Rotterdam, port néerlandais entièrement détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, affiche une audace architecturale des plus impressionnantes, et une audace politique sans précédent. Le pont Eramus s’y fait voler la vedette par Ahmed Aboutaleb, premier maire allochtone de la ville et du pays. Evidemment, Ahmed Aboutaleb est néerlandais, sans quoi il ne pourrait prétendre à aucun mandat électoral, mais il est également marocain de naissance. Arrivé aux Pays-Bas à 15 ans, l’adolescent préfère les bancs de l’école, où il décroche un diplôme en télécommunications, aux célèbres coffee shops, sans doute guidé par l’éducation de son père imam. Il se dirige par la suite vers les médias, avant de rejoindre le Partij van de Arbeid (PvdA), parti travailliste néerlandais.

Aboutaleb serait l’Obama néerlandais à en croire les commentaires de nombreux journaux, à l’annonce de son accession au poste de maire de la deuxième ville du pays. Qu’en disent ses futurs administrés ? Jaxier s’en fout ! Comme 93% de la population, il pense que « les politiques font des promesses qu’ils seront incapables de tenir » (chiffre du bureau central de la statistique). « Je m’en remets à Dieu pour régir les relations entre les hommes », dit-il. Il sera bien le seul à évoquer les voies impénétrables pour commenter l’événement, mes autres interlocuteurs faisant preuve du célèbre pragmatisme néerlandais.

« Il appartient à chacun de nous de prendre son avenir en main », annonce Andrews, néerlandais de 46 ans. On n’est pas loin du désormais mythique « Yes we can ». « Il [Aboutaleb] prouve aux Marocains de ce pays qu’en travaillant, on peut y arriver. Les Pays-Bas sont un pays ouvert. On doit se donner à fond pour réussir et il n’y a pas de raison pour que ça ne fonctionne pas », poursuit-il. Il a bien sûr entendu parler d’Aboutaleb, en tant que premier maire maroco-néerlandais. Selon ce quadragénaire : « On choisit un maire d’abord parce qu’il est compétent. Et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un immigré prenne la tête de la deuxième ville du pays. »

« Pouvez-vous me citer un homme ou une femme politique d’origine étrangère siégeant au conseil municipal de votre ville ? – Non, répond-il un peu gêné, je ne m’intéresse pas franchement à la politique au niveau local » Il faut dire qu’il n’habite pas Rotterdam, mais une ville à 200 kilomètres au Sud. La femme qui l’accompagne n’en sait pas plus. En réalité, de nombreux élus double-nationaux siègent dans les conseils municipaux. A Rotterdam, avant les dernières élections, on en dénombrait dix : quatre Turcs, trois Marocains, deux Surinamiens et un Capverdien. Aboutaleb marque l’histoire du pays en prenant la tête de la mairie.

Des ressemblances avec le modèle étasunien ? Rotterdam a des allures de villes nord américaines, à moins que ce ne soit le contraire. Larges avenues, buildings de verre à trente étages, nombre incalculable de grues, effectivement en action, ou juste décoratives – j’en ai dénombré une vingtaine, dans le seul centre ville. Aboutaleb et Obama ont quelques points communs : originaires d’un pays musulman d’Afrique, âgés de 47 ans, répondant à un prénom tout droit sorti du Coran (Hussein est le deuxième prénom d’Obama), se plaçant plutôt à gauche sur l’échiquier politique.

Leur accession à une haute fonction élective en inspire plus d’un, comme Edward, qui pense que « c’est un excellent choix ! En tant qu’immigré, il comprend mieux la situation précaire des autres immigrés. Mais il est aussi expérimenté. Je suis sûr qu’il saura tendre l’oreille aux populations immigrées, qui sont trop souvent stigmatisées par les politiques, et la société en général. Aux Pays-Bas, il est plus simple de réussir quand on a la peau blanche et les yeux bleus. » Edward est un trentenaire à la peau noire, originaire d’Aruba. « C’est une île située dans la mer des Caraïbes, anciennement Antilles néerlandaises », explique-t-il. Après une licence en économie et quelques années de travail en dix ans de présence dans le pays, Edward annonce, non sans fierté, qu’il commence un master l’an prochain : « Contrairement à de nombreux immigrés, j’habite le centre-ville. – Je crois savoir que c’est un peu cher, lui fais-je remarquer. – Disons que je m’arrange pour gagner assez et que j’aime bouger le soir. Dans des quartiers comme Zuidplein, il est difficile d’accéder à la culture et à la vie nocturne. »

A la périphérie de Rotterdam, où la vie est moins chère et moins jolie, la concentration d’allochtones est plus forte, la densité démographique aussi, les centres commerciaux prennent la place des théâtres et des musées du centre-ville. Un air de déjà vu ! Zuidplein, quelques stations de métro plus au sud, n’est pas désert en ce milieu d’après-midi. Les gens déambulent dans les allées du centre commercial couvert. Un autre air de l’Amérique du nord, où les jeunes et moins jeunes passent leur dimanche après-midi dans les malls à faire du shopping ou manger des glaces, comme ce monsieur qui sculpte machinalement avec sa langue sa glace en forme de tulipe.

Des différences ? Aboutaleb ne joue pas au basket et Obama n’est pas musulman. L’accession d’Aboutaleb au poste de premier élu de la ville n’est pas uniquement le résultat de l’expression citoyenne. Le système électoral local néerlandais est au moins aussi compliqué que celui des grands électeurs nord-américains. Aux Pays-Bas ce sont les conseils communaux qui proposent leur maire. Le gouvernement et la reine ont le dernier mot, mais suivent en principe le choix des élus.

La religion et les origines rifaines [région du nord du Maroc] d’Aboutaleb ne semblent chagriner que quelques membres des partis politiques opposés. Des mécontents ? Oui et heureusement. Personne, pas même Barack Obama, ne souhaite faire l’unanimité ! Une députée de Leefbaar Rotterdam, le parti de Pim Fortuyn [candidat à la mairie de Rotterdam assassiné juste avant les élections de 2002 par un écologiste extrémiste], lui reproche « d’être d’Amsterdam, d’être supporter de l’Ajax, mais pire encore, d’avoir deux passeports ».

Et de l’espoir ! Les passants que j’alpague, eux, sont plus enthousiastes. A l’image de Jonathan, qui dit ne pas voter ni ne s’intéresser à la politique, mais qui assure qu’il suivra de près les actions du nouveau maire. « La ville a besoin d’un nouvel aménagement, dit-il. Le centre-ville est en travaux, c’est un début. Mais moi, j’aimerais surtout qu’on s’occupe de mon quartier ! »

Bouchra Zeroual (Rotterdam)

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