Amadou* hésite à témoigner : « Je ne veux pas que mon pays d’origine soit mentionné, ni mon nom ». Marché conclu : le jeune majeur accepte de raconter ses déboires depuis son arrivée en France. En 2019, après quelques péripéties administratives, Amadou est reconnu mineur.

À cette époque, il est placé à la villa Les Pins de Valbonne, un foyer qui héberge une centaine de mineurs non accompagnés. Il se souvient des plats « immangeables », obligeant les pensionnaires à acheter de la  nourriture avec l’argent de poche versé par le département (environ 80 euros par mois). Le quotidien est d’autant plus difficile que le jeune homme doit voir un psychologue deux fois par semaine. Il a tenté de se suicider, peu de temps après son arrivée en France.

« Parfois, il n’y avait pas de savon non plus »

Dans ce foyer, même l’eau chaude vient à manquer. « Parfois, il n’y avait pas de savon non plus », indique Thierno, mineur placé, lui aussi, à Valbonne. Arrivé en 2020, il y est resté neuf mois, le temps d’assister à des bagarres qu’il qualifie de « quotidiennes ». Des tensions exacerbées par la qualité de la nourriture et les vols.

Pour calmer les esprits, seule une poignée d’éducateurs encadrent les jeunes, « une quinzaine à l’époque », indique Thierno. En octobre 2022, le département dit compter 41 éducateurs sur le site des Pins.

Contacté par le Bondy Blog, le département recense 4 049 jeunes étrangers ayant été soumis à une évaluation de minorité, en 2021. Parmi eux, seuls 442 jeunes ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, contre 235 en 2017.

« En parallèle, le budget alloué aux mineurs non-accompagnés (MNA) est passé de 2,3 millions d’euros en 2017 à 12,7 millions d’euros en 2021. Il finance l’intégralité de la prise en charge des jeunes », affirme le département des Alpes-Maritimes.

Dans les foyers, « un système de massification moins cher »

Malgré les aides exceptionnelles de l’État, les jeunes que nous avons rencontrés témoignent de conditions de placement difficiles. « Le département a abandonné une organisation avec des villas à taille humaine, pour un système de massification moins cher, en regroupant les MNA à l’intérieur de grands complexes », affirme Henri Busquet , secrétaire de la section locale de la Ligue des droits de l’homme (LDH).

Aux manettes de cet établissement, l’association Pasteur avenir jeunesse (PAJE) refuse de répondre à nos sollicitations. Pourtant, depuis janvier 2022, l’organisation se voit confier par le département – avec trois autres structures – l’accueil des mineurs non accompagnés. Une mission auparavant remplie par le foyer de l’enfance des Alpes-Maritimes (FEAM). Aujourd’hui, seules les mineures isolées restent prises en charge par le FEAM. Avec ce système, les mineurs français et étrangers ne sont donc pas placés dans les mêmes structures.

La raison de cette réorganisation semble être économique. Un ex-éducateur de la FEAM qui souhaite rester anonyme déroule :  « Créée il y a trois ans, l’association Pasteur avenir jeunesse (PAJE) rafle tous les appels d’offres dans le département, car elle est sur des prix de journée assez faibles ». 

Le Bondy Blog a eu accès au financement du dispositif expérimental, l’Atelier (piloté par PAJE), en charge des jeunes à Nice et d’une capacité de 24 places. Pour l’année 2022, l’appel d’offres accordé à PAJE est de  73€/journée par jeune. Le département, lui, estime un prix moyen à 92 euros par jour et par MNA pour les établissements gérés par la PAJE.

Un traitement différent entre les mineurs français et étrangers

Un chiffre loin des standards de certains foyers dédiés aux mineurs français. Selon l’ex-éducateur, le prix journée se situe à 280 euros pour la dizaine de villa d’accueil gérée par la FEAM. « Le financement des mineurs isolés étrangers, c’est environ la moitié de celui dédié aux mineurs français », s’agace-t-il.

Les militants mettent plus globalement en cause les liens de PAJE avec le département. En 2021, des associations niçoises dénonçaient des arrestations de jeunes étrangers au terme d’un rendez-vous administratif dans les locaux de l’Aide sociale à l’enfance (ASE).

Un jeune a été arrêté et menotté au sortir de son entretien avec l’ASE

David Nakache, président de l’association Tous citoyens, affirme que ces pratiques ont repris cet été. « Un jeune a été convoqué à l’ASE pour connaître le résultat de son évaluation. Après avoir été déclaré majeur, il a été arrêté et menotté au sortir de son entretien », assure-t-il. Une fois arrêté, le jeune a été placé en retenue administrative entre 24 et 48 heures, selon l’associatif.

D’après David Nakache, il est ensuite sorti du commissariat avec une obligation de quitter le territoire (OQTF), sans être informés de leur droit de la contester. Une situation qui concerneraient plusieurs jeunes étrangers. « S’ils étaient mis en garde à vue, ils auraient un avocat commis d’office, mais une retenue administrative ne permet aucun accompagnement juridique », souligne David Nakache. De son côté, le département rétorque : « Il n’y a ni arrestation, ni dénonciation. L’ASE a en charge l’évaluation de la minorité. Les migrants reconnus majeurs sont remis à la police aux frontières, conformément à la loi ». 

Les associations dénoncent un durcissement judiciaire

En parallèle, le système judiciaire se durcit, avec des « recours systématiques aux tests osseux », d’après Tous Citoyens. Cet examen médical vise à évaluer l’âge des jeunes isolés, mais sa fiabilité reste très contestée. Les tests osseux ont, à ce titre, été interdits en Grande-Bretagne ou en Australie.

Maître Damiano, avocate au Barreau de Nice et membre de l’association Roya Citoyenne témoigne :  « Le nombre de réadmissions dans le circuit de la protection par le Tribunal pour Enfants de Nice était très bon jusqu’en 2019, mais le département a commencé à contester systématiquement toutes les décisions en appel ». 

Le département Alpes-Maritimes confirme avoir émis des recours contre des décisions du juge des enfants, sur des suspicions de fraudes et dit avoir gagné, en 2021, 17 requêtes en appel sur les 17 recours formulés.

Un système d’entraves aux droits des mineurs isolés mis en place délibérément dans les Alpes-Maritimes

Dans les tribunaux aussi, le traitement des dossiers des MNA connaît une sévérité accrue. En témoigne la décision de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, rendue le 13 octobre 2022. La juridiction a refusé de prendre en compte le passeport d’un jeune isolé dans le cadre d’un recours. Chose rare. Habituellement, ce document peut permettre la reconnaissance de minorité d’un jeune étranger. « Cette fois, la Cour a estimé qu’il ne s’agissait pas d’un élément nouveau », s’indigne maître Damiano, qui va tenter un pourvoi en cassation dans ce dossier.

Pour David Nakache, ces éléments, mis bout à bout, traduisent « un système d’entraves aux droits des mineurs isolés mis en place délibérément dans les Alpes-Maritimes ». Malgré la prise en charge détériorée des MNA dans certains foyers et le serrage de vis judiciaire, certaines villes du département, comme Nice, ont été flanquées du label « Amie des Enfants ». Une marque de reconnaissance décernée par UNICEF France et l’association des Maires de France.

Audrey Parmentier 

*Les prénoms ont été modifiés.

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