Hannah a pu avoir accès à l’aéroport de Tempelhof, à Berlin, où des migrants venus d’Afghanistan, d’Irak ou encore de Syrie sont hébergés dans un refuge surpeuplé. Reportage.

Janvier 2016, Berlin. Après un automne des plus doux, le thermostat est finalement passé dix points sous la barre des négatives. Le bitume est recouvert d’un épais manteau blanc dans lequel je trace mon chemin jusqu’à l’ancien aéroport de Tempelhof. Là est installé, depuis octobre, un camp de réfugiés pouvant héberger jusqu’à 3 000 demandeurs d’asile.

Sur le papier, un lieu parfait

ext-2Inauguré en 1923, cet aéroport, situé au milieu de la capitale allemande a joué un rôle tactique dans un bon nombre d’évènements. Son fait d’arme le plus célèbre date de 1948, lorsque l’Union soviétique bloque les vivres arrivant à Berlin ouest, pour soumettre à sa force la fraction pro-américaine de la ville. Les États-Unis organisent la résistance et aménagent, à Tempelhof, un pont aérien qui approvisionne leurs alliés durant les dix mois du « Blocus de Berlin », empêchant famine et capitulation. Un épisode qui accélère la division du pays en deux états, et le monde en deux blocs.

Fermés en 2008, l’aéroport et son tarmac sont vite transformés en une immense cours de récré, où l’on fait du vélo, du skate, des barbecues, où l’on organise des festivals de musique… Les Berlinois sont extrêmement attachés à ce lieu, qu’ils sauvent d’un plan de développement immobilier lors d’un référendum en 2010. Un scrutin qui contribue à la démission de Klaus Wowereit, le maire de l’époque, renforçant, par la même occasion, le symbole de résistance populaire qu’incarnait déjà cette vieille infrastructure.

Int-1Tempelhof s’est donc naturellement imposé, d’un point de vue pratique et symbolique, pour répondre à la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre Mondiale. Quatre hangars ont été aménagés pour accueillir les réfugiés. Dans deux d’entre eux -des sections contenant six lits superposés- sont délimités par de simples panneaux. Dans les autres, ce sont de grandes tentes en toile blanche qui ont été installées pour abriter seize personnes chacune. Les pensionnaires, comme tous les demandeurs d’asile enregistrés en Allemagne, bénéficient d’une aide de 140€ par mois pour subvenir à leurs besoins. Le camp de Tempelhof, le plus grand du pays, aurait dû correspondre au rôle de leader moral et politique que s’est attribué Angela Merkel sur le dossier des migrants.

Une réalité plus complexe

Int-3Sous ses aspects de « camp modèle », Tempelhof cache une organisation chaotique. « Mon plus grand problème, c’est les douches » m’explique Aida, une jeune fille afghane de 27 ans. « Les toilettes sont sales, et à l’extérieur du camp… Mais surtout il n’y a pas de douche ! Il faut prendre des bus qui nous amènent dans une piscine municipale. On est obligés de faire la queue, d’abord pour le bus, puis pour la douche, mais il n y a aucun système d’organisation. Moi, j’ai déjà passé une semaine sans pouvoir me laver, certains ici en passent facilement trois ».

Un groupe composé de trois familles syriennes qui se sont liées d’amitié dans le camp, me font également part des problèmes sanitaires, ainsi que de leur fatigue, causée par le froid, la faim, et leur difficulté à dormir. « ils n’éteignent jamais la lumière ! » s’exclame Elyias, 14 ans, visiblement excité de pouvoir s’exprimer sur le sujet. « Et la nuit, tous les bébés pleurent, ça résonne, les gens crient, tout le temps ». Tous s’accordent sur une liste de doléances, parmi lesquelles la nourriture, décrite comme « horrible ».

Int-4Ce point m’est confirmé par Johan, un jeune garçon couvert de tatouages que j’aborde devant le camp et qui se révèle être l’un des cuisiniers. « Tout le monde se plaint et, franchement, je les comprends » avoue-t’il« Ce qu’on leur prépare est de très mauvaise qualité, et les portions sont ridicules ». Lui qui a travaillé sur des évènements musicaux organisés à Tempelhof pense que les ressources du lieu pourraient être mieux exploitées : « je sais qu’il y a des étages entiers de salles vides, je ne comprends pas pourquoi on les parque dans les hangars comme du bétail, plutôt que de les installer là-bas. Même pour la cuisine, ils pourraient trouver une salle pour faire réfectoire, au lieu de ça les gens s’agglutinent devant nous, comme si on était dans la rue. C’est l’anarchie ! Normal après qu’ils se disputent…». C’est en effet dans la queue pour les repas qu’une bagarre impliquant une centaine de personnes dégénère, le 29 novembre, menant à l’évacuation temporaire d’un hangar, et l’arrestation de dix-huit réfugiés.

Des tensions xénophobes

ext-1La dispute aurait éclatée car des gardes d’origine arabe insultaient des réfugiés qui attendaient leur nourriture depuis des heures. L’épisode ne serait pas un cas isolé. De nombreux articles ont dénoncé des actes de harcèlement menés par des gardes arabophones sur des réfugiés perses. Ces abus de pouvoir sont des étincelles qui embrasent une situation déjà tendue entre les différentes ethnies. Tempelhof héberge principalement des Syriens, Irakiens, Iraniens, Afghans et Libyens, mais aucune distinction n’est faite au moment de les répartir dans le camp. Les différends politiques et culturels qui opposent leurs pays d’origine se répercutent sur le comportement de ces réfugiés, qui dorment à douze dans quatre mètres carrés.

Lorsque j’interroge Farid et Davoud, deux étudiants qui ont fui l’Iran ensemble, sur le comportement des gardes arabes, la gêne est palpable. Les amis échangent des regards sans trop oser répondre, Farid dit finalement que « tout serait plus simple si on était séparés par nationalité ». « Et les gardes aussi », ajoute Davoud avec un demi-sourire. Ils ne veulent pas faire de vagues, attirer l’attention sur eux. La priorité des deux garçons est de suivre leurs cours d’allemand et s’intégrer aux berlinois, avec qui ils ne déplorent aucun problème. Ils me remercient de mon intérêt, évitent de justesse une boule-de-neige lancée par deux enfants hilares, avant de s’engouffrer dans l’immense hangar…

Si on est loin, très loin, de l’insalubre jungle de Calais, le camp de Tempelhof ne correspond pas non plus à ce qu’on pourrait attendre d’une structure officielle, régie par la première puissance européenne. En quittant le vieil aéroport, je me dis que le temps des sauvetages spectaculaires de populations en détresse est révolu.

Hannah Kugel

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