L’année 2012 commençait par la première coupe du gouvernement de 40 milliards d’euros, rejetée par l’ensemble des partis d’opposition ainsi que par la plupart de la population . Le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, avait alors décrété le gel des salaires des fonctionnaires, à l’exception de ceux des forces de sécurité de l’État et des bureaux de lutte contre la fraude.

Il avait aussi annoncé une augmentation du temps de travail des fonctionnaires, passant à 37,5 heures par semaine ; ainsi qu’une réduction de 20% des aides financières aux partis politiques, syndicats et organisations patronales ; une réduction de 600 millions d’euros des subventions à la Recherche, au Développement, et à l’Innovation (RDI); enfin, une réduction du budget des ministères de 7 540,6 millions au total.

Même si, après ces mesures, les gens sont sortis régulièrement dans la rue pour y manifester leur désaccord, c’est le 29 mars que tous se sont réunis à l’occasion de la première grève générale de l’année contre la réforme du travail. Réforme qui est entrée en vigueur en février et permet désormais aux entreprises de licencier à moindres frais (20 jours d’indemnité par année travaillée alors qu’avant il s’agissait de 45). Il suffit dorénavant de déclarer des pertes ou une diminution des ventes pour licencier.

La réforme du travail avait été, pourtant, rejetée par tous les partis politiques d’opposition et par les syndicats majoritaires, qui ont convoqué grèves et manifestations, lesquelles, selon le journal El País, ont réuni 170 000 personnes à Madrid et 275 000 à Barcelone. Le gouvernement chiffrait la participation totale dans le pays à 800 000 personnes tandis que les syndicats l’estimaient à 900 000 personnes, rien que dans la capitale.

Par ailleurs, les plans sociaux ne font plus l’objet d’une autorisation préalable de l’Audience Nationale (haut tribunal avec une juridiction valable pour l’ensemble de l’Espagne). Ceci a considérablement contribué à accélérer le phénomène: 27 055 dossiers (soit une augmentation de 70,48% par rapport à 2011), selon les chiffres du Ministère du Travail, publiés le 21 décembre dernier. Et, grande ombre noire au tableau, les chiffres du chômage. Selon la dernière enquête sur la population active (EPA), le pays clôture l’année 2012 avec 5 778 100 chômeurs, soit près de 26,6% de la population active.

Aux lendemains de la manifestation du 29 mars, le gouvernement approuvait le budget général de l’État le plus drastique depuis la mort de Franco, en 1975. La coupe budgétaire s’est élevée à 27 300 millions d’euros. Elle touche les budgets destinés à la santé et aux services sociaux de 13,7%; l’éducation de 21,2%; l’investissement en recherche et développement de 25% ; les programmes de sciences de 34%…

La famille royale, en revanche, n’a vu réduit son budget que de 2%. L’objectif était de passer d’un déficit de 8,5% à un déficit de 5,3% via une restriction sans précédent du budget, y compris si cela devait passer par une amnistie fiscale qui permettrait aux fraudeurs le blanchiment d’argent, sous couvert d’une taxe de 10%.

Parallèlement, le conseil des ministres a approuvé un projet de loi « qui prévoit une augmentation des frais généraux de justice, entre 50 et 750 euros, avec le but d’alléger la congestion des tribunaux. Mais, dans la pratique, cela limite l’accès de nombreux citoyens sans ressources à l’administration de la justice », selon le quotidien madrilène, El País.

En mai, à la veille de l’anniversaire du mouvement du 15M (les Indignés), le journal Público avait publié les 15 raisons pour organiser une contestation sociale: un système éducatif plus cher et de moins bonne qualité ; une restriction des budgets de l’assurance maladie de 7 000 millions d’euros ; le refus de l’assistance médicale universelle aux immigrés en situation irrégulière ; la possible réforme du Code Pénal qui mettrait sur un pied d‘égalité manifestants et terroristes ; le chômage ; le licenciement facile ; la dégradation des droits du travail ; les salaires très bas ; la fraude et l’amnistie contre les gros fraudeurs ; la banque qui utilise l’argent public pour se remettre à flot (depuis le début de la crise, dix banques ont bénéficié d’une aide gouvernementale) ; les drastiques mesures d’austérité et le déficit imposé de 5,3% ; le chemin ouvert à la privatisation de la télévision et de la radio publique ; la dégradation des droits de la femme (surtout la réforme de la loi de l’avortement qui ne permet plus l’interruption de la grossesse même si le fœtus est atteint de maladies ou de malformations) ; la réduction des budgets pour la recherche et la réduction du budget pour la coopération de 54%.

Le mois suivant, en juin, le gouvernement de Rajoy a accepté le plan d’aide aux banques de 100 milliards d’euros accordé par l’Europe et le FMI. Vu le climat de tension qui régnait dans le pays et le manque de réponses aux revendications populaires de la part du gouvernement, le 19 juillet, les espagnols sont sortis, de nouveau, dans les rues de plus de 80 villes pour manifester contre « le pillage de la population ».

La participation, selon les syndicats, était de 800 000 à Madrid et de 400 000 à Barcelone. Cette manifestation constituait une réponse à une nouvelle proposition de coupes budgétaires, dont l’augmentation de la TVA sur les produits taxés de 8% à 21% et la perte du treizième mois pour les fonctionnaires. Le lendemain de cette forte mobilisation, paraissait le chiffre record des personnes ayant perdu leur maison faute de pouvoir  rembourser les crédits.

Selon le Conseil général du pouvoir judiciaire espagnol, 46 599 foyers ont été touchés et ce, rien qu’au premier trimestre 2012. Si la plupart des espagnols étaient déjà très mécontents, la situation a atteint un état de crispation tel que les citoyens oppressés par les coupes budgétaires ont décidé d’étouffer métaphoriquement la classe politique en encerclant le Palais des Congrès le 25 septembre.

Même s’il s’agissait d’une concentration pacifique et légale, les forces de police anti-émeutes ont chargé les manifestants, en agressant des personnes âgées et des mineurs. Ils ont poursuivi les manifestants jusqu’aux quais de la gare d’Atocha, loin du centre de la manifestation. Malheureusement, c’est le scénario qui s’est normalisé lors de manifestations.

Le 14 novembre, les citoyens ont encore trouvé la force nécessaire pour une dernière grève générale. Une grève à l’échelle européenne puisque le Portugal, l’Italie, la Grèce, Chypre ainsi que Malte ont connu de grandes mobilisations, suivies par 76,7% des travailleurs, selon les syndicats. Par ailleurs, les manifestations de l’ensemble de l’Espagne ont réuni un million de personnes, selon le gouvernement; tandis que les syndicats l’estimaient à deux millions de personnes seulement entre Madrid et Barcelone, selon le journal catalan La Vanguardia.

De ces manifestations, on retient le bilan des 142 détenus et 74 blessés (chiffres du Ministère de l’Intérieur). Une phrase, prononcée par le secrétaire général du syndicat UGT (Union Générale des Travailleurs), résume l’esprit de la journée : « Le gouvernement s’agenouille devant Berlin, mais le peuple espagnol est encore debout ».

Beatriz Alonso

Photo d’illustration : Álvaro García/El País. Madrid.

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