bureaux étaient tout le temps ouverts. Si on avait besoin d’aide avec les papiers, ils étaient là. ‘La dame de « Vies de Paris » elle n’est là que deux fois par semaine. Ils ne sont là que pour nous contrôler et arnaquer les gens ». « ‘Cité Myriam’ et ‘Rues et cités’ faisaient le boulot« , rapporte l’association « La Voix des Rroms » qui défend les droits des Roms à l’échelle nationale. Beaucoup d’entre eux avaient été accompagnés dans l’obtention du statut d’auto-entrepreneur par exemple, ce qui faisait entrer l’activité de ferraille dans le cadre réglementaire ». Des habitants qui peuvent ainsi déclarer un revenu et avoir une feuille d’impôt, de précieux sésames pour accéder à un logement et au titre de séjour.

En 2015, « il n’y avait ni retour à l’emploi, ni au logement et le nombre de familles avait doublé, fait valoir Abdeslam Berrouane, chef de cabinet du maire UDI. Nous avons besoin de récupérer le terrain pour construire une école. Le programme d’insertion a été totalement inefficace. Et les associations, à part prendre 15 000 euros par mois, qu’est-ce qu’elles ont fait ? » poursuit-il. « En deux ans, on ne peut pas faire grand chose, rétorque Véronique Renard, directrice de « Rues et Cités » qui chapeautait la partie accompagnement social du programme sous la municipalité communiste. Nous n’avons été conventionnés que jusque fin 2014, assure-t-elle. « Et nous, nous ne les faisions pas payer ».

« Nous avons fait un signalement auprès des services de la préfecture », nous informe la mairie de Bobigny s’agissant des agissements de « Vies de Paris »Sans pour autant engager de poursuites judiciaires contre l’association ni chercher à récupérer le montant de la subvention versée, 12 500 euros. Selon la mairie de Bobigny, c’est à la préfecture de gérer ce problème. « Vies de Paris » continue pourtant d’agir au 165, rue de Paris.

Alban ELKAIM

*Prénom modifié

Papier publié initialement le 20 décembre 2017

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