Mise à jour du 27 octobre : après publication de notre enquête, l’un des influenceurs cités a réagi via les réseaux sociaux sur son compte Instagram, nous avons intégré ses réponses, par souci de transparence.  

«200 euros par jour, sans avoir rien à faire. C’est vrai que ça faisait rêver. » Brahim*, 34 ans et originaire de la région parisienne, a perdu 2 000 euros, qu’il devait dépenser en vacances familiales, en suivant les conseils de Marc Blata, un influenceur français issu de la téléréalité, vivant à Dubaï et qui fait la promotion du trading en ligne.

Tout commence avec une promesse alléchante. Sur son compte Snapchat, suivi par 1,6 million d’abonnés, l’intéressé vante un « bon plan argent », avec à la clé un gain quotidien de plusieurs centaines d’euros. Il est question de jouer au trader du Web, autrement dit de spéculer sur des actifs financiers (devises étrangères et cryptomonnaies) via des applications dédiées.


Retrouvez notre enquête en vidéo, disponible sur tous vos réseaux sociaux. 

Pour ce faire, nul besoin d’un diplôme en finance, puisque l’ancien participant de l’émission « Les Anges de la téléréalité » affirme à ses abonnés qu’ils seront guidés par des traders professionnels. Première étape : ouvrir un compte sur une plateforme de trading en cliquant sur le lien Internet fourni par Marc Blata qui conseille d’y déposer non pas « 20 ou 50 euros, parce sinon tu ne tiens pas deux jours », mais 500 euros. Une fois la mise de départ effectuée, il n’y a plus qu’à suivre les instructions, appelées signaux, publiées quotidiennement sur la messagerie en ligne Telegram. « Copier-coller, encaisser » : le triptyque gagnant selon l’influenceur.

« Ça paraissait tellement facile. On n’a rien à faire, juste à reprendre les signaux au bon moment », se rappelle Brahim. Il ne lui aura pas fallu attendre longtemps avant de déchanter : « Sur la première semaine, j’étais assez satisfait, j’avais pris un peu d’argent. Mais dès la deuxième semaine, c’était la dégringolade. Et puis tu te noies dans la frustration, tu continues à miser jusqu’à tout perdre », décrit le Seine-et-Marnais.

Marc Blata, Laurent Billionaire, Milla Jasmine : autant de célébrités de téléréalité qui, entre deux placements de produits pour des boutiques en ligne ou des produits cosmétiques, encouragent leurs abonnés à se lancer dans le trading en ligne. Galvanisés par la promesse d’argent facile, nombreux sont ceux qui ont perdu gros en suivant les conseils en investissement peu avisés de leurs influenceurs préférés. Un phénomène inquiétant qui, au moyen d’un discours bien rodé, attire principalement des jeunes de banlieue et des personnes vulnérables.

La première fois que je l’entends parler du trading en ligne, c’est sur son compte Snapchat.

Les applications Web qui proposent aux particuliers d’investir sur les marchés financiers ne sont pas nouvelles. En revanche, leur promotion par des célébrités de téléréalité, dont la notoriété est grande auprès de la jeunesse populaire notamment, est beaucoup plus récente. En exhibant leur quotidien doré, fait de villas luxueuses à Dubaï et de voitures haut de gamme, les influenceurs entretiennent l’illusion que cette vie de rêve est à portée de main, grâce à un smartphone et quelques investissements bien sentis.

Brahim se souvient de la manière dont il a été appâté par Marc Blata : « La première fois que je l’entends parler du trading en ligne, c’est sur son compte Snapchat. Il explique que ça marche, et montre des captures d’écran, des témoignages de personnes qui ont suivi ses conseils et qui ont gagné beaucoup d’argent. »

Ces pseudo-preuves sont le cœur d’un discours très élaboré, inspiré des techniques de vente des téléachats, et qui vise à présenter le trading en ligne comme une occasion unique à ne pas manquer. À grand renfort de « tu vas le regretter toute ta vie si tu ne saisis pas cette opportunité dès maintenant », le sentiment d’urgence ainsi généré « nous incite à foncer tête baissée », explique Brahim.

