Trois heures du matin dimanche au Caire et les klaxons continuent leur tintamarre. L’Egypte a gagné 2 à 0 son match contre l’Algérie mais est loin d’avoir remporté son ticket pour l’Afrique du Sud. Reste « la belle », à Khartoum, au Soudan, mercredi. Retour quelques heures plus tôt dans la folle soirée de samedi. Les yeux rivés sur un téléviseur 55 centimètres en guise de grand écran, les spectateurs, impatients, attendent, assis à la terrasse d’un café, le début de la rencontre.

Ce match, les Égyptiens l’attendent depuis plusieurs semaines. Il était devenu le sujet numéro un des rues du Caire. Le stress national a atteint son apogée quand le bus des joueurs algériens, se rendant à leur hôtel, a été la cible, jeudi soir, de jets de pierre de la part de supporters égyptiens. Pour la presse locale, il ne s’agissait que d’une vulgaire mise-en-scène orchestrée par les Algériens tandis que ces derniers reprochaient à l’Égypte d’avoir négligé leur sécurité. La polémique a déclenché une vague de réactions sur le net. Supporters des pharaons et pro-fennecs, les surnoms respectifs des équipes égyptienne et algérienne, ont échangé, si  ce mot à un sens ici, des diatribes sur les réseaux sociaux, notamment Facebook.

Au café où je me suis installée pour regarder le match, les couples endimanchés côtoient les familles traditionnelles. Des adolescents tentent de décrocher le numéro de téléphone de leurs voisines apprêtées. Certains levant les mains au ciel, en appellent à Dieu pour l’issue du match. « Bismi Allahi Arahman Arahim ! » C’est par ces mots que le commentateur de la chaîne égyptienne qui retransmet la partie débute son programme. A cela, la foule répond en scandant : « Ya rab, ya rab ! » (Oh mon Dieu). Une invocation que les téléspectateurs répèteront plusieurs fois durant la rencontre.

Voici que l’entraîneur égyptien fait son apparition dans le stade. Acclamation du public rassemblé dans le café. Mais quand le sélectionneur algérien pénètre sur la pelouse, il récolte les huées. Certains font d’élégants doigts d’honneur à l’entrée des fennecs sur le terrain. Le match n’a pas encore commencé que les odeurs de tabac, de narguilé et de sodas américains me titillent les narines. Au-dessus de la foule rassemblée dans et aux abords du café, des nuages de fumée se forment. Le serveur tente de se frayer un chemin. Il sait que sa soirée sera éprouvante…

Quelques minutes plus tard, le courant s’arrête, stoppant d’un coup net la retransmission du match. Le public vacille. C’est la pire chose qui pouvait arriver. A peine les téléspectateurs ont eu le temps de protester contre ce mauvais coup du sort (algérien !) que l’électricité revient. Applaudissements et cris de joie : « El hamdoulilah ! » L’entrée des joueurs égyptiens sur la pelouse provoque sifflements, youyous et autres explosions de joie et chacun chante avec entrain l’hymne national égyptien.

Le match commence. Dans le café, des drapeaux joliment noués sur la tête, voiles colorés aux couleurs de l’Égypte pour les filles, visages recouverts de noir et de rouge pour d’autres. Des supporters ont pris d’assaut les dizaines de chaises multicolores disposées devant l’écran. D’autres ont escaladé une petite cabane près du café et se sont installés sur son toit. Certains, faute de place, se contentent de regarder le match debout, s’appuyant sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir une action que cache la tête du spectateur d’en face. De là où je suis, loin du téléviseur, j’ai laissé tomber l’idée de pouvoir voir le ballon bouger. Je devine sa place au déplacement des équipes. Même les joueurs algériens sont difficilement repérables avec leurs maillots aux couleurs de la pelouse.

A peine cinq minutes sont passées que les pharaons inscrivent un premier but. Liesse endiablée. La frénésie atteint des proportions que je n’ai jamais vues. Les pétards fusent de toutes parts, on s’embrasse comme du bon pain, les canettes de sodas s’envolent. Le match reprend. On maudit le ciel lorsque les pharaons piétinent devant les filets algériens et on remercie Dieu lorsque que le gardien égyptien arrête un ballon dangereux. Jamais je n’ai vu Dieu être aussi sollicité et malmené à la fois en si peu de temps ! Les boissons sont avalées à la vitesse de l’éclair, les cigarettes volent par-dessus la mêlée. Le serveur distribue désormais les boissons… par voie aérienne.

A mes côtés, une jeune femme se ronge les ongles et devant moi, un homme, les mains derrière la tête, n’en finit pas de se balancer d’avant en arrière au point de me donner le tournis. Après la joie du but, le stress s’installe chez les supporters. Il faut encore un but pour espérer jouer le match de barrage à Khartoum et deux pour décrocher directement le ticket libérateur pour l’Afrique du Sud.

Mi-temps. On se lève pour se dégourdir les jambes, se ravitailler de chips et sandwichs, alors que le jeu des chaises musicales permet à ceux ayant passé la première partie debout, de goûter à un repos bien mérité. Le match reprend. Le stress aussi. Les téléspectateurs s’agacent de ne pas voir ce foutu ballon rond rentrer une seconde fois au fond des buts algériens. Certains se tirent les cheveux lorsque la balle frôle le but adverse. Les supporters s’agitent, tapent du pied, font des grands gestes, maudissent les fennecs.

La fin de la partie approche. Toujours 1 seul but. Des groupes de supporters, visages dépités, préfèrent quitter le café avant le coup de sifflet final. Mais voici que tombe un cadeau du ciel : le ballon franchit la ligne du but algérien : 2-0 ! A la 96e minute ! Explosion de joie. Tout vole dans le café. Les jeunes gens arrachent leurs tee-shirts, les jeunes filles n’en finissent plus de youyouter. C’est de la folie. Le uns et les autres se sautent dans les bras.

Les jeunes se dirigent en masse vers la place Talaat Harb, au centre du Caire. Les klaxons fusent, les motos font des queues de poisson, on dégaine les téléphones portables pour immortaliser l’instant. Femmes, jeunes, enfants, pères de famille, adolescents : chacun célèbre avec excitation cette délivrance de la 96e, qui n’est pourtant qu’un sursis. Les drapeaux égyptiens flottent dans les airs en nombre incalculable. Les grandes artères sont prises d’assaut. Même les policiers photographient et filment ces moments de bonheur.

A Tahrir, la place principale du centre-ville à deux pas du Nil, l’ambiance est surchauffée. Les jeunes tapent fort sur les tambourins, des filles et des garçons dansent sur des rythmes entraînants. On monte sur les bus pour crier sa joie. Le Caire ne dormira pas ce soir, ni les nuits prochaines, en attendant Khartoum.

Nassira El Moaddem (Le Caire)

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