Depuis le 30 juin 2005, plus de 20 000 mariages homosexuels ont été célébrés et 160 adoptions par des couples homoparentaux effectués en Espagne. L’approbation d’une loi a modifié le Code civil pour permettre le mariage égalitaire. Le chemin de bataille a débuté symboliquement suite à l’initiative de trois couples homosexuels de Madrid et deux de Valence, qui ont déposé des dossiers de demande de mariage au service de l’état civil en octobre 2003. Parmi eux, le président de la Fédération d’État des Lesbiennes, Gays, Transexuels et Bisexuels (FELGTB) de 2007 à 2012, Antonio Poveda. « Cette action a eu une forte répercussion médiatique et a ouvert le débat, déjà abordé suite à la création de délégations dédiées aux Lesbiennes, Gays, Transsexuels et Bisexuels au sein des partis politiques, pour intégrer nos revendications aux programmes électoraux », affirme-t-il.

Six mois plus tard, le nouveau président du gouvernement, José Luis Rodríguez Zapatero, révélait lors de son discours d’investiture son but de « mettre fin, une fois pour toutes, à l’intolérable discrimination dont sont victimes de nombreux Espagnols à cause de leur orientation sexuelle. Je vais le dire clairement : les homosexuels et les transsexuels méritent la même considération publique que les hétérosexuels et ont le droit de vivre librement la vie qu’ils ont choisie. En conséquence, nous modifierons le Code civil afin de leur reconnaître, en vue de l’égalité, le droit au mariage, qui a des implications sur l’héritage, le droit du travail et les garanties à la sécurité sociale ».

En juin 2005, le Congrès approuvait le projet de loi et exhortait le pouvoir exécutif à modifier le Code civil, ainsi qu’à abandonner l’appel du gouvernement précédent (PP) contre la loi pionnière du Pays Basque, qui permettait et reconnaissait le concubinage homosexuel. La réaction de l’Église, dans un pays aussi pratiquant que l’Espagne, ne s’est pas faite attendre. La conférence épiscopale a qualifié de « mauvaise et injuste » la proposition du gouvernement, tandis que le PP accusait le président Zapatero de gouverner pour les minorités et demandait à ce que les couples homosexuels soient officialisés comme des unions civiles sans droit à l’adoption, et non pas comme des mariages. Même si la hiérarchie catholique avait déjà plaidé pour l’interdiction du concubinage gay, elle est à ce moment revenue sur sa décision pensant que cela suffirait à stopper les revendications liées au mariage. « C’est l’opportunité que l’on a saisie pour s’engouffrer dans la brèche : obtenir que la loi reconnaisse l’égalité des droits de toutes et tous, y compris en terme de mariage», signale Antonio Poveda. « À ce moment-là, on a eu pas mal de soutien de la part des médias, et même de certains d’entre-eux, conservateurs, ainsi que des secteurs catholiques comme Somos iglesia (Nous sommes l’église) ou Redes cristianas (Réseaux chrétiens) ».

La loi a finalement été approuvée par le Congrès, le 21 avril 2005, par 183 voix contre 136, dont le rejet du PP et de l’Union Démocratique de Catalogne. L’Espagne devenait ainsi le troisième pays du monde à l’adopter. Le 11 juillet qui suivit la modification du Code civil, le premier mariage homosexuel a été célébré. Selon un sondage réalisé par Gallup un an auparavant, 62,2% des personnes interrogées étaient d’accord avec l’union légale entre homosexuels, tandis que 54,1% pensaient que ces couples devaient pouvoir adopter aux mêmes termes que les couples hétérosexuels. Une autre enquête, publiée en novembre 2007, révélait que l’Espagne était un « bon endroit » pour les gays, selon 79% des personnes interrogées. Malgré tout, de nombreuses manifestations contre le mariage homosexuel ont eu lieu. La plus importante eut lieu le 18 juin 2005 à Madrid, lorsque le Forum de la Familia (association pour la défense des valeurs familiales) a réussi à convoquer un million et demi de défenseurs de la famille traditionnelle (166 000 personnes selon la police). La protestation a réuni plusieurs évêques et politiciens du PP – Mariano Rajoy n’y a pas assisté – autour de la devise : « Parce que oui, ma famille compte. Pour le droit d’avoir une mère et un père ». En revanche, la FELGTB scandait : « Toutes les familles comptent », parce que « la famille du XXIe siècle est plurielle, tous les modèles y ont leur place, y compris le modèle traditionnel », explique Antonio Poveda. La famille, étant la pierre angulaire de ce débat. Interrogée sur sa vision de l’institution familiale,  la mère supérieure de l’Ordre des Carmélites, Rosa Calvo, répond que « c’est la cellule souche de la société, le début de l’histoire, l’union entre une femme et un homme qui se complètent génétiquement à partir de l’amour et du respect dans la vie en commun ».

