Plus d’une centaine de personnes se sont rassemblées place du Trocadéro, le samedi 24 octobre, pour dénoncer les violences électorales du régime d’Alpha Condé. Les tensions ont explosé depuis la publication des résultats des élections du 18 octobre dernier qui le donnent vainqueur avec 59,49 % des voix, s’octroyant ainsi un troisième mandat très discuté.

Son opposant, Cellou Dalein Diallo n’aurait quant a lui obtenu que 33,5 % des suffrages. Une nouvelle victoire très controversée qui a provoqué de nouveaux affrontements à Conakry entre l’armée et les opposants, provoquant la mort de plus d’une trentaine de personnes selon les manifestants.

Alpha Condé doit partir…

L’ambiance est plutôt calme sur le parvis du Trocadero en ce samedi d’octobre, mais les slogans sont déterminés :  « Alpha Condé doit partir », « Stop ! On ne tire pas sur son peuple », « Halte aux assassinats ciblés ». Encadré par un groupe de CRS, Lady Diallo, 30 ans juriste de formation et membre de l’Association des ressortissants guinéens en France, est le premier à prendre la parole :  « Cette barbarie doit cesser. Le Président  Alpha Condé doit partir, une seule personne ne peut pas prendre en otage 12 millions d’habitants, là on ne le laisse plus faire ! »


Il y a quelques mois, Le Monde faisait le portrait en vidéo d’Alpha Condé. 

Je n’arrive plus à bien dormir. Je pense à ma famille, mes amis resté au pays…

Depuis quelques jours, la connexion internet et les appels téléphoniques vers la Guinée sont fortement perturbés. Lady s’inquiète beaucoup. « Je n’arrive plus à bien dormir. Je pense à ma famille, mes amis resté au pays. C’est difficile de les joindre au téléphone. On apprend sur certains médias des morts chez les manifestants. Les liaisons téléphoniques sont perturbées. »

« Et ce n’est pas quelque chose de nouveau. Lors du référendum constitutionnel en mars dernier (qui préparait le troisième mandat d’Alpha Condé), on subissait le même scénario c’est-à-dire des perturbations des réseaux sociaux et des lignes téléphoniques. Ils nous privent même du droit à la liberté d’expression, alors que chacun devrait s’exprimer librement. »

La communauté guinéenne réunie en nombre à Paris, place du Trocadéro.  

Evoquant la mort d’un petit garçon de trois ans, touché par des tirs, il lance un appel aux organisations internationales, qui pour lui, se sont montrées timides dans leur condamnation de la répression : l’ONU, la CEDEAO et l’Union Africaine, « qu’ils prennent leurs responsabilités ! ».

Au-dessus de lui, une pancarte affiche les noms des personnes qui ont perdu la vie dans les manifestations. « Le pouvoir en place à Conakry a plongé son peuple dans un bain de sang », rage Aminata S., une maman de 40 ans, arrivée en France il y a quelques mois avec ses deux enfants. « J’ai quitté mon pays parce que Alpha veut nous intimider, on n’a plus le droit de manifester », déplore la demandeuse d’asile.

« On est des prisonniers. Son armée et lui nous massacrent depuis 2010, surtout nous les Peuls » (une ethnie dont est issue l’opposant Cellou Dalein Diallo de l’Union des forces démocratiques de Guinée).

Un troisième mandat contesté

Les échos de la voix la mère de famille vibrent dans l’air froid de l’automne parisien, bientôt rejoints par ceux de Mariama Barry, étudiante de 25 ans, qui est venue d’Amiens pour contester la légitimité de ce troisième mandat.

« Si Alpha Condé avait respecté la constitution, il n’aurait pas pu se présenter à ces élections. Je parle de l’ex-président parce que pour moi, il n’est plus président. Il a volé les votes. Alpha Condé nous tue, il tue les enfants. Et il n’a rien fait pour améliorer nos conditions de vie. Les Guinées vivent sans eau, sans électricité. Ça fait dix ans qu’il est pouvoir, il a tué plus de 250 personnes, tous d’une même communauté ».

Des pancartes hostiles à Alpha Condé, décrit comme un « dictateur » et un « assassin ». 

Mariama insiste sur la répression des Peuls, et appelle à l’union « Nous, la Guinée, on est tous de la même famille : Malinkés, Soussous, Peuls, nous sommes des frères et des sœurs. Alpha Condé a perdu, il doit dégager. »   

Alors que les drapeaux s’agitent sur la place du Trocadéro, une autre mère de famille arbore courageusement deux pancartes tracées en lettres noires. Sur la première, on peut lire « Alpha Condé = dictateur et assassin ». Sur la deuxième, le « véritable résultat des urnes », en référence à Cellou Diallo qui s’est auto-proclamé vainqueur de l’élection.

On n’entend rien à la télévision, aucune chaine ne parle de ce qui se passe dans mon pays

« On sait que des membres de la CENI, la commission électorale indépendante chargée de surveiller le scrutin, ont été soudoyés », affirme Mme Diallo, 58 ans, entrepreneuse parisienne. « C’est très grave ce qui se passe en Guinée, c’est la troisième fois que le président triche pour rester au pouvoir », continue-t-elle.

« Les gens ont voté pour un changement, pour avoir un nouveau président. C’est pourquoi tous les Guinéens du monde entier se rassemblent, ils n’ont pas élu ce dictateur. » assure la cheffe d’entreprise en regrettant le silence des médias et de la communauté internationale.

Dans un communiqué, l’Union Européenne a annoncé, « prendre note de l’annonce des résultats provisoires par la commission électorale ». Mais l’U.E a aussi estimé que « des interrogations demeurent quant à la crédibilité du résultat, notamment en ce qui concerne la remontée des procès-verbaux et le décompte final des votes ».

« On n’entend rien à la télévision, aucune chaine ne parle de ce qui se passe dans mon pays. On comptait sur la CEDEAO pour faire pression, mais rien ne bouge. Il apparaît évident que Condé profite de soutiens qui ont intérêt à ce que la situation ne change pas réellement », dénonce de son côté Mme Diallo sur le parvis du Trocadéro.

En Guinée, la mobilisation continue dans un climat tendu. L’Union des forces démocratiques de Guinée, le parti de Cellou Dalein Diallo, dont le blocus de domicile a été levé, ont appelé, dans un communiqué 24 octobre 2020 « à défendre, par tous les moyens légaux, la vérité des urnes qui donne leur candidat vainqueur avec 53,84 %1. » L’UFDG annonce qu’elle va saisir la Cour constitutionnelle pour contester ce qu’elle considère comme un hold-up électoral. En attendant, en France l’inquiétude règne au sein de beaucoup de familles guinéennes, les yeux rivés sur la capitale Conakry.

Kab Niang

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