Le compte à rebours a commencé. Dans les rues du Caire, les taxis, les restaurants, les transports publics, à l’université, où qu’on se trouve, impossible d’y échapper. L’Egypte affronte samedi l’Algérie dans un ultime match de qualification pour le mondial de foot de 2010 en Afrique du Sud. Sa fierté nationale est en jeu. Elle l’est d’autant plus qu’elle joue contre une autre équipe arabe. La donne est simple : pour se qualifier et éliminer de la course l’Algérie, l’Egypte doit gagner par trois buts d’écart.

Depuis plusieurs jours, la capitale égyptienne vit au rythme des pronostics. Non pas sur l’issue de la rencontre. L’affaire est entendue. Mais sur le nombre de buts que les Pharaons inscriront contre les Fennecs algériens. Ihab, un Egyptien d’une vingtaine d’années, résume le dilemme : « C’est soit on gagne, soit on gagne. Il n’y a pas d’autre choix ! » On ne peut plus clair!

Dans les taxis, les chauffeurs m’interrogent : « Votre accent n’est pas d’ici, vous ? – Non, je suis française mais originaire du Maroc. » Maroc en arabe se dit « Maghreb » et peut donc aussi signifier la région du même nom. « Ah ! Vous venez du Maghreb ? D’Algérie ? » A ce mot d’« Algérie », je vois dans le rétroviseur ses sourcils former un « V », le « V » de victoire. « Non, non, je suis originaire de Casablanca », rectifie-je. Je remercie le ciel de la non sélection de l’équipe nationale marocaine. El hamdoulilah ! « J’aime beaucoup les Marocains. J’ai quelques clients marocains. Il y en a beaucoup au Caire, ce sont des gens bien ! – Et les Algériens ? Vous ne les aimez pas ? – Nous sommes tous frères ! », lance-t-il, le sourire malicieux. « Mais samedi, notre cœur battra pour les Pharaons. » Evidemment.

Dans les cafés de la capitale, on se frotte les mains. Certains s’attèlent à la préparation du grand soir. C’est qu’il en faut des sachets de thé, des boissons gazeuses, des bières locales et autres parfums de chichas pour les nombreux supporters attendus. Quelques drapeaux trônent fièrement sur les façades des cafés tandis que les camions acheminent par centaines les sodas en bouteilles de verre.

« C’est un grand jour pour l’Egypte entière. Nous sommes tous derrière les Pharaons, mais nous pensons aussi à notre petit commerce. Ce n’est pas tous les jours qu’un évènement comme celui-ci a lieu. On espère recevoir du monde », s’enthousiasme Hussein, un cafetier du centre-ville cairote. J’imagine déjà les Egyptiens attablés en terrasse, dans une ambiance enfumée, les yeux fixés sur le petit poste de télévision posé au-dessus du réfrigérateur. Suspendus au score, le narguilé à la bouche, ils sursauteront à la moindre occasion de but, acclameront chaque ballon rentrant et se défouleront sur leurs cigarettes en protestant contre les ratés de leurs joueurs.

Mes amis égyptiens me déconseillent fortement de me rendre au stade pour assister au match. Etant au Caire, je ne voulais rater l’évènement pour rien au monde. Mais à les entendre, la fin de la rencontre pourrait avoir des allures de cataclysme. Et puis une fille dans un stade, ce n’est pas dans les mœurs locales. « Non, ça ne se fait pas ici. Vous pouvez vous rendre dans les cafés en ville mais n’allez surtout pas au stade. Ça va être la folie là-bas et on ne sait pas comment cela va se terminer », me prévient Ahmed, l’épicier de ma rue.

Mon côté aventurier en prend un coup, mais je me plierai aux conseils de mes amis égyptiens et opterai pour un plan plus tranquille : regarder le match assise à la table d’un café, à respirer les odeurs de chicha, de cigarettes et de thé. Les fumigènes en moins. L’histoire ne dit pas pour l’instant si le centre-ville s’enflammera aussi.

La sécurité entourant ce match majeur nourrit les rumeurs et les craintes. En voici quelques-unes : l’Egypte aurait décidé de ne pas laisser les femmes rejoindre les tribunes du stade pour assister au match. Par peur que cela dégénère. Dans les journaux, impossible de trouver le nom de l’hôtel où descendra la sélection algérienne, par peur d’y voir débarquer des hordes d’Egyptiens qui envisageraient de déconcentrer les joueurs de l’équipe adverse. Moins drôle, certains prédisent des accidents à l’entrée : le stade peut accueillir 80 000 personnes mais les gens disent que plus de 100 000 seront à l’intérieur et d’autres tenteront coûte que coûte de pénétrer dans l’enceinte, au risque des piétinements.

Avant le match, il y aura ce soir le concert conjoint de Cheb Khaled, la star du raï algérien, et de Mohamed Mounir, vedette de la chanson égyptienne. Les deux artistes se retrouveront sur la même scène en banlieue du Caire. Cheb Khaled, qui croit aux bonnes vertus de la musique, a déclaré : « Je chanterai au Caire le 12 novembre pour apaiser les esprits. »

Nassira El Moaddem (Le Caire)

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