Depuis la cité du Vatican, alors que le Pape Benoît XVI était encore cardinal, il a ajouté quelques mots au débat, dans une interview parue dans le journal italien La Repubblica, le 19 novembre 2004 : « L’homosexualité est une question qui concerne l’amour entre deux personnes, pas seulement leur sexualité. Que peut faire l’Eglise pour comprendre ce phénomène ? » interrogeait alors le journaliste Marco Politi au cardinal, qui répondit : « Je dirais deux choses : tout d’abord, nous avons un grand respect pour ces gens qui souffrent et qui veulent vivre justement. Cependant, créer aujourd’hui une forme juridique pour autoriser le mariage homosexuel ne leur viendrait pas vraiment en aide. » Dans ce même article, le journaliste Marco Politi demande au cardinal s’il juge négatif le choix fait par l’Espagne. « Oui, parce qu’il est destructeur pour la famille et la société. La loi crée la morale, ou une sorte de morale, et généralement les gens pensent que ce que dit la loi est moralement licite. Et si nous jugeons cette union plus ou moins équivalente au mariage, alors nous aurions une société qui ne reconnaît plus la famille spécifique ou sa nature fondamentale (…) Par conséquent, le choix fait en Espagne ne fournit pas un avantage réel pour ces personnes, car il détruit des éléments clés d’un ordre juridique ».

Bien que le PP ait déposé un appel devant le Tribunal constitutionnel, le 6 novembre 2012, les quelques 20 000 couples homosexuels mariés ont vu leur union légitimée par le verdict qui affirmait que le mariage entre les personnes du même sexe était en accord avec la Constitution (8 votes pour et 3 contre). Le jour où la décision a été rendue publique, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour fêter la nouvelle. La présidente de la FELGT depuis 2012, Boti G. Rodrigo, a résumé le sentiment des manifestants en disant : « Douter du droit au mariage égalitaire ne signifie pas seulement de prendre très peu de considération à la Constitution espagnole. Cela signifie de ne pas avoir de frontières claires entre les institutions laïques et religieuses (…) Aujourd’hui, la décision du Tribunal constitutionnel signifie un nouveau renfort à notre Constitution et à notre démocratie. Cela nous fait croire encore que la lutte des citoyens et des citoyennes pour faire valoir leurs droits, les droits de tous et de toutes, a du sens ». Par ailleurs, ce même jour, le président du gouvernement, Mariano Rajoy, a déclaré dans une interview à la radio Cope, qu’il n’était pas « contre les unions entre personnes du même sexe, mais qu’il ne faudrait pas les appeler «mariages». Toutefois, le gouvernement confirmait sa décision de ne pas essayer de modifier la loi après l’annonce de la réforme. Selon Alfonso Alonso, le porte-parole du PP au Congrès, la décision du Tribunal constitutionnel considère ce débat terminé. En effet, la plupart des membres du PP pensent que la société civile a eu raison du débat.

Désormais, la controverse est arrivée en France. Boti G. Rodrigo a eu des mots de soutien pour les Français : « La joie que cette avancée, en matière d’égalité, apporte à tous les citoyens vaut la peine de lutter. La FELGTB demande au gouvernement français de ne pas se laisser décourager par le fondamentalisme religieux et l’intolérance ».

Beatriz Alonso

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