À 43 ans, il se présente comme le plus jeune milliardaire de France. Avec un capital personnel de deux milliards d’euros, Sadri Fegaier a bâti un véritable empire dans le secteur des assurances pour les appareils numériques. Son groupe, Indexia, se targue d’avoir été élu « champion de la croissance » six années consécutives. D’après nos informations, le succès du self-made-man de Romans-sur-Isère (Drôme) semble être construit sur un certain nombre d’escroqueries.

Depuis plusieurs années, les associations de consommateurs tirent la sonnette d’alarme sur les pratiques déloyales de l’entreprise. Les témoignages de consommateurs s’accumulent sur les réseaux sociaux, et bon nombre d’entre eux ont saisi la justice. Plusieurs clients ont accepté de nous décrire les préjudices subis.

Ils prétendent que le contrat a été signé le 1er juillet 2017, mais je n’en ai aucun souvenir

Yacine*, que nous avons contacté, n’a aucun souvenir d’avoir signé un contrat d’assurance auprès de la SFAM. Pourtant, il s’est aperçu fin  2021 qu’un grand nombre de prélèvements suspects avaient eu lieu sur son compte depuis juillet 2017.

Quatre ans de prélèvements, pour un montant total de plus de 8 000 euros. « Ils prétendent que le contrat a été signé le 1er juillet 2017. Je l’ai eu récemment, c’est un contrat signé électroniquement. Sauf que je n’en ai aucun souvenir, je ne sais pas quand et comment je l’ai signé », déroule Yacine.

Après avoir assigné la société en justice, 70% de la somme indûment prélevée lui a été remboursée. Il continue de se battre pour obtenir le reste.

« Il nous était fortement recommandé de faire souscrire une assurance SFAM »

Son succès, le groupe le doit en grande partie à un partenariat de plusieurs années avec les magasins FNAC. Nous avons contacté Jallale, employé durant cinq ans comme vendeur dans une boutique de l’enseigne à Paris.

Comme pour ses collaborateurs, la vente des assurances faisait partie de son quotidien. « Pour chaque vente de produit, il nous était fortement recommandé de faire souscrire une assurance SFAM au client », assure-t-il. D’après lui, la FNAC fixait même des objectifs de résultats dans chaque boutique. « On te disait : “Ce serait bien que le département service client fasse tant de vente d’assurance par mois“ »,  assure Jallale.

Alexandre, lui, travaillait pour une boutique de téléphonie indépendante. Comme Jallale, il explique que les contrats d’assurance de la SFAM tenaient une place importante : « Sur chaque transaction, le magasin prenait une petite commission. Par contre, si le client faisait opposition au prélèvement, c’est le magasin qui donnait de l’argent à la SFAM. C’est pour ça qu’à la fin on a fini par rompre le contrat », rapporte-t-il

Rapidement, on a commencé à avoir beaucoup de retours négatifs de nos clients

Jallale et Alexandre se sont vite aperçus que quelque chose clochait avec ces assurances. Le premier se souvient : « Rapidement, on a commencé à avoir beaucoup de retours négatifs de nos clients. C’est quelque chose qui a eu un écho important dans le magasin ».  

Un tel écho que la FNAC a décidé de mettre fin à son partenariat avec l’assureur pour faire intervenir un nouveau prestataire fin 2019. Mais les deux entreprises restent liées. Depuis 2018, Sadri Fegaier est le deuxième actionnaire du groupe Fnac-Darty avec 11,3 % des parts.

Malgré cet accroc, le groupe Indexia s’adapte. Il vend aujourd’hui ses produits en ligne et a lancé sa propre franchise de boutiques en 2020 : Hubside Store. Ces magasins sont spécialisés dans la vente de produits électroniques, notamment des appareils reconditionnés. Ils se sont développés de façon exponentielle, et comptent aujourd’hui 120 boutiques.

Sans grande surprise, les témoignages de clients dénonçant des pratiques commerciales trompeuses dans ces boutiques se multiplient.

Un service dédié à la « rétention de clients »

Marin* a travaillé plusieurs mois pour l’assureur Celside (nouveau nom du service d’assurance d’Indexia depuis 2019) en 2021. Basé sur une plateforme téléphonique à l’étranger, il nous explique ses missions : « Nous, on faisait de la rétention de clients. Notre boulot c’était de retenir des clients qui souhaitaient résilier ». 

La plupart des clients commencent par souscrire des offres « découverte ». Une période d’essai gratuite d’un mois à l’issue de laquelle il était possible de résilier sans frais. Pour paraître plus attractive, l’offre était souvent assortie d’une réduction de 30 euros sur l’achat d’un appareil électroménager.

Parfois, leur demande de résiliation était faussement prise en compte

Une partie de ces consommateurs parvenaient réellement à résilier pendant la découverte. Mais pour les autres, ce contrat représente la première étape de l’engrenage. « Parfois, leur demande de résiliation était faussement prise en compte », explique Marin.

« Notre but était de les faire changer d’avis, en leur donnant des “flashs commerciaux” », poursuit-il. « On leur promettait des avantages, des remises, des cadeaux comme des tablettes ou des iPhones. Mais la plupart du temps c’était du pipo. »

Mois après mois, les prélèvements augmentent et s’accumulent

Pour ceux qui n’ont pas résilié, les prélèvements augmentent et s’accumulent. C’est ce que nous a confirmé Mokrane, ancien client de la SFAM : « J’ai commencé à voir des prélèvements d’une trentaine d’euros. Puis certains jours, il y avait un prélèvement de 15,99 euros le matin et de 28,99 euros l’après midi, mais sous un libellé différent. Il arrivait que, sur quelques jours, ils fassent six ou sept prélèvements. » 

Comme la plupart des clients dont le préjudice dépasse le millier d’euros, Mokrane ne consultait quasiment jamais ses comptes bancaires. Il a donc subi des prélèvements abusifs pendant des mois avant de s’en rendre compte.

L’assureur a mis en place plusieurs méthodes, pour multiplier les prélèvements et leur montant. Pour permettre l’augmentation tarifaire des abonnements, la société envoyait un mail visant à revoir les clauses du contrat. Nous avons pu les consulter.

Le courrier électronique a tout d’un mail publicitaire, et bien souvent, il tombe dans les spams du destinataire. Dedans, il est stipulé que « Celside Insurance fait évoluer le contenu et les conditions du Service Buy Back » et que les « échéances au titre du service Buy Back passent de 9.99€ à 29.99€ […] ou de 18€ à 39.99€ ». À compter de la réception du mail, le client a 30 jours pour s’opposer à l’augmentation du montant de prélèvement. L’absence de réponse du client vaut consentement.

Les informations bancaires utilisées par les autres entités d’Indexia

Raphaël Bartlomé, de l’association de protection des consommateurs, UFC-Que Choisir, connaît bien ce dossier. D’après lui, Celside est le point d’entrée permettant ensuite la mise en application d’un engrenage qui s’étend à toutes les entités du groupe Indexia : « Vous souscrivez une assurance en janvier, six mois plus tard vous commencez à avoir des prélèvements des autres entités du groupe Indexia : Foriou, Cyrana… »

« Les libellés et les montants des prélèvements sont différents. De ce fait, ces opérations passent sous le seuil de vigilance du consommateur », déplore Raphaël Bartlomé.

Une fois que le consommateur a découvert les prélèvements anormaux sur son compte bancaire, il doit encore comprendre d’où ils proviennent. Puis, il lui faut contacter un à un les services clients de chaque filiale d’Indexia pour demander la résiliation du contrat et le remboursement.

Mokrane nous raconte : « Pendant un temps, j’ai essayé de les harceler par téléphone, mais ils ont l’habitude, ils ont toutes les parades ». Il poursuit : « Quand on rappelle le lendemain, c’est comme si l’appel précédent n’avait pas eu lieu. Une fois, ils ont presque réussi à me faire croire que j’avais rêvé. »

La SFAM et son partenaire la FNAC attaqués en justice en 2018

En 2018, l’UFC- Que Choisir décide de porter plainte contre la SFAM et son partenaire la FNAC suite à de nombreux témoignages de consommateurs.

Dans la foulée, la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes), ouvre une enquête. Elle a établi que les méthodes de vente utilisées lors de la commercialisation des produits du groupe SFAM étaient « constitutives du délit de pratique commerciale trompeuse ».

En juin 2019, le procureur de la République de Paris a proposé une transaction pénale aux mis en cause, consistant au règlement d’une amende transactionnelle de 10 millions d’euros. La SFAM devait également rembourser les sommes indûment perçues aux consommateurs qui se faisaient connaître auprès d’eux au mois d’août 2020. 

Suite à cette transaction entre la SFAM et la DGCCRF, la plainte de l’UFC-Que choisir a été classée sans suite. « C’est quelque chose que l’on n’accepte pas car il y a eu infraction économique et atteinte portée à l’intérêt collectif. Nous avons donc assigné la SFAM au civil pour les faits qui remontent à 2018-2019 », indique Raphaël Bartlomé.

Une procédure judiciaire en cours

En juillet 2020, une seconde perquisition a lieu dans les locaux du groupe à Romans-sur-Isère. Aujourd’hui, sept personnes morales et le fondateur d’Indexia sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris par la répression des Fraudes pour « pratiques commerciales trompeuses et obstacle à un contrôle ».

Le procès portera sur les faits commis de 2014 à juillet 2020 (date de la perquisition). Pour tous les clients dont les problèmes ont commencé ultérieurement, il faudra attendre le lancement hypothétique d’une nouvelle procédure.

Quelles solutions pour les victimes ?

Certains consommateurs s’organisent pour tenter de faire valoir leur droit. Sur Facebook, un groupe nommé « Arnaque SFAM » affiche plus de 2 500 membres. Ces derniers partagent leurs mauvaises expériences et leurs conseils pour arriver à résilier leurs contrats et à se faire rembourser.

De son côté, l’UFC-Que Choisir a mis en place une documentation sur son site internet pour accompagner les victimes : « On demande aux clients de faire des courriers pour résilier les contrats dont ils n’ont jamais demandé la souscription », nous explique Raphaël Bartlomé. « Il faut aussi demander d’où les différentes entités ont reçu le droit de faire des prélèvements. L’entité devra donc fournir une copie du contrat. Il y a plein de cas où il n’y aura pas de contrat, et c’est la preuve parfaite de la fraude. »

Le procès, initialement prévu en octobre, a finalement été renvoyé à l’été 2023. Les consommateurs devront prendre leur mal en patience.

Névil Gagnepain 

*Les prénoms ont été modifiés

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