TOUR D’EUROPE 2014. Nouvelle étape, nouvelle capitale européenne pour Anne-Cécile à travers le vieux continent et les récents Etats membres : Budapest, Hongrie. Retrouvez son carnet de route et tous les articles sur notre page spéciale.

« Tu veux être journaliste ? Tu devrais tout savoir ! Tu devrais savoir pourquoi quand je suis allée en France, les contrôleurs ont voulu me faire payer 45 euros pour moi et pour mon bébé de deux mois et pourquoi ils m’ont emmenée au poste de police ! Hein, pourquoi ? Tu devrais savoir ça ! » Ma voisine de devant alpague tous les voyageurs, les uns après les autres. Et là, c’est mon tour. La vingtaine et le genre de personnalité puissante qu’on oublie difficilement. Dans le bus direction Budapest, départ 5 heures du matin, je suis la seule française et la seule étrangère. Au fil des arrêts, le conducteur marmonne quelques phrases en roumain.

10 heures. Arrivée à Brasov, un jeune demande à s’asseoir à côté de moi. Casquette, sweat rouge, jean et basket. Il secoue la tête, un peu gêné. Lui aussi parle uniquement roumain. Il fait à peine jour, les grandes étendues boisées se sont couvertes d’une fine brume. « No, no photo please. » Deux heures plus tard, toujours des champs à perte de vue. Des dizaines de virages, une cigogne dans un pré d’herbes hautes, quelques panneaux publicitaires plantés au milieu de nulle part. La brume s’est dissipée, pas le moindre nuage à l’horizon. A la sortie de Sibiu, on s’arrête sur un parking en terre battue. Le conducteur branche la radio locale, doux mélange d’influences à la Daft Punk. Ici aussi, Indila et Maître Gims semblent faire figure d’icônes de l’industrie du disque à la française.

Trois westerns sous titrés roumain plus tard, nous voilà arrivés aux frontières avec la Hongrie. Le ciel s’est brusquement couvert, il pleut à verse. Le bus se gare pour un premier contrôle d’identité et je suis la seule dont on regarde à moitié la carte. Le contrôleur récupère les pièces d’identité de tous les autres passagers et s’en va avec. Vingt minutes plus tard, restitution des titres. Autour de moi, chaque voyageur prête l’oreille, un peu anxieux, à l’annonce de son nom. « Eh la française, dis-moi pourquoi ils ont gardé ma carte et pas la tienne, qu’est ce que j’ai fait moi ? » Toujours cette personnalité sans faille. Plus loin devant, un jeune porte un T-shirt avec l’inscription « Danse la Poutine. » Devant les douanes, quelques minutes pour sortir et respirer un peu après déjà 17 heures de bus. Stefan, mon voisin de derrière a aperçu ma carte d’identité française.

On parle de la Roumanie, de la France, et de l’Europe. Stefan parle six langues quasiment couramment. Il m’explique, une veste Adidas sur le dos : « Moi aussi je parle français. Tu sais, quand on fait pas partie de l’Europe on n’a pas le choix d’apprendre d’autres langues. Dans ce bus, on part presque tous chercher du travail. Moi je suis dans le BTP et je vais à Munich. J’ai déjà travaillé en France, en Italie, en Suisse et en Allemagne… Pour moi, l’Europe, c’est l’Allemagne, la France, l’Angleterre, la Belgique et peut-être l’Espagne… Oui l’Espagne aussi.  Mais tu sais, ce qui me fait mal, c’est de voir que les pays d’Europe viennent en Roumanie juste parce que c’est pas cher. Je dis pas ça pour toi mais regarde, nous ici notre salaire minimum c’est 200 euros, on peut pas vivre avec ça !  Alors c’est pour ça qu’on part. On espère s’installer ailleurs. »

Depuis la chute du communisme et l’entrée dans l’Europe de la Roumanie, les chiffres de l’émigration ont considérablement augmenté et le pays a perdu près de 13 % de sa population. « Du travail en Roumanie ? Laisse-moi rire ! Ben dis-moi où t’en trouves toi, si tu veux être journaliste je te dis que tu devrais tout savoir ! Nous on est obligés de partir. » Sur les coups d’une heure, le bus s’arrête à la gare routière de Budapest. Mon voisin s’est endormi paisiblement en attendant d’arriver à Munich où il espère, lui aussi, trouver du travail.

Première nuit dans la capitale hongroise. Les sonorités de la langue sont plus froides tout comme les murs de la ville. Tout est très différent de la Roumanie. Budapest fait déjà partie d’une autre Europe. Budapest la beauté froide, aux milles hiatus architecturaux. Née de la fusion de Buda et de Pest dans les années 1800, la ville danubienne est frappante. Le musée national à l’architecture classique côtoie le style romantique post-industriel du «  Pesti Vigado ». Les croisements d’influence de l’Âge Baroque et de l’Art Nouveau donnent parfois le vertige.

Je retrouve, comme à Bucarest, cet accueil chaleureux et l’ouverture d’esprit de la population dans la capitale. Bajza Utca dans le 6e. La statue de Zrinyi Miklos, figure de proue Hongroise pendant la guerre des Trente ans, trône devant moi. Budapest la ville de tous les contrastes. Les BuBi verts (vélos communautaires), les boîtes aux lettres rouges, les taxis jaunes, l’ancien tram rouillé et brinquebalant sur fond d’affiche H&M…

Pour Petra et Laura, 18 et 20 ans, étudiantes à l’université Loránd Eötvös, l’Europe c’est surtout cette idée de modernisation et l’arrivée de nouveaux transports. « Cette Europe « colorée » c’est un projet dont les jeunes font partie : « on a connu presque que ça et on y est vraiment attachées. » Ajnis, 22 ans, n’a qu’une peur : que le reste de l’Europe se détourne de la Hongrie à cause de la situation politique du pays. Son amie reprend : « cette situation est en train de créer beaucoup d’instabilités en Hongrie et c’est vrai que du coup en ce moment j’ai peur par rapport à la Russie et à l’Ukraine…C’est si proche de nous tout ça ! »

Dans le métro, les affiches du parti Jobbik se succèdent au fil des arrêts. Les gens n’y prêtent même plus attention. Ils disent, « oh tu sais, on est habitués. » Tristes tropiques. La Hongrie risque-t-elle un jour de « danser la Poutine » ?

Painkiller’s I you gave me a chance I would take it

httpv://www.youtube.com/watch?v=3El9wKwUImo

Faul & Wad ft Pnau – Changes

httpv://www.youtube.com/watch?v=6_tyPKUZumw

Anne-Cécile Demulsant

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