21 heures, nous arrivons en Sicile, accueillis par des criquets blancs qui semblent dire « Soyez les bienvenus ». Il y a aussi cette lumière qui se dégage des lampes, une lumière vue que dans les films. Tout le monde est là, hommes politiques, ONG, Croix rouge, police. Les journalistes n’ont pas tardé non plus. On nous a mis dans trois bus qui attendaient sur le parking. Ils savaient combien nous étions, sur le bateau ils nous ont comptés. Il fait toujours froid, certains sont en culotte, sans tee-shirt ni chaussures. Le bus prend la route, une demie heure, direction un grand hôtel. On nous met dans une très grande salle, en rang, ils nous appellent un à un. On distribue à chacun un savon, une serviette, des chaussures et des vêtements chauds. Quand tout le monde finit de prendre sa douche, nous retournons dans la salle à manger. Devant nous, des assiettes avec des haricots, des parts de pizza, du poulet, des fruits, du jus de banane, d’orange. Ces gens ont vraiment du cœur.
Après le repas chacun est reparti dans sa chambre. Tout le monde a un lit pour lui, même le capitaine du bateau, un Nigérian. Pour des raisons de sécurité, nous nous sommes tous mis d’accord pour ne pas le dénoncer. Tôt le lendemain matin, les autorités italiennes sont revenues avec 3 bus pour nous amener à l’aéroport le plus proche, direction Palerme. Une vingtaine de personnes sont restées pour finir les démarches administratives, dont Abdou Aziz le Somalien.
Nous montons dans l’avion, je vois que certains n’arrivent pas à attacher leurs ceintures, mais tout le monde à l’air content, nous avons le sourire. Une fois arrivés à l’aéroport de Palerme des groupes ont été formés. Je suis avec Brahim dans un groupe de 22 personnes, Hassane et Salou, mes deux autres amis, sont dans d’autres groupes. Une personne arrive, nous demande de le suivre dans un bus, il se présente, son nom c’est Renato.
Direction le continent et Orvieto en Ombrie, au nord de Viterbo. Après des heures de route, nous voilà arrivés. Nous allons directement au poste de police pour nous enregistrer : nom, prénom, date, lieu de naissance, nationalité et nos empreintes digitales. Une fois fini Renato nous annonce que nous allons chez Maria, à Tordimonte, environ 10 km d’Orvieto. Il est 20 heures quand nous arrivons, une équipe nous attend sur place, ils vont nous aider pour les démarches administratives. Nous sommes réunis dans la salle à manger. Ils se présentent : Elia, Irena, Diego, Agnesse et Renato qui était avec nous depuis Palerme.
On nous explique le règlement intérieur de la maison. Il y a 5 chambres, dont 4 sont à notre disposition, pour 6 et 5 personnes. Chaque groupe doit faire le ménage dans sa chambre et les parties communes. Il y a 3 repas par jour, le petit déjeuner à 7h30, puis 12h et le dîner est servi à 20 heures. Nous allons rejoindre les chambres, je suis avec Brahim, Alasane, Amadou, Demba et Mohamed. Dans la chambre chacun possède son lit, une armoire avec deux tiroirs pour mettre les affaires de toilette.
« Je me sens comme seul face à une montagne »
Trois jours on nous amène dans un bureau à Terni, une ville proche, par groupe de 5 ou 6, afin de nous entendre et connaître les raisons de notre voyage. Je fais partie du troisième groupe. Devant moi un officier et à mes côtés une traductrice.
–  Bonjour, comment tu t’appelles ?
– Je m’appelle Kab.
– Quelle est ta nationalité, ta date de naissance ?
– Je suis Sénégalais, né le…. , à Thiaoye sur mer.
– D’où arrives-tu ? Combien de temps tu y a passé et pourquoi tu as fait ce voyage ?
– J’arrive de Libye, j’ai passé 11 jours là-bas. Avant j’étais en Tunisie pour suivre mes études, mais j’ai été victime de racisme pur et dur, c’est ce qui m’a fait partir.
– Combien tu as payé le voyage ?
– 500 euros
– Je te remercie.
De retour à la maison, nous n’avons pas encore la possibilité d’appeler nos familles. Nous en parlons aux personnels, ils disent “oui, oui”, mais rien ne change. Les jours passent et nous commençons à être fatigués des repas répétitifs (6 biscuits et un verre de lait pour le petit déjeuner, un plat de spaghetti ou de haricots et une miche de pain et enfin un plat de riz pour le soir). Je garde l’espoir et l’envie d’aller plus loin.
Je n’ai pas eu ma famille au téléphone depuis mon départ de Tunisie, depuis près d’un mois. Pensent-ils que je suis mort ? Je ne peux plus ni dormir ni manger. Je me suis retrouvé dans une solitude absolue, un état impossible à décrire. Sans parents ni famille, pas de petite amie, je me sens comme seul face à une montagne. Parfois je me mets à pleurer subitement, je sens dans mon cœur comme un ruisseau de lave ardente, il m’arrive de pousser des cris involontairement, la nuit je ne trouve pas le sommeil. Vraiment il me manque quelque chose pour remplir mon existence, mais ce n’est pas le moment pour moi de baisser les bras. Je suis un homme et je le resterai.
Le 5 décembre, après le déjeuner nous sommes tous convoqués à la salle à manger. Diego, Elia et Renato veulent nous parler. Ils expliquent que chaque personne aura 30e parce que nous versons tous les jours 2,5e et que nous sommes là depuis 12 jours. Je traduis en français et en espagnol pour mes camarades, Demba traduit en anglais. Diego précise qu’on peut aller faire des courses, téléphoner à nos familles, mais il précise que personne n’a le droit d’acheter de l’alcool.
Tout le monde a pris la direction du centre commercial “Porte Orvieto”, à 28 km aller-retour de chez nous. Avec mon ami Brahim, nous nous sommes cotisés, nous avons 30e. Nous avons acheté un téléphone simple, un Samsung avec une carte de recharge, le tout pour 45e. Les autres ont fait pareil, certains ont aussi pris des cigarettes. De retour à la maison, il était 19h25. J’avais en tête le numéro de mon père et ma mère. Je veux l’appeler en premier, mais ça ne sonne pas. J’appelle alors mon père, à la troisième sonnerie il décroche. “Bonjour, c’est qui ?” me dit-il. “C’est Kab”, il raccroche et m’appelle aussitôt. “Tu vas bien ? Tu es où en Italie”. Il avait vu l’indicatif, le 0039. Nous avons parlé puis il m’a demandé d’appeler ma mère. Je finis par l’avoir. Elle criait fort au téléphone, mais j’étais content d’entendre sa voix douce.
Brahim et moi décidons de partir
Elle se met à pleurer et me pose des questions qui n’en finissent pas : « Où est-tu ? Comment ça va ? Est ce que tu as été en prison ? Est-ce que tu as de quoi vivre ? Tes copains vont bien… ». C’est vraiment une mère. Je suis soulagé, nous avons tous eu des nouvelles de nos familles. Maintenant l’harmonie règne dans la maison. Le soir nous allons jouer au foot sur le terrain du village, on va se promener dans les bois, on regarde la télé et tous les mardis soirs nous attendons Simon, notre professeur d’italien.
Mais moi je veux aller en France pour poursuivre mes études. Un jour mon oncle m’appelle, ma mère lui a donné mon numéro. Il dit que si je suis libre, je peux venir les rejoindre à Padoue, où ils vivent maintenant. Ils sont d’accord. Le 25 décembre avec les membres de Caritas nous avons fait la fête, nous nous sentons à l’aise. Six jours après, c’est le moment de dire au revoir à 2014. Nous sommes allés au siège de Caritas, il y avait plein de personnes différentes, de tout âge. Ils ont organisé des jeux, j’ai même gagné un Mp3 et des verres, nous avons été gâtés toute la journée.
Janvier est là. Le 5 nous recevons notre indemnité, cette fois-ci nous recevons 75 euros et un permis de séjour pour une durée de 3 mois, il y a déjà un mois d’expiré. Brahim et moi décidons de partir. Brahim chez sa grande sœur qui vit à Milan et moi chez mon oncle à Padoue. Brahim est parti le 6 janvier, au cours du dîner, les encadrants ont demandé où il était, j’ai répondu qu’il était parti voir sa sœur à Milan. Ils n’étaient pas contents, mais ce n’est pas de ma faute. Le 10 janvier, j’achète un billet pour Padoue, 33e. Départ à 16 heures. Amadou m’accompagne à la gare, il me raconte son parcours dans le désert en Libye. Il me dit que des personnes qui l’accompagnaient sont mortes dans la voiture à cause de la chaleur et du manque d’eau, d’autres ont eu des accidents. Ils ont dû les enterrer dans le désert, parfois avec le vent et le sable, me dit-il, les corps sont recouverts. Certains chauffeurs abandonne les corps directement dans le désert.
Je n’ai pas oublié mon objectif : les études

Je monte dans le train, ça me rappelle mon voyage de Tunis à Gabès. J’ai mon billet, mon titre de séjour et le téléphone que nous avions acheté avec Brahim. Les paysages défilent, je ne vois que des arbres et des champs. Un contrôleur habillé en rouge et noir s’approche, je lui présente mon billet tout se passe bien. Il est 20h45 quand j’arrive, j’appelle mon oncle qui était déjà là pour m’attendre. Arrivé chez lui, ils avaient préparé du thiebou djiene, notre plat national, que mes sœurs préparent très bien. Ma chambre est faite. Le lendemain mon oncle me présente ses colocataires, il y a Nika et son copain Sergio ainsi que Paola. Tout le monde me souhaite la bienvenue. J’ai commencé à raconter mon voyage, en le racontant je me rends compte de la tristesse du récit. Mais il m’encourage, me conseille, m’aide à progresser en italien, à trouver du travail. Il cherche partout pour un boulot, mais sans papiers c’est compliqué. Il me met alors dans le commerce. Je vais vendre des bracelets, briquets et des mouchoirs. Mon oncle me demande de lui laisser 10 euros par jour pour qu’ils les donnent à ma mère quand il retournera au Sénégal. Cela me motive, je ne suis pas un “immigré économique”. Mon but est toujours d’aller en France en quête de savoir, c’est ce à quoi j’ai toujours aspiré. Mais nul ne peut échapper à son destin.
Force est de constater que je me débrouille avec l’italien. J’arrive à trouver un bon endroit sur lequel je vais pouvoir vendre ma marchandise. Sur une grande avenue où il y a une pâtisserie, Panificio di Rosa, un café “Il Giornale”, une quincaillerie, une boutique d’électronique et d’autres magasins, sans oublier le grand marché sur la piazza dei Signori.
Le temps passe, je commence à avoir des amis, je connais les riverains. Ils sont très agréables avec moi, rien à voir avec les deux derniers pays que j’ai quitté. Parmi mes amis, je me souviens d’Elena, la fille du gérant du Panificio di Rosa. Nous discutons souvent ensemble, de la société italienne, de l’actualité. Et puis il y a une dame, Tina C., qui m’a considéré comme son propre fils et m’a présenté à son mari, ses fils et à Ante, une voisine très sympa pour qui je gardais parfois la mère qui avait plus de 75 ans.
Mais je n’ai pas oublié mon objectif : les études. En février mon oncle est parti un mois au Sénégal, je lui ai donné une somme d’argent à remettre à ma famille. Ma mère m’a appelé pour me dire qu’elle avait bien reçu l’argent, elle a acheté un sac de riz et a distribué le reste à tout le monde, même si chacun n’a eu que 500 FCFA. À son retour mon oncle m’a montré des photos de ma famille et m’a ramené les diplômes que j’avais laissés à Nogaye, une amie de Tunis. Fin avril, je décide de quitter l’Italie, direction Brive-la-Gaillarde, pour rejoindre Anta une voisine que rencontrée au Sénégal quand j’étais étudiant.
Je suis allé dire au revoir à Tata Tina, elle m’a offert mon billet de train en me souhaitant bon courage et en me laissant ses coordonnées. Mes autres amis, comme Daniele, a tenu a m’offrir une valise, la mère d’Elena m’a donné quant à elle des vêtements et les colocataires m’ont inondé de plats italiens la veille de mon départ. Mon train est à 19h39 à la gare de Padoue, mon oncle m’accompagne et m’encourage pour la suite. Il est l’heure de partir.
Kab
1/6 : « Si tu as l’opportunité de rejoindre l’Europe, vas-y ! »
2/6 : Au travail je n’avais pas de nom, j’étais « l’africain », le « kahlouche »
3/6 : « Ne vous inquiétez pas, vous irez tous à Milan, inch’Allah »
4/6 : « La recréation est finie. D’ici quatre jours vous partez »

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