Groupe Telegram où Marc Blata recrute des clients pour la plateforme de trading MetaTrader. © Capture d'écran

Groupe Telegram où Marc Blata recrute des clients pour la plateforme de trading MetaTrader. © Capture d’écran

Un autre ressort essentiel des techniques de vente des influenceurs : s’appuyer sur le lien de confiance qu’ils créent avec leurs abonnés. « Marc est très malin », juge Yassine*, une autre victime, qui a perdu 500 euros en achetant des devises étrangères. « Il se fait passer pour un mec de banlieue, parti de rien, qui a galéré dans la vie. On s’identifie à lui. Dans son discours, on a l’impression qu’il veut t’aider, qu’il te tend la main. On se dit qu’il veut notre bien et qu’il ne nous bernera pas. »

 Je pense qu’il se sert du fait qu’il est musulman pour séduire des jeunes de banlieue, c’est quelque chose qu’il met beaucoup en avant.

Pour achever de convaincre les plus réticents, notamment les personnes de confession musulmane qui douteraient de la licéité religieuse du trading en ligne, Marc Blata propose une option « compte islamique » : « C’est une option qui vous permet de ne générer aucun intérêt et de toute manière, on n’investit que sur des choses licites dans l’islam, à savoir des devises », affirme-t-il dans l’une de ses nombreuses vidéos. Yassine a en partie été séduit par ses arguments : « Je pense qu’il se sert du fait qu’il est musulman pour séduire des jeunes de banlieue, c’est quelque chose qu’il met beaucoup en avant. Les gens se font beaucoup confiance dans la communauté musulmane quand il s’agit d’argent. »

Marc Blata, dont la réputation est en bonne partie fondée sur son engagement passé à dénoncer « les placements de produits dangereux » promus par d’autres influenceurs, joue à fond la carte de la franchise. Il reconnaît toucher une commission sur les gains de ses abonnés et à chaque fois que son lien Internet est utilisé pour s’inscrire sur la plateforme de trading. « C’est un système gagnant-gagnant », vend-il à ses followers (ceux qui le suivent). « Il admet prendre de l’argent sur nous, mais tant qu’on en gagne aussi, on est prêt à le suivre », raconte Brahim.

Plus vous perdez, plus l’influenceur gagne de l’argent et plus le site de trading gagne de l’argent. 

Cette rémunération par lien d’affiliation est courante dans le monde de l’e-commerce selon Philippe Miller, journaliste pour Warning Trading, média en ligne spécialisé dans la cybercriminalité. « Le modèle économique des influenceurs n’est pas vraiment de gagner de l’argent avec la méthode qu’ils vous vendent. Leur modèle économique c’est d’apporter des clients à des sites de trading qui vont en échange leur verser des rétrocommissions. »  

Parfois même, l’influenceur s’enrichit au détriment de son abonné. « Dans certains cas, ils vont même toucher une part des sommes qui sont perdues par les personnes qu’ils ont recrutées pour le site de trading. Plus vous perdez, plus l’influenceur gagne de l’argent et plus le site de trading gagne de l’argent », analyse Philippe Miller. Sollicité, Marc Blata n’a pas répondu à ce jour à nos questions.

Comme au casino

Les célébrités de téléréalité prodiguent leurs conseils en investissement via la messagerie Telegram. S’inscrire sur la plateforme de trading en ligne constitue la clé d’entrée dans leur groupe Telegram fermé. Parmi les actifs financiers sur lesquels il est proposé de spéculer, on trouve des cryptomonnaies et des devises étrangères sur le marché appelé Forex. « Le Forex est le marché des changes, c’est là qu’on échange des monnaies du monde entier, explique Philippe Miller. Quand on fait du trading sur des monnaies, on fait des paris sur l’évolution de leur valeur, à la hausse ou à la baisse, comme au casino. »

On ne s’improvise pas trader du jour au lendemain.

Des produits financiers très volatils, et dont il est très difficile d’anticiper les fluctuations. Pour un trader débutant, miser sur l’évolution du cours d’une monnaie relève presque du hasard. Et c’est souvent l’application de trading qui gagne. « Tu peux gagner 100 euros sur un miracle, mais ça n’arrive jamais. En vérité, tu perds surtout », commente Yassine.

« On ne s’improvise pas trader du jour au lendemain », ajoute Brahim. Précisément, sur la question de la compétence, les influenceurs sont bien incapables d’apporter la preuve d’une qualification ou d’une expérience en finance.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, car 9 clients sur 10 des applications de trading sont perdants.

L’Autorité des marchés financiers (AMF), le gendarme français de la Bourse, a sonné l’alarme sur ces pratiques qu’elle juge dangereuses. L’institution s’inquiète du nombre croissant de Français qui s’aventurent sur les marchés, dans l’espoir de s’enrichir, pour finalement perdre gros.

Directrice des relations avec les épargnants à l’AMF, Claire Castanet met en garde : « Les chiffres parlent d’eux-mêmes, car 9 clients sur 10 des applications de trading sont perdants. Et on voit bien que ça touche des gens qui ont cru en des promesses illusoires et qui finissent par perdre soit l’argent de toute une vie, soit, pour les jeunes, l’argent dont ils ont besoin pour financer leurs études. » Un risque bien souvent minimisé, voire pas du tout évoqué par les influenceurs lorsqu’ils font la publicité d’applications de trading.

Conversation entre un abonné intéressé par le trading et la femme de Marc Blata. © Capture d'écran

Conversation entre un abonné intéressé par le trading et la femme de Marc Blata. © Capture d’écran

Bien que les particuliers floués par le trading en ligne soient majoritaires, il existe quelques exceptions. Latifa, 32 ans, en fait partie. Elle pratique le trading depuis 2017 et assure gagner entre 600 et 1 200 euros par mois. Mais pas si aisément : « Je ne considère pas le trading comme de l’argent facile. Parce que ça m’a demandé d’y passer du temps, une heure le dimanche, ou le soir. Pour moi, on peut gagner de l’argent en faisant du trading, mais ça implique de se former. »

Une régulation difficile

Entre des plateformes pas toujours autorisées à exercer en France et la promotion par les influenceurs de services financiers pour lesquels la publicité est interdite, la régulation du trading en ligne s’avère délicate pour les autorités.

D’abord, les applications vers lesquelles les célébrités de téléréalité dirigent leurs abonnés sont souvent adossées à des groupes comptant plusieurs dizaines d’autres applications de trading. Ces sociétés sont majoritairement domiciliées dans des paradis fiscaux, et échappent à toute régulation des autorités françaises et européennes. C’est le cas notamment d’IronFX, site promu par l’influenceur Laurent Billionaire.

D’autres plateformes sont même inscrites sur la liste noire de l’Autorité des marchés financiers pour leurs pratiques illégales, et ont interdiction de proposer leurs services à des clients français.

Ensuite, la publicité pour les produits financiers est très encadrée par la loi et même souvent prohibée. Ce qui n’empêche pas pour autant ces influenceurs d’en faire la promotion. Depuis décembre 2016, la loi Sapin 2 encadre la publicité sur les produits financiers : elle interdit notamment de mettre en avant les produits les plus complexes, comme les dérivés de crypto-monnaies ou du Forex.

Je me demande pourquoi les influenceurs qui font la promotion du trading vivent tous
à Dubaï.

L’outil de promotion préféré des vedettes de téléréalité, Snapchat, prend désormais au sérieux le sujet. Dans sa politique d’utilisation, le réseau social rappelle qu’il est interdit de faire la publicité de produits financiers. À la fin du mois de septembre, les comptes de Laurent Billionaire et de sa femme Jazz étaient suspendus par Snapchat, en raison de violations du règlement interne au réseau social.

Les plateformes de trading ne semblent pas être les seules à exercer leurs activités loin du contrôle des régulateurs français. Tous les influenceurs vantant « l’argent facile » du trading ont déménagé à Dubaï. Pas le plus réputé des émirats pour sa coopération judiciaire internationale. « Je me demande pourquoi les influenceurs qui font la promotion du trading vivent tous à Dubaï. Mon avis, c’est qu’ils fuient l’État français parce qu’ils savent que leurs pratiques sont illégales », tance Yassine qui assure en avoir définitivement terminé avec le trading. Mais quid des autres à qui l’on a vendu l’indépendance financière ?

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat. 

Emilie Duhamel et Yunnes Abzouz